Chroniques rebelles
Slogan du site
Descriptif du site
Cinéma et société : Sri Lanka sur grand écran. Entretien avec Prasanna Vithanage (1)
Christiane Passevant, Larry Portis
Article mis en ligne le 5 juillet 2010
dernière modification le 23 décembre 2011

par CP

On sait l’attachement de cette région du monde au cinéma et sa popularité. Le cinéma d’auteur y est également prolixe et tient une place importante au plan national et international, même si celui-ci est encore méconnu en France [1]. Il serait juste d’insister sur la différence existant entre le cinéma sri lankais actuel et celui du pays voisin, l’Inde, qui tient le premier rang mondial de la production cinématographique.

Il n’est pour cela que plus intéressant de découvrir les films de l’un des cinéastes les plus marquants de la nouvelle vague cinématographique sri lankaise, Prasanna Vithanage, dont les six longs métrages [2] offrent le panorama particulièrement sensible d’une société, ancré dans la réalité du pays, tout en faisant appel à une réflexion universelle sur la manipulation opérée par les institutions, qu’elles soient étatiques ou religieuses.

La complexité et la profondeur des films de ce cinéaste sont surprenantes et bien éloignées des codes du cinéma bollywoodien. Les sujets sont forts, directs et universels bien qu’ils s’inscrivent dans une peinture sociale particulière, celle de Sri Lanka : les femmes et leurs droits, l’émancipation, les tabous, l’assignation des rôles sociaux, les rapports de genre, l’oppression, la discrimination, la guerre… Sri Lanka [3] y apparaît sous un angle bien inattendu, sans les clichés et ressorts dramatiques habituels. La société est en quelque sorte mise à nu par petites touches dans un effort de réalisme social à la fois empathique et grave.

Prasanna Vithanage vient du théâtre et cela se sent dans sa direction des comédien-nes. C’est souvent un simple regard, un geste anodin qui font découvrir la pression sociale qui s’exerce sur les protagonistes, mais aussi la situation politique qui pèse sur les personnages sans qu’elle soit tout à fait explicite. Manière de déjouer la censure ou volonté du réalisateur de laisser le public libre dans ses interprétations ? « J’essaie de m’imprégner des différents personnages. Je n’essaie pas d’imposer mes idées. J’utilise mes observations et si j’ai l’impression de faire fausse route, je change. »

Si l’on prend le second film de Prasanna Vithanage, Anantha Rathriya (Dark Night of The Soul), la guerre civile si elle est allusive est en fond de décor. Un homme revient sur les lieux de son enfance, la propriété est abandonnée, gardée par un domestique qui est surpris de sa visite.

Flash back… Le jardin d’une maison idéale où les fleurs, les gentilles tantes sont filmées à la manière d’estampes sublimées. Puis, brusque retour à la réalité avec la présence du contexte social et politique et l’on devine que la propriété est dans une zone de conflit : « le pays est dans un tel chaos ! » Néanmoins les valeurs de la société bourgeoise ne sont pas pour autant ébranlées, les pauvres sont les rebelles, les pauvres sont les coupables.

Ce film est aussi une peinture de la domination masculine, à plus forte raison si l’homme est dans une position de pouvoir économique. L’héroïne séduite est la victime idéale : jeune, domestique et désarmée devant un séducteur qui est le maître de la maison. Le caprice d’un jeune homme riche, et son inconséquence font ainsi basculer la vie de Piyum, qui, bien des années plus tard, croise à nouveau cet homme qui exerce encore une fois un pouvoir sur elle. Il est juré dans le procès où elle est accusée de meurtre avec préméditation. Le parcours de la jeune fille séduite à la prostituée condamnée met en lumière les méfaits du système judiciaire et les injustices sociales, comme dans le premier film de Prasanna Vithanage, Sisila Gini Gani (Ice on Fire). Deux portraits de femmes broyées par un amour « déclassé » et hors conventions. Dans les deux cas, il s’agit d’hommes qui détiennent un pouvoir dans une société patriarcale, mais la fin diffère dans les deux films.

