Chroniques rebelles
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Le choix de la défaite. Les élites françaises dans les années 1930, Annie Lacroix-Riz (Armand Colin)
Samedi 6 février 2010
Article mis en ligne le 6 février 2010

par CP

La propagande d’État a toujours les moyens — plus sophistiqués — de revisiter les faits et de fabriquer une histoire officielle dans le but de modeler des esprits, de faire accepter que les acquis sociaux soient peu à peu rognés, remis en question, que l’arbitraire soit de mise…

Annie Lacroix-Riz poursuit sa recherche sur les responsabilités des élites de l’argent et les politiques dans une silence médiatique étonnant. Étonnant ? Pas tant que ça si l’on réfléchit aux échos que les implications et les complicités d’hier peuvent avoir aujourd’hui.

Retour sur une occultation qui perdure à propos d’une historienne dérangeante…

Après Le Vatican, l’Europe et le Reich, après Industriels et banquiers sous l’Occupation, ou encore De Munich à Vichy. L’assassinat de la Troisième République 1938-1940, cette seconde édition du Choix de la défaite d’Annie Lacroix-Riz met en lumière les enjeux des puissances financières et politiques des années 1930.

Si l’ouverture des archives permet de décrypter sous un autre angle les sources officielles d’information et, à partir de là, de reconsidérer les mythes construits par les historiens officiels, faut-il encore que ces études aient quelque écho, notamment dans une presse et un univers médiatique qui se déclarent « indépendants ».

Mais voilà, certaines analyses peuvent se révéler gênantes et il est plus facile d’évacuer celles-ci par le silence.

Dans De Munich à Vichy. L’assassinat de la Troisième République 1938-1940, Annie Lacroix-Riz écrit :

« Depuis le début des années 1930, les plans de destruction d’une République — jugée par ses institutions trop attentive aux revendications populaires — avaient été activement conduits par le noyau dirigeant de l’économie française. À son sommet s’était organisé un groupe de quelques dizaines de personnes représentant la haute banque (Worms, Lehideux, groupe de Nervo, Banque d’Indochine) et l’industrie lourde (Comité des Forges et des Houillières). »

Dans le Choix de la défaite, elle précise que « la puissance des intérêts matériels […] conduisent les classes dirigeantes à préférer les pires aventuriers au partage plus juste des richesses. [Et que] si les historiens recommençaient ici à soumettre les puissants à examen scientifique, le public comprendrait mieux que le “haut patronat” français ait haï une république pourtant si “bonne fille” ».

L’Europe des années 1930 a été préparée au fascisme par des groupes de pression, des appuis financiers, le recrutement des élites, une corruption généralisée et une presse achetée, des réseaux occultes, des groupes paramilitaires et une collaboration économique avec les régimes fascistes.

Or, si durant la crise des années 1930, « comme “en 1793, 1830, 1848 ou 1871”, la grande bourgeoisie pouvait compter sur les hommes politiques placés par elle-même à la tête des cabinets, malgré les apparences parlementaires », on est en droit de se demander en quoi est-ce différent aujourd’hui ? En effet, les accointances déclarées et les relations entre le gouvernement et le patronat n’ont-t-il pas comme un relent de déjà vu ?

La conjoncture sociale n’est d’ailleurs guère rassurante, avec les attaques des acquis sociaux, la refonte du code du travail, les politiques salariales, la hausse du chômage et la baisse du pouvoir d’achat, c’est-à-dire la paupérisation de la population. Ajoutez à cela, la criminalisation des mouvements sociaux, les dérives policières, la création d’un ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire (sic) qui s’attaque à des populations fragilisées, les enferme dans des centres de rétention et leur fait des procès exemplaires en cas de révoltet. Et, pour finir, il faut souligner l’instrumentalisation de la peur par les médias et les politiques pour faire accepter l’inacceptable ! La soi-disant sécurité primant sur les droits élémentaires des personnes.

Dans ce contexte, Le Choix de la défaite d’Annie Lacroix-Riz, qui se lit comme une enquête, pose des questions sur les liens entre politique et capital en revisitant les années 1930, années graves dans l’histoire de l’Europe. Que sait-on effet de la collaboration économique avec les régimes fascistes ?
Les «  hauts responsables » de l’époque des années 1930 et 1940 ont par la suite exercé leur influence sur les gouvernements. Que sait-on de la Cagoule, mouvement fasciste fondé dans les années 1930, et connaît-on les personnes qui y ont adhéré ? Que sait-on de l’Épuration après la Seconde Guerre mondiale ? Certains dossiers ont disparu comme ont été effacés les noms de personnes impliquées dans ces groupes fascistes. Que reste-t-il de ces réseaux aujourd’hui ?

« On nous cache tout, on nous dit rien… » chantait Jacques Dutronc dans les années 1960, or le refrain est toujours d’actualité.

Dans un moment de crise et de régression sociale — présentée comme une nécessité —, il est donc crucial de comprendre quels sont les liens et les projets du patronat qui justifient le vote de réformes destinées à revoir à la baisse tous les acquis sociaux.

Tout est en place pour que le « cause toujours » se transforme en « ferme ta gueule » ; la propagande a la part belle et il est possible de basculer de la « démocratie autoritaire » à un gouvernement autoritaire.

Petite bibliographie des Chroniques :

De la victoire à la débâcle 1919-1940, Maurice Rajsfus (Cherche-midi)

Les mouvements fascistes, l’Europe de 1919 à 1945, Ernst Nolte (Pluriel)

Clefs pour comprendre le fascisme, Renzo de Felice (Seghers)

Pacifisme et antimilitarisme dans l’entre-deux-guerres (1919-1939), Nicolas Faucier (Spartacus)

L’extrême-droite en France, Ariane Chebel Appollonia (Complexe)
Souvenirs et solitude, Jean Zay (L’Aube)