Chroniques rebelles
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Christiane Passevant
Conscience politique et talents multiformes à travers le cinéma libanais (1)
« La guerre continue et n’est pas encore terminée »
Article mis en ligne le 7 décembre 2007
dernière modification le 25 septembre 2009

par CP

En octobre 2003, le festival du film méditerranéen de Montpellier a présenté un vaste panorama du jeune cinéma libanais, des courts et longs métrages, des documentaires, des films d’animation et même du cinéma expérimental. Tout un panel de jeunes cinéastes qui illustrent la complexité du Liban et sa diversité tant dans son expression culturelle que sociale. Des démarches cinématographiques classiques ou innovantes à travers près de quarante films, hélas peu ou pas distribués, de jeunes talents et de talents confirmés.
Terra incognita (2002,2h) de Ghassan Salhab évoque la situation conflictuelle et la tentative de reconstruction de ses personnages, et de Beyrouth que le cinéaste choisit comme fil rouge et fond de scène du récit. Beyrouth encore avec Ziad Doueiri et le fameux West Beyrouth (1998, 1h 45mn) qui retrace l’évolution de la guerre civile à travers le regard de trois adolescents qui refusent cette violence. Avec West Beyrouth, son premier long métrage, Ziad Doueiri se place à la jonction du film d’auteur
et du film populaire.

Cinéma populaire ou cinéma d’auteur, la création cinématographique libanaise est en permanence sous l’influence d’un drame social et politique inoubliable. Seize années de guerre civile ont marqué la mémoire collective libanaise bien que les causes et les conséquences soient encore recouvertes des décombres d’une histoire mal élucidée. Beyrouth y joue le rôle central et emblématique d’un espace de rencontres, d’antagonismes et de tensions. Le paradoxe est présent à chaque coin de rue : la liberté et l’oppression, la vie et la mort, la violence comme facteur commun.

La mémoire a un rôle prépondérant dans la création cinématographique si l’on en juge par les films qui ne cessent de questionner une histoire officielle et les vides béants laissés par un conflit encore à vif. Par exemple Khiam (2000, 52mn) de Khalil Joreige et Joana Hadjithomas , excellent documentaire sur le centre de détention créé par Israël dans la “zone de sécurité” au Sud du Liban et géré par l’Armée du Liban Sud, milice supplétive collaborant avec l’armée israélienne. Six prisonniers témoignent de l’humiliation, de la torture, de la situation des prisonniers dans ce lieu de non droit. Autre regard sur le Sud du Liban, zone en guerre perpétuelle, et le déchirement de sa population piégée, Entre deux fronts (2002, 53mn) de Katia Jarjoura qui retrace l’itinéraire de quatre personnes obligées de choisir entre collaborer avec l’occupant israélien, c’est-à-dire se rallier à l’ALS, et rejoindre la résistance et le Hezbollah. La lutte, la détention, l’évasion avec une fiction poignante, Tous pour la patrie (2002, 29mn) de Fadi Kassem. Autre réflexion sur la lutte avec Jusqu’au déclin du jour (2000, 1h10mn) de Mohamad Soueid qui revient sur son engagement et celui de ses amis étudiants dans la résistance palestinienne (Fatah Student Squad for Revolution) où l’on peut néanmoins regretter le manque de repères historiques dans les allusions aux faits. “C’est mieux de mourir opprimés qu’oppresseurs” dit l’un des personnages, ce qui en dit long sur la violence vécue et l’influence sur la société. Autre perspective, celle de Zeina Sfeir avec Pied de nez à la guerre (2001, 30mn) et ce constat : “ j’observe le Liban d’aujourd’hui : des mentalités héritées, des nostalgiques de la guerre, des jeunes plus enthousiastes que ceux de 1975. La guerre continue et n’est pas encore terminée ”.

Dans le cinéma et la littérature sont posées les questions fondamentales du déchirement libanais, questions contournées, biaisées le plus souvent dans les discours des dirigeants politiques. Le sujet de la guerre civile est en effet traité dans les films depuis des perspectives fort éloignées de l’histoire officielle. La volonté de mémoire et de critique est opposée à l’oubli annoncé d’un conflit qui a duré plus de quinze ans. Pour les cinéastes, il ne s’agit ni de repli ni de choisir un camp mais de mettre en images, en son, en paroles des faits effrayants qui dépassent l’idée même de la barbarie. « De quel côté es-tu ? » « Nous ne sommes nulle part, semblent dire les cinéastes, mais nous voulons comprendre pour que cela ne recommence pas. »

Les films donnent la parole aux individus, privilégient l’intime dans le ressenti de la violence. Seule avec la guerre (2000, 58mn) de Danielle Arbid , tourné à Beyrouth, en illustre l’un des aspects. Comme d’ailleurs Conversation de salon (2003, 9mn 23 sec.) , premier film court métrage d’une série, tournée en caméra fixe qui, en laissant libre d’expression les personnes filmées, pénètre dans leur intimité et entraîne, avec le rire et l’émotion, une réflexion sur la guerre et la société.

Et les disparus ? Le phénomène est important et reste une plaie ouverte où la mémoire tient une place essentielle. Abdo (2002, 25mn) de Tania El Khoury et Ajram Ajram est la quête d’Ajram sur les traces de son frère, disparu au Sud du Liban au début de la guerre, et de son passé. Film émouvant et original sur un sujet rarement évoqué.

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