Anantha Rathriya (Dark Night of The Soul), librement inspiré du roman de Tolstoï, Résurrection, se situe dans un tout autre contexte que le roman, c’est celui de la lutte de classes. [4]Piyum finalement refusera l’aide offerte par celui qui est la cause de toutes ses épreuves. Une fin ouverte qui souligne la dignité de Piyum et la faiblesse d’un homme désemparé. La comparaison avec le texte de Tolstoï s’arrête là, l’homme ne trouve pas de solution à sa culpabilité tardive.

Dans tous les films de Prasanna Vithanage, hormis Purahanda Kaluwara (Death on a Full Moon Day/Mort un jour de pleine lune), les personnages féminins sont au centre du récit filmique. Pawru Walalu (Walls Within) en fait la démonstration en mettant scène une femme, séparée de son mari et mère de deux filles. Elle a une certaine autonomie et, dans sa vie laborieuse, un homme, qu’elle a jadis aimé, réapparaît. Le film se déroule dans les années 1960 et met en lumière les interdits de la société et de la religion chrétienne vis-à-vis du désir ou du libre-arbitre d’une femme. Les droits niés, les convenances et la culpabilité lui feront perdre la raison. « Lorsque j’ai réalisé ce film, je me suis demandé si j’étais prêt à accepter de regarder ma mère comme un être humain à part entière. »

Ces trois films marquent des constantes dans la filmographie de Vithanage, les femmes, leur émancipation, l’impact des religions sur la vie sociale et personnelle, le pouvoir.

Purahanda Kaluwara (Death on a Full Moon Day/Mort un jour de pleine lune), sorti la même année que Pawru Walalu (Walls Within), est un film qui semble à première vue à part, la recherche sur les paysages en tant que personnage à part entière transfigure en quelque sorte l’argument du film. La nature agit sur ce vieil homme aveugle comme un guide vers une tragédie qui touche tout le pays. La guerre et la mort. Le film se déroule dans un village. Un vieil homme attend le retour de son fils, mais c’est un cercueil scellé qui est renvoyé à la famille. Le jeune homme a été tué par une mine et il est interdit d’ouvrir le cercueil. Sur l’argent qui doit parvenir à la famille, tout le monde fait des hypothèses alors que le père refuse l’évidence de cette mort. Pourquoi est-il interdit d’ouvrir le cercueil ? Il est convaincu qu’on lui cache la vérité, que son fils n’est pas mort et d’ailleurs que signifie cette somme d’argent pour accepter l’inacceptable ? Le film se déroule comme un conte philosophique qui pourrait s’intituler la nature et le vieil homme révolté.

Le cinquième film de Vithanage parle de la guerre en direct, de la mort et de la disparition. Ira Madiyama (August Sun) a été tourné dans la région nord du pays, pendant le cessez-le-feu et montre les méfaits de la guerre civile sur la population. Ce sont deux jours et « trois histoires de personnes emportées par la violence de la guerre et qui luttent pour garder leurs espoirs et leurs rêves. Ce film est sur leur quête de la vie. » Arfath, adolescent musulman vivant dans la région du Mannar, est chassé de son village par les Tigres et séparé de sa chienne, Rex ; Chamari est à la recherche de son compagnon, pilote dans l’armée, qui a disparu et dont elle est sans nouvelle ; enfin Duminda, jeune soldat, tente de retrouver sa sœur qu’il croise dans une maison de passe pour militaires. Trois histoires, trois errances, trois comportements liés à la guerre civile, à la douleur, à l’inconscience et au refus d’une violence absurde. Ce film est une condamnation radicale de la guerre, de l’idéologie qui la soutient et de l’aveuglement des responsables. La fin du film laisse cependant une ouverture, infime mais tenace, l’adolescent retrouve un jeune chien, Chamari participe à une marche pour la paix et le jeune soldat reconstruit une relation avec sa sœur sur un secret partagé.

Reste Akasa Kusum (Flowers of the Sky) qui est une ode à l’émancipation des femmes. Une ancienne gloire du cinéma, Sandhya Rani (interprétée par une grande comédienne, Malini Fonseka) fait le bilan : sa sœur et la famille profitent d’elle, elle a sacrifié sa petite fille, Priya, à sa carrière… Et pourquoi ? Le récit repose tout d’abord sur un constat de vacuité, d’amertume où le nœud des non-dits est un secret douloureux. Un scandale, l’arrivée d’une jeune comédienne qui plaque son compagnon, la réapparition de sa fille bousculent sa vie et provoquent une prise de conscience sur la futilité des conventions et la nécessité de les briser.

