Chroniques rebelles
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Le programme et la main de Bernard Demiaux (éditions du Sextant) et Sourates pour Dubaï de Jean-Manuel Traimond (ACL)
Samedi 14 août 2010
Article mis en ligne le 18 août 2010
dernière modification le 3 mars 2016

par CP

(Rediffusion)

« Nous sommes tous et toutes dans la com ! » ai-je entendu dernièrement de la bouche d’une responsable des Ressources humaines, fière d’être de ce nombre croissant de cadres auto-proclamé-es créateurs/trices en communication. « Le “cadre-artiste” connecté nuit et jour, une clé USB dans la tête, est joignable et corvéable à tout bout de champ grâce à son téléphone portable et son micro-ordinateur. »

Le problème majeur étant, à mes yeux, de communiquer sur quoi ?
« Buzzer », pour employer les nouveaux mots, sur quel contenu ? Bien sûr, l’enveloppe, l’emballage a son importance, mais lorsque cela s’arrête là… C’est un peu court, même pour des personnes googlisées, facebookées et téléformatées !

Bernard Demiaux, avec Le Programme et la main, offre le récit de son itinéraire artistique de même que l’exploration des nouvelles technologies de l’information et de la communication qui ont envahi l’espace de notre vie quotidienne et dont on ne mesure pas encore les conséquences, notamment la dépendance implicite vis-à-vis de ces technologies. Dépendance de plus en plus addictive dont on sait plus si elle est nécessaire, et qui devient peu à peu symbole de connaissance ou de créativité. « Il faut s’alerter, écrit Bernard Demiaux, de l’instrumentalisation des artistes par les entreprises ou les sociétés de conseil. Dans un monde où chacun est sommé de créer, les entrepreneurs assimilent un peu vite la créativité entrepreneuriale à la création artistique. »

Le Programme et la main présente aussi le champ de plusieurs recherches, recherche de soi-même, de ses limites, recherche des différentes expressions d’où émergent des questions sur la nature humaine, sur la transformation de la société, sur le rapport des individus à l’accélération, à la fuite en avant des technologies. Fuite en avant qui induit évidemment et à notre insu des changements de société, de l’environnement et des modes de vie dans une sorte d’emballement du système capitaliste :

« Après la chute du mur de Berlin, en 1989, ce sont les débuts de la mondialisation et des délocalisations d’une économie qui va se transformer en casino planétaire, grâce à la technologie et à la recherche du profit maximal, moteur du système capitaliste. »

Sourates pour Dubaï de Jean-Manuel Traimond (ACL)

Sourates pour Dubaï ou les mille et une histoires d’une ville État qui se veut modèle du système capitaliste, dans un décor de riches… très coûteux, mais plutôt style décor en carton pâte. La mégalomanie architecturale y atteint des sommets et les conditions de travail sont les fioritures qui gomment les êtres humains pour ne garder que les fonctions qu’ils occupent dans ce chantier géant à ciel ouvert, sur lequel sont en place 20 % des grues de la planète.

Sourates pour Dubaï est le journal de bord d’une ballade dans un Las Végas économique, fantasmé, en pays d’Arabie. Journal où se côtoient les impressions d’un Candide au pays des émirats, d’un Aladin occidental qui parle à tout le monde — quand c’est possible —, les constats, les chiffres officiels et les impressions à chaud… Mais un Aladin qui ne possède nulle lampe merveilleuse, donc pas de génie magique, ni de tapis volant !

Sourates pour Dubaï, beau titre pour décrire le débordement de fric basé sur l’exploitation qui offre — qui vend, devrais-je dire — la projection nouveau riche d’une ville État « trop étendue, trop dépendante de l’automobile, une ville lacérée par d’immenses autoroutes impassables ; une ville, peut-être la plus cosmopolite qui n’ait jamais existé, mais dont le cosmopolitisme a été stérilisé au bénéfice des bazars infiniment répétés ».

Dubaï la clinquante et l’hyper contrôlée, la ville moderne et factice, « une ville bigoto-pécheresse où la tolérance se résume à celle de la prostitution et de l’alcool, tant que ces deux bonheurs des bourgeoisies extérieures se tiennent dans les limites de la nuit et des bars d’hôtel ; une ville dont on ne sait si elle mine l’islam en y injectant les insidieux poisons de la modernité, ou si au contraire elle le conforte en lui procurant une soupape de sûreté géante. »

Sourates pour Dubaï… « Le Dubaï menaçant dépasse le Dubaï rêvé, mais procède de lui. Ou plutôt de l’écart entre le rêvé et le réel. Car pour que les mythes du Dubaï rêvé ne soient pas trop mis à mal par la réalité, il fallait que le pays ne soit pas un pays.

Un vrai pays regorge de vieux, d’adolescents, de malades, de mendiants, ces inutiles qui empêchent de croire qu’on peut vivre comme des dieux. Il faut que le pays [Dubaï] ne soit qu’une entreprise, que la société ne soit une société qu’au sens commercial.

De là, comme dans une entreprise explicite, l’usage des travailleurs jetables. Ils ne viennent que pour travailler, sans leurs familles. »

Mythe et capitalisme à l’ombre de nouvelles tours de Babel : l’économie a tout « conquis, le pouvoir, l’espace, le temps, la perception, la réalité, l’imaginaire. Le règne nu de la marchandise enfin débarrassé des fictions politiques, des oripeaux constitutionnels, du cache-misère appelé démocratie. »

Sourates pour Dubaï… Un récit intéressant qui commence par les égouts…