Chroniques rebelles
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La Terrorisation démocratique de Claude Guillon (Libertalia) et Sur les traces de l’anarchisme au Québec (1860-1960) Mathieu Houle-Courcelles (Lux)
Samedi 3 octobre 2009
Article mis en ligne le 3 octobre 2009
dernière modification le 9 octobre 2009

par CP

LA TERRORISATION DÉMOCRATIQUE de Claude Guillon (Libertalia)

« Il aura fallu – il s’agit ici d’inventorier les éléments d’une situation pour l’analyser et non d’en faire grief aux uns ou aux autres – l’affaire de Tarnac, mettant en cause de jeunes militant-e-s anticapitalistes, cultivé-e-s et diplômé-e-s, d’origine bourgeoise et chrétienne, que l’on dirait dans les fichiers de police d’un « type caucasien » (comprenez : Blancs), pour que certaines personnalités expriment des critiques à l’égard de l’antiterrorisme. »

L’affaire dite « de Tarnac », en novembre 2008, a révélé au grand public l’existence d’un arsenal législatif censément destiné à lutter contre le terrorisme. Mis en place à partir de 1986 par les gouvernements de gauche comme de droite, il a trouvé une nouvelle légitimité depuis les attentats du 11 septembre 2001 et de nouveaux moyens dans les dispositifs européens. Bien avant Tarnac, il a permis d’arrêter, dans l’indifférence générale, des centaines de prétendus « islamistes », le plus souvent relâchés après de longs mois de détention. Ce sont maintenant des militants révolutionnaires qui font les frais de textes sans cesse révisés et durcis.

Sur les traces de l’anarchisme au Québec (1860-1960) de Mathieu Houle-Courcelles (LUX)

« L’anarchisme a été et doit à mes yeux demeurer une école tout à la fois d’espérance, de rationalité et d’humanisme.

"Je veux croire que les êtres humains ont un instinct de liberté, qu’ils souhaitent véritablement avoir le contrôle de leurs affaires ; qu’ils ne veulent ni être bousculés ni opprimés, ni recevoir des ordres et ainsi de suite ; et qu’ils n’aspirent à rien tant que de s’engager dans des activités qui ont du sens, comme dans du travail constructif qu’ils sont en mesure de contrôler ou à tout le moins de contrôler avec d’autres." » [1]

« Retracer l’histoire des idées et des pratiques anarchistes au Québec n’est pas une mince tâche. Enfant turbulent de la grande famille socialiste, critique féroce de l’inégalité sociale et de l’autorité illégitime, ce courant de pensée a laissé bien peu de traces tangibles de sa présence. Faut-il conclure que l’anarchisme est apparu très récemment ici, porté par la vague punk ou le Sommet des Amériques ?

Les pages qui suivent tendent à prouver le contraire. Parti de presque rien en 1999 avec quatre ou cinq références en poche, j’étais loin de me douter de l’ampleur que prendrait ce projet. Au fil des ans, j’ai eu le bonheur et la chance de rencontrer certains témoins directs ou indirects de ce passé encore proche. D’abord publié sous la forme d’articles dans les six premiers numéros de la revue Ruptures puis enrichi au fil du temps, ce livre se veut une synthèse de l’information rassemblée, morceau par morceau, de manière à retracer le développement de la pensée anarchiste au Québec avant 1960. L’anarchisme n’est pas apparu dans le paysage des idées révolutionnaires comme par enchantement, pas plus ici qu’ailleurs. »

« De tout temps, l’esprit de révolte a existé contre l’injustice et l’exploitation. Les révolutions bourgeoises du XVIIIe et du XIXe siècle ont largement compté sur la colère des masses pour renverser les monarques qui monopolisaient le pouvoir. Ces révolutions noyèrent l’idéal de liberté dans l’exploitation salariale tout en perpétuant les inégalités de classes. Comme l’expliquent les membres du groupe Dielo Trouda (Cause Ouvrière), « la lutte des classes créée par l’esclavage des travailleurs et leurs aspirations à la liberté fit naître dans les milieux des opprimés l’idée de l’anarchisme : l’idée de la négation du système social fondé sur les principes de classes et de l’État, et de son remplacement par une société libre et non étatiste des travailleurs s’administrant eux-mêmes ». L’anarchisme se distingue rapidement des autres courants socialistes par sa critique implacable des différentes formes d’autorité illégitime qui entravent cette transformation radicale de la société : refus de participer à la mascarade électorale, refus du nationalisme et des guerres « patriotiques », refus de la soumission à l’église et aux dogmes religieux, refus du culte du chef, du parti ou du maître, refus de ce socialisme imposé par en haut… Au lieu de tout cela, une nette conviction que le seul vrai changement passera nécessairement par une révolution sociale, balayant l’ancien monde sur son passage :

L’anarchisme aspire à transformer la société bourgeoise et capitaliste en une société qui assurerait aux travailleurs les produits de leur travail, la liberté, l’indépendance, l’égalité sociale et politique. Cette autre société sera le communisme libertaire.