Vithanage est parvenu avec ce film à une maturité qui lui permet d’aller du particulier à l’universel. Le refus de jouer un rôle social assigné est d’autant plus dramatique lorsque Priya décide de ne pas avorter. Et son amie réagit : « Tu es folle ! Tu veux avoir un enfant de père inconnu et seule ! » Mais la jeune femme, meurtrie par l’abandon de sa mère, répond : « Je ne veux pas être comme elle. Je ne l’abandonnerai pas ». Le film est tout entier dédié à l’autonomie des femmes et à leur lutte pour des droits égalitaires, en dépit des coutumes, des convenances et des croyances. Une réalisation bouleversante, féministe, pleine d’humour aussi… Un éloge à l’humanité.

Le passage à Paris de Prasanna Vithanage, venu présenter son film, Akasa Kusum (Flowers of the Sky), au festival de Vesoul, a été l’occasion de le rencontrer.

Christiane Passevant : Je voudrais commencer cet entretien avec votre premier long métrage, en 1992, Ice on Fire ou Glace en feu. Le personnage principal est une femme accusée d’avoir tué un enfant, le fils de son amant. Mais le doute demeure, a-t-elle tué ce jeune garçon et pour quelles raisons ? Il semble que cette histoire soit une sorte de parabole. Quel était votre but dans ce premier film ?

Prasanna Vithanage : J’ai commencé à tourner en 1989 et le film est sorti en 1992. En fait, il est basé sur un incident réel, un meurtre, qui a eu lieu à la fin des années 1960 au Sri Lanka. J’ai été attiré par cette histoire parce qu’elle montre comment le système condamne, et surtout comment se fabrique une accusation. Une jeune femme est accusée d’avoir tué un enfant ; et tant la police que la justice utilisent cette femme qu’ils connaissent. Elle est l’accusée parfaite. J’ai donc structuré le film autour de l’histoire officielle qui a contrôlé les medias, la police et les structures du pouvoir, mais aussi autour de l’histoire réelle. À l’issue du film, seul le public connaît la vérité sur le meurtre.

J’ai été influencé alors par la politique sri lankaise, même si le film a un petit côté hollywoodien et semble plus dramatique que mes autres films. À cette époque, le gouvernement contrôlait les medias ; seuls les medias du pouvoir avaient accès aux informations. Le film parle d’une histoire personnelle, mais dans un contexte politique et social. Ce film est tout à la fois un mélodrame et une photographie sociale de l’époque.

Christiane Passevant : Cette femme est en fait condamnée d’emblée parce qu’elle veut être libre. Elle ne veut ni se marier ni se conformer aux convenances, même si par la suite elle évolue. Elle exprime une volonté d’autonomie à une époque où c’est tout à fait inacceptable. C’est pour cela que la société ne pose pas la question de sa culpabilité ou de son innocence. Elle est coupable. La prévention d’innocence n’est pas évoquée en raison de son refus des règles établies.

Prasanna Vithanage : Exactement. J’ai lu le journal de cette femme où elle écrit qu’elle ne croit pas aux institutions comme le mariage parce que la base du mariage est, à ses yeux, l’hypocrisie. Elle est plutôt tentée par une amitié amoureuse. Mais l’attachement qu’elle a pour cet homme lui fait désirer une relation dans la norme. À Sri Lanka, cela signifie former une famille, avoir des enfants. C’est donc en raison de son indépendance qu’elle a été condamnée. Elle a représenté une image contraire aux institutions. Et en même temps, en voulant jouer le jeu, elle a été détruite. C‘est sa détresse qui a donné l’idée du film.

Christiane Passevant : Peu importe finalement si elle est coupable ou non — je ne pense qu’elle le soit —, elle est l’unique personne sincère de toute l’histoire. À l’inverse, la mère de l’enfant qui est tout à fait normée, n’aime pas son mari — l’union a été arrangée —, et veut uniquement sauver les apparences. Elle vit dans une parfaite hypocrisie. L’héroïne du film aime les gens. Elle est naturelle et spontanée, à la fois innocente et désirable. Elle est d’ailleurs désