Chroniques rebelles
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8th Wonderland
de Jean Mach et Nicolas Alberny (2008)
Article mis en ligne le 7 décembre 2009
dernière modification le 3 octobre 2010

par CP

Résistance dans le cyberespace

Et si Internet était un moyen de passer à la démocratie directe et un outil subversif pour lutter contre le système … Deux jeunes réalisateurs se posent la question dans 8th Wonderland, [1] long métrage inventif sur le fond et la forme. Une technique surprenante qui sert à merveille le récit, des rebondissements qui s’enchaînent au gré des connections et de la réalité factuelle.

Le film part d’une réflexion : pourquoi subir les conséquences de décisions auxquelles nous n’avons pris aucune part ? Interrogation qui fait place à un constat volontaire : nous pouvons réagir, influer sur les débats, résister en créant des liens à travers le monde et par-delà les frontières, les cultures, et cesser d’accepter les lois absurdes de dirigeants sous l’emprise des intérêts financiers et de la géopolitique capitaliste… Idée simple qui se développe par le biais d’internet pour finalement former un pays virtuel regroupant les hommes et les femmes qui refusent d’accepter la logique du profit au détriment des peuples. Quelques personnes déterminées au départ, puis d’autres qui se joignent au projet et décident de s’approprier un futur confisqué, de le transformer, sans chef et sans hiérarchie… Ensemble. Une voix compte pour un, et aucune n’est plus importante qu’une autre.
Internet leur permet de créer le premier pays virtuel,
8th Wonderland, point de départ de leur résistance. Actions et connections, échanges et solidarité, beaucoup traiteront ces Candides de naïfs et naïves primaires, mais pourtant…

Des personnes issues de plusieurs cultures, pays et milieux, toutes déçues par la politique mondiale, il y en a beaucoup. Alors, est-ce si irréaliste qu’elles décident de s’unir pour ne plus subir les décisions prises en leur nom et de réagir ?
8th Wonderland ou une prise de conscience collective dans les actions de groupe et le cyberespace.

Jean Mach : Le titre du film est venu au cours d’une discussion sur l’existence d’un pays idéal sur Internet. Nous avons conclu que ce serait le pays de la huitième merveille. Et c’est devenu 8th Wonderland .

Christiane Passevant : 8th Wonderland est un film de l’espoir. Pour deux jeunes réalisateurs, le cyberespace devient une réalité subversive et politique.

Jean Mach : Internet peut devenir une force énorme, de connaissance aussi. Nous avons pensé utiliser cet espace pour nous déplacer dans le monde, pour rencontrer des gens ayant les mêmes frustrations que les nôtres, c’est-à-dire ressentir une impuissance par rapport au monde actuel. C’est ce qui nous a motivé pour faire ce film. Alors pourquoi ne pas se réunir et œuvrer ensemble pour résister et tenter de changer les choses ?

Christiane Passevant : Malgré les différences de pays et de régimes, de cultures et de sociétés ?

Jean Mach : Le but de 8th Wonderland est de faire passer l’humain avant l’économie, la finance et la politique. Donc de respecter l’humain partout dans le monde et bien sûr de tourner aussi dans toutes les langues.

CP : Les communautés existent dans le cyberespace. Il y a les chats, les gens communiquent à présent par-delà les frontières… Mais dans le film, il ne s’agit plus de seulement bavarder ou d’échanger des impressions, les personnes qui forment 8th Wonderland sont actives, militent pour ces causes qu’ils et elles jugent justes.

Jean Mach : C’est cette démarche qui est importante et qui permet d’agir contre ces frustrations, d’agir sur les décisions jusqu’alors subies. Quand on regarde les actualités, c’est frustrant. Nous sommes dans une crise… Mais, que pouvons-nous faire ? Rien. Seulement subir, en espérant que les « autres » prendront les bonnes décisions. Mais en se réunissant sur ce pays virtuel, nous avons un pouvoir de décision, déjà avec les échanges d’idées. On partage et l’on agit. Cela devient positif et le monde peut s’améliorer en agissant sur l’écologie, les maladies…

CP : Le film aborde de nombreux problèmes, notamment la mondialisation en premier lieu, mais aussi celui de la résistance et de la démocratie directe.

Jean Mach : Oui. C’est aussi un des avantages d’internet. Il est possible de faire un sondage et d’avoir directement les résultats. Faire un referendum dans un pays réel, cela demande une organisation considérable, du temps et des moyens. Sur internet, en se connectant, on peut très vite faire voter une motion et voir ainsi si on l’applique ou non.

CP : Dans 8th Wonderland, il n’y a ni webmestre ni leader. C’est un pays où chacun-e compte pour un-e.