Loin d’attendre cette révolution les bras croisés, les anarchistes s’attelèrent à la tâche de semer, ici et là, les germes de l’affranchissement et de l’organisation autonome des travailleuses et travailleurs, afin de rendre possible ce grand chambardement. Sans avoir été un courant de pensée dominant dans le paysage des idées politiques, l’anarchisme s’est tout de même manifesté de différentes façons au Québec depuis la fin du XIXe siècle. Si l’on ne peut parler d’une « tradition » anarchiste proprement dite, nous sommes néanmoins en mesure d’identifier une mouvance aux contours fluides qui s’est développée en de multiples tendances, dans un esprit antiautoritaire. »

La démocratie est-elle mise en danger par les lois d’exception ?
Question bien mal formulée commente Claude Guillon « à moins de considérer la “démocratie” comme une abstraction morale et non pour ce qu’elle est — un mode de régulation politique du capitalisme ».

Il est intéressant d’analyser sur les dernières décennies la mise en place d’une stratégie de terrorisation de la population pour mieux la contrôler et limiter ses droits à la contestation. En effet, le processus de faire de l’ « Autre » — virtuel, fabriqué ou réel — un danger potentiel, et l’emploi du mot terrorisme pour désigner toutes sortes de délits — avérés ou supposés —, permet de stigmatiser toute forme de révolte. Pour cela, il fallait « associer dans l’esprit du public le poseur de bombes, l’étranger et le jeune. »

Dans le contexte politique des années 1980, « L’Islam se révèlera un substitut providentiel au stalinisme d’État […] comme repoussoir des démocraties. »

S’agissait-il alors en France de rattraper le retard par rapport aux autres pays européens en matière de politique sécuritaire ?

L’état d’exception permanent va donc s’installer avec son cortège de « lois et [de] mesures de police qu’on aurait autrefois jugées barbares et antidémocratiques. »

La « neutralisation judiciaire préventive des groupes terroristes » — admirez la formule ! — consiste à les « surveiller pour anticiper le moment où [ils] seront tentés de passer à l’acte ».
Plus arbitraire que ça, est-ce possible ? C’est la question.

Et « l’affaire » de Tarnac en est une illustration très médiatisée. Absence de preuve et de découverte de cache d’armes ou de supposé matériel
« terroriste »… Sinon des présomptions, un livre et le refus de se conformer à la société de consommation !
Et cela suffit pour enfermer des personnes !

De quoi s’interroger si nous vivons un scénario à la Minority Report, nouvelle de Philip K. Dick qui se passe en 2054, à Washington, et où les agents du Précrime peuvent écrouer les criminels juste avant qu’ils n’aient commis leurs méfaits. Mais non, c’est la réalité et les agents du Précrime, de cette
« neutralisation », « les responsables antiterroristes sont parfois contraints, par les questions des journalistes, à l’exercice paradoxal de donner un contenu actuel à une “intention”, dont la caractéristique est précisément qu’elle n’en a pas puisqu’elle est supposée se matérialiser dans l’avenir. Ils en dévoilent ainsi les présupposés idéologiques. »

Autrement dit : « La stratégie policière fabrique tactiquement l’ennemi tel qu’elle le veut, de toutes pièces. Il ne s’agit plus de punir le coupable d’un méfait (ce qui, déjà, était inacceptable), mais de créer le méfait et son coupable pour criminaliser, effaroucher, désolidariser, et donc prévenir la grogne qui monte. »

Or, les présupposés idéologiques et la stratégie de fabriquer l’ennemi ne sont pas une nouveauté car, si l’on remonte à la fin du XIXe siècle, on voit déjà à l’œuvre la propagande distillée, notamment dans les médias de l’époque, de l’image de l’anarchiste lanceur de bombes. Et cette image perdure !

Il est en effet plus efficace pour un État de terroriser «  l’opinion publique » que de lui permettre de penser et encore moins de développer un esprit critique.

Si l’on connaît le mouvement libertaire au Québec de ces dernières années, force est de constater que nous ignorons depuis quand celui-ci est présent dans le pays.

Le peu d’informations que nous avions sur ses origines est aujourd’hui en partie comblé par la recherche de Mathieu Houle-Courcelles qui d’ailleurs fait cette remarque :

« Celles et ceux qui ont pris la peine de relater les débuts du mouvement ouvrier et le développement des idées socialistes au Québec ont totalement évacué la présence des libertaires, trop préoccupés de l’articulation de la question nationale ou d’un cadre marxiste-léniniste. »

Sur les traces de l’anarchisme au Québec (1860-1960) est un ouvrage précieux car cela fait plus d’un siècle que les idées anarchistes y sont vives et actives, même si certaines périodes ont été des traversées du désert. Dans les années 1950 par exemple alors que la chasse aux sorcières sévissait dans le pays voisin, les Etats-Unis.

« Depuis la création des premiers syndicats ouvriers combatifs au XIXe siècle jusqu’aux récentes mobilisations contre le Sommet des Amériques, l’influence libertaire s’est exprimée de nombreuses façons. Une multitude de journaux, d’interventions publiques, de grèves générales, d’œuvres artistiques, d’initiatives sociales et d’alternatives radicales témoignent de cet engagement au quotidien. »