Chroniques rebelles
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Harragas de Merzak Allouache et Retour à Hansala de Chus Gutierrez
Article mis en ligne le 21 juillet 2010
dernière modification le 24 décembre 2011

par CP

Retorno a Hansala [1]… Une épopée tragique ou l’abîme entre des cultures si proches géographiquement.
D’entrée de film, un jeune homme se noie à quelques dizaines de mètres de la côte espagnole. La mort en direct, la suffocation de la noyade sur la bande son, la caméra montre la plage par bouffée, comme si elle accompagnait ce corps qui se débat, peu à peu immergé et coule si près du but. Le corps du jeune homme échouera, avec ses autres compagnons, rejetés sur la plage espérée et rêvée. Sinistre découverte des jeunes corps, la police, la morgue, les vêtements des noyés qui sèchent au vent en attendant que quelqu’un ou quelqu’une vienne les récupérer, les renvoyer aux parents… Un voyage banal et dangereux, le détroit de Gibraltar sur un bateau de fortune et la mort.

Les images de Chus Gutierrez sont inoubliables et décapantes, la fiction s’efface devant une réalité insupportable. La réalisatrice s’était déjà penchée sur le problème de l’immigration en 2002, avec Poniente (Vent d’Ouest) qui montrait les conditions de travail des immigrés illégaux qui avaient, eux, réussi le passage. Mais à quel prix et pour quel but ? « Un conte universel sur l’amour, le vent, la différence et l’indifférence… » dit la présentation du film. L’immigration, le racisme, l’incompréhension, Chus Gutiérrez y revient dans son nouveau film avec la volonté de comprendre les raisons de cette attraction, de cette prise de risque. Son film n’est pas un enquête sociale, n’est pas non plus une fiction, c’est un voyage, un voyage de retour à la rencontre de l’Autre.

Tous les jeunes noyés étaient originaire de la région de Beni Mellal, du village d’Hansala au cœur du pays berbère. Région magnifique que les jeunes, filles et garçons, rêvent de quitter en l’absence de perpectives futures. Leila, sœur de l’un des garçons, est prévenue par un responsable des pompes funèbres, Martin, qui voit dans ce drame une façon de faire son travail et d’en tirer profit. La jeune femme, se jugeant responsable de la mort de son jeune frère, décide de rapatrier le corps au village, à Hansala, et d’affronter la douleur de la famille et son père. L’odyssée du retour se transforme peu à peu en un voyage initiatique pour ce professionnel de la mort, Martin, qui ignore tout du Maroc et de sa population. Le détroit de Gibraltar sépare les deux pays, mais les cultures, les coutumes sont différentes, surtout dans la période du ramadan.

Pour Martin, le voyage sera une remise en cause de sa vie, dépouillé peu à peu de ses certitudes, de ses repères face aux tracasseries douanières malgré les autorisations, à la délinquance et, finalement, à la solidarité
des Berbères dans la montagne. Retour à Hansala, retour sur soi-même…
Les vêtements des jeunes morts sont exposés au marché pour que les familles sachent si le passage en Europe a été fatal à leur proche…
Et Leila, un personnage de femme forte qui affronte le jugement du père, qui défend son autonomie tout en respectant le village et ses proches.

Retorno a Hansala de Chus Gutiérrez est un film bouleversant qui part d’une histoire personnelle pour poser la question de notre responsabilité vis-à-vis des populations de la rive Sud de la Méditerranée.

Si Harragas de Merzak Allouache a bénéficié d’une distribution en février, il n’en est pas de même pour Retorno a Hansala de Chus Gutiérrez. Pourtant leur regard est en quelque sorte complémentaire sur
ce thème majeur du cinéma méditerranéen.

Le film traite de la préparation d’un départ pour ailleurs, avec les dangers qu’il engendre avant même de partir d’Algérie [2]. Les « brûleurs » sont prêts à tenter l’impossible pour partir d’un pays qui leur paraît une prison. Le voyage tourne mal dès le départ de Mostaganem et le bateau devient très vite radeau [3].

Merzak Allouache [4] : « Malheureusement, aujourd’hui la Méditerranée est une mer de tristesse et le film est sur cette tristesse, sur le désespoir. Le film est une coproduction française [5] et j’en suis ravi parce que le sujet ne concerne pas directement la France. J’ai tourné une partie du film en Algérie et une partie dans le Sud de la France, à Frontignan, avec des techniciens de la région. J’ai voulu que ce film soit un témoignage sur une situation dramatique que les gens vivent de plus en plus mal en Algérie et dans les pays du Maghreb et d’Afrique. De nouvelles routes clandestines se sont mises en place et fonctionnent de plus en plus, mais la majorité des personnes qui empruntent ces routes, jeunes et moins jeunes, n’arrivent pratiquement jamais au bout du voyage.

La Méditerranée est devenue un cercueil pour ces gens qui tentent la traversée, à la recherche d’un El Dorado. Le film ne parle pas des causes de ces départs, mais de l’enfermement qui existe dans nos pays, en Algérie, au Maroc, en Tunisie. Pour donner un exemple récent, nous avons présenté le film à Venise et deux des acteurs n’ont pas pu s’y rendre faute de visas. Ils ont eu la rage. Sans raison, les visas ont été refusés et ils n’ont pu assister à une projection de leur film dans un festival. Il y a des jeunes dans le pays qui ont aussi envie de sortir, simplement pour voir autre chose et ensuite revenir dans leur pays. Il ne faut pas penser que tout le monde veuille s’exiler. »

La Méditerranée est devenue un tombeau pour les rêveurs d’un El Dorado imaginaire, la répression des états remplace la réflexion politique sur les raisons de cette fuite en avant d’une partie de la jeunesse, les anciens pays colonisés font la police pour l’Europe. La mondialisation amplifie la pauvreté et les profits s’emballent… Combien de personnes, à bout de misère ou d’enfermement, tenteront encore le voyage malgré la prison ou la mort ?

Harragas de Merzak Allouache est servi par un récit sec et nerveux qui apporte une autre réflexion sur le sujet de l’immigration. Le film a également permis de découvrir le talent de jeunes comédien-nes, comme
Lamia Boussekine, très beau personnage féminin : « C’était mon premier long métrage. On a travaillé en hiver et en plein air. L’expérience était à la fois dure et belle. C’était difficile. »

Retorno a Hansala de Chus Gutiérrez était en compétition des longs métrages du 31e festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier. Le film a obtenu le Prix de la critique et le prix JAM de la meilleure musique, composée par Tao Gutiérrez.