Jean Mach : C’est cela. Les gens sont égaux. Personne n’est plus important en regard des autres. C’est un véritable pays démocratique, qui n’existe toujours pas. Dans notre démocratie, les individus n’ont pas les mêmes droits ni le même pouvoir de décision.

CP : Au début, les personnes sont encore formatées et sous l’emprise de la hiérarchie. Elles se demandent qui est le webmestre.

Jean Mach : C’est difficile de se débarrasser des habitudes. La question qui revient tout au long du film — qui est le webmestre ? — est en quelque sorte un gag qui demeure d’ailleurs une question pour le public. Et nous ne donnons pas la réponse. Chaque personne a son idée sur la question. Nicolas et moi, les réalisateurs du film, nous avons une réponse différente sur cette question.

CP : Finalement un webmestre est-il nécessaire ? En avons-nous besoin ?

Jean Mach : Non et c’est ce que l’on voit à la fin du film. Le cafard, qui a sa petite puce, a lancé le projet, mais le projet lui échappe et appartient à tous et toutes.

CP : Tout le monde est webmestre.

Jean Mach : Exactement. C’est l’égalité. Une voix est une voix… Tout simplement.

CP : Autres sujets importants dans le film, la peine de mort et le terrorisme.

Jean Mach : La peine de mort est un problème particulier et grave. La première puissance mondiale, les États-Unis, applique encore la peine de mort dans plusieurs de ses états. Et il était important d’aborder ce problème. Au début du film, les actions peuvent paraître un peu potaches parce que les personnes ne sont peut-être pas encore réellement impliquées, elles n’ont pas encore dévié.
Quant au terrorisme, peut-on en donner une définition ? Les rebelles sont souvent qualifiés de terroristes. Les terroristes sont les vaincus, ceux ou celles qui sont du mauvais côté. Dès qu’on est vainqueurs, on n’est plus terroristes.

CP : Vous avez voulu souligner le côté relatif du terme et de la charge idéologique qu’on lui prête ? Les terroristes, une fois vainqueurs, deviennent des héros ?

Jean Mach : C’est cela. Le mot terrorisme est actuellement à la mode et est employé constamment depuis le 11 septembre 2001, mais il y a des degrés. On peut considérer les activistes de 8th Wonderland comme des « insoumis » qui refusent de se soumettre à la norme et veulent un pouvoir de décision. Mais d’insoumis, ils peuvent dévier vers le terrorisme lorsqu’ils prennent conscience de leur pouvoir.

CP : La jeune femme irakienne, Rachida, qui fait partie du groupe, est un personnage très fort. Elle prend la décision de participer seule en tant qu’activiste et, peu à peu, elle entraîne son compagnon dans le groupe.

Jean Mach : Nous avons voulu montrer comment le réseau pouvait s’étendre. Cela peut être la méthode de César, au Sénégal, qui fait participer toutes ses connaissances du cybercafé. Ou comme Rachida qui convainc son mari qui n’est tout d’abord pas du tout ouvert au projet. La situation en Irak est plus dangereuse qu’au Sénégal et cela se passe dans un cercle plus restreint.

CP : Rachida est très déterminée et à la fin du film, elle s’engage dans la vie réelle et crée un syndicat.

Jean Mach : Montrer le prolongement des actions de 8th Wonderland et les effets sur ses participant-es est intéressant. Dans certains pays arabes, le statut des femmes évolue et nous voulions mettre en scène un personnage qui montre cet aspect de la revendication d’autonomie en adéquation avec le caractère de Rachida. À un moment, elle dit d’ailleurs « je ne blasphème pas, je raisonne ». Pour elle, la raison prime sur les règles, même si celles-ci sont appliquées depuis des siècles et régissent la société. C’est pour cela qu’elle fait partie du groupe. C’est un personnage très fort vu les circonstances qu’elle vit au quotidien. Par son interprétation, la comédienne lui donne toute sa dimension.

CP : Le personnage de Rachida me fait penser à Nawal al Sadawi, [2] grande féministe égyptienne. Vous a-t-elle inspiré pour Rachida ?

Jean Mach : Rachida est en fait un recoupement de plusieurs femmes qui luttent dans leur pays, notamment de femmes journalistes qui travaillent à visage découvert et prennent des risques en se mettant en avant. L’idée était de montrer la lutte des femmes pour leurs droits et leur refus, encore une fois et malgré les risques, de se soumettre aux règles imposées.

Christiane Passevant : Certains des personnages du film sont à des postes importants, on peut même dire clés du système auquel ils et elles s’opposent ?

Jean Mach : Oui. Sur l’affiche, il est écrit : « Comment combattre un pays qui n’existe pas ? » Pour combattre un pays comme l’Irak, une autre puissance l’envahit avec toutes les conséquences terribles que l’on connaît, mais il est impossible d’envahir un pays qui n’existe pas. Les activistes de 8th Wonderland sont disséminés partout dans le monde. Leur situation, leur position dans la société peuvent aider la communauté du cyberespace. Par exemple, Dawson, qui travaille dans une agence antiterroriste, peut savoir à l’avance ce qui menace le pays virtuel. 8th Wonderland a des taupes partout. Ils et elles font partie d’un pays virtuel.

CP : La scène de l’interprète est très drôle.

Jean Mach : Elle fait capoter une réunion importante pour l’installation de centrales nucléaires. Nous avons écrit cette partie du scénario, il y a deux ans, or, dernièrement, le président russe a fait une visite officielle en Iran pour une centrale atomique. Donc la scène s’inscrit parfaitement dans l’actualité.

CP : La séquence du G8, avec le message lancé aux responsables au niveau mondial à propos de leurs enfants, est étonnante. Car s’ils ou elles se moquent des conséquences de leurs décisions sur la pauvreté et les malades dans le monde, les discussions prennent une autre tournure avec l’implication de leurs proches.

Jean Mach : C’est l’une des actions qui illustrent un tournant du groupe. Jusqu’à ce moment, c’était plutôt gentil. Mais lorsque l’on inocule une maladie à des innocents pour influencer des décisions au niveau de la planète, c’est très sérieux. C’est le passage de l’insoumission au terrorisme. Et cela provoque le débat.

CP : Un des premières scènes du film montre un président dictateur, que l’on imagine en Amérique du Sud, et son garde du corps, chacun devant un écran, regardant des résultats bien différents…

Jean Mach : Le film commence ainsi et l’on peut croire qu’ils suivent tous deux le résultat des élections. Ce qui est le cas pour le président, mais pas du tout pour le garde du corps qui attend le résultat du vote de 8th Wonderland pour exécuter ou non le chef d’État. La question est alors : si l’on exécute un despote, que se passe-t-il ensuite ? Éliminer est une chose, mais comment reconstruire ? La question demeure. Comment être constructif ? C’est l’objectif d’un 9th Wonderland.

CP : Tous ces grains de sable disséminés sont destinés à enrayer la marche du système ?

Jean Mach : Exactement, en posant la question : un pays virtuel peut-il exister ? Peut-on jouer sur la carte du monde et créer un pays virtuel qui rassemble des personnes sur les mêmes prémisses d’un monde plus juste et égalitaire ? Peut-on infléchir l’évolution des mentalités de cette manière ?

CP : Le film utilise aussi la société de consommation pour combattre cette même société.

Jean Mach : C’est vrai. Il y a la séquence des footballeurs kidnappés par le groupe pour confectionner des chaussures dans les fabriques où travaillent des enfants. Cela donne l’idée de ce qu’est la responsabilité collective dans ce genre d’exploitation, même si les sportifs ne sont pas directement responsables du sort des enfants et des personnes qui travaillent dans des conditions épouvantables. Mais qui peut, mieux que ces sportifs médiatisés, dénoncer l’exploitation des enfants dans ce type de fabrication parce que leurs doigts sont plus fins pour les coutures des ballons ?

CP : Un autre personnage, McLane, se déclare webmestre de8th Wonderlandet cherche à détourner pour son compte les actions de 8th Wonderland.Il tourne des films publicitaires et joue le jeu du système. Mais finalement il tient un discours engagé, militant avant qu’il ne saute ?

Jean Mach : Le nom, John McLane, est un hommage à Piège de cristal [3]. C‘est le nom du personnage principal, tenu par Bruce Willis. Dans 8th Wonderland, McLane ne pense qu’au profit qu’il peut tirer de la situation. Il manipule les médias grâce à sa facilité d’expression. C’est un constat, en présentant bien et avec du bagout, on passe dans les médias même sans avoir rien à dire. En revanche, malgré l’intérêt du discours, mais sans le charisme escompté, les médias vous ignorent. C’est le cas de l’ambassadeur, qui n’a pas l’habitude de s’exprimer publiquement, alors que McLane est un faussaire qui n’a rien à voir avec 8th Wonderland. Cependant, McLane, qui ne voit d’abord dans toute l’opération que son intérêt financier, prend peu à peu du recul et est très lucide par rapport aux actions de 8th Wonderland. L’intérêt du personnage réside dans son ambiguïté.

CP : Les hommages aux films dans le film. Tu as parlé de Piège de cristal, pour ma part, j’ai pensé à V pour Vendetta de James McTeigue [4] ?

Jean Mach : Certainement, pour l’aspect réfractaire au système, Fight Club [5] aussi. Nous avons également fait un hommage à Good night and Good luck [6]de George Clooney. Beaucoup de ces films sont en filigrane même si notre film n’atteint pas leur niveau. Nous avons tenté d’aborder le sujet de la liberté d’expression, qui est sous-jacent à tous ces films.

CP : L’année dernière, le festival du cinéma méditerranéen a diffusé un film espagnol remarquable et original dans la forme, qui traite également de manière critique du système. Il s’agit du film de Rodrigo Cortés, Le Concurrent, [7] qui met en scène le gagnant d’un concours qui, avec tous les lots qu’il reçoit, ne peut plus vivre normalement. Ce film montre l’absurdité du monde dans lequel nous vivons, basé sur le fric et la consommation effrénée.

Jean Mach : Je regrette de ne pas l’avoir vu. Mais il est certain que le message de 8th Wonderland est de faire passer l’humain avant tout, avant les enjeux économiques et politiques. L’une des idées évoquées par exemple est d’utiliser les énormes bénéfices des laboratoires pharmaceutiques pour lutter contre des maladies orphelines. [8] Pourquoi pas ? Peut-on sciemment mettre en balance la vie de centaines, voire de milliers de personnes et les dividendes que touchent quelques actionnaires nantis ?

CP : Le rythme du montage du film est très soutenu. Les trucages sont présents durant tout le film, notamment au moment des chats, mais ils ajoutent au film et n’en perturbent pas le fil ou même l’émotion. Combien de temps a nécessité le tournage et ensuite la postproduction ?

Jean Mach : Le film a nécessité beaucoup de montage et de trucages. La salle virtuelle est une téléconférence à vingt, à cent personnes. Nous avons imaginé un MSN du futur, c’est-à-dire une communication au-delà de trois ou quatre personnes, à vingt personnes par exemple, et où il serait possible de se voir. Ce qui a permis de faire un film plus visuel, non pas un film de clavier où l’on verrait uniquement les personnes devant leur ordinateur. Cela aurait été très vite fastidieux puisque le film repose sur la communication, d’où l’intérêt de faire du visuel avec le virtuel et de voir l’intérieur d’internet. Cela a aussi signifié du temps de tournage. Il fallait filmer chaque intervenant-e dans des contextes particuliers.

CP : D’où le ballet d’images qui se croisent sur l’écran, dans des perspectives et des axes différents ?

Jean Mach : C’est cela. Vu le travail sur les effets spéciaux et les possibilités offertes, nous avons pu mettre les images dans les caméras virtuelles, partout, et utiliser des mouvements. Le but étant au final la fluidité, la diversité des plans et l’impression de complexité du réseau. Nous avons d’abord travaillé sur le story-board de manière à anticiper les effets et à envisager des axes différents.

CP : Vous avez tourné en 35 mm ou sur un autre support ?

Jean Mach : Nous avons tourné en numérique car nous avions deux qualités d’images, réelles et vidéos. De cette manière, nous pouvions jouer sur les objectifs pour marquer la différence. Pour les images réelles, nous avons utilisé des objectifs 35 mm pour avoir la profondeur de champ, et le flouté cinéma.

CP : Ce n’est pas ton premier long métrage ?

Jean Mach : En effet, j’ai réalisé Par l’odeur alléché... qui est sorti en salles. C’était un film à très petit budget (12 000 euros) et j’étais content qu’il soit distribué même s’il n’est resté que deux semaines à l’affiche et avec une dizaine de copies. Le but à atteindre était que le film soit distribué en salles.

CP : 8th Wonderland est passé à Montpellier en avant-première, ce qui signifie que le film sera distribué, alors quand et avec combien de copies ?

Jean Mach : Le film sortira avec une cinquantaine de copies et sera en salles en 2009. La date est à préciser car il faut encore régler des détails importants, le tirage en 35 mm, l’étalonnage… Et toute la communication autour du film.
8th Wonderland est présenté en sélection officielle au BIFFF (Bruxelles International Fantastic Film Festival) qui se déroule du 9 au 21 avril 2009 et au IIFF (Istanbul International Film Festival) qui a lieu du 4 au 19 avril 2009.

CP : Le public du festival de Montpellier a très bien réagi à la projection de 8th Wonderland ?

Jean Mach : Oui, les retours sont bons jusqu’à présent. Le public est très réceptif et intéressé par l’idée d’une résistance par le net, de rébellion et de volonté de changer les choses.

Cet entretien a eu lieu lors du 30e festival du cinéma méditerranéen de Montpellier, le 31 octobre 2008. Présentation, notes et transcription, Christiane Passevant.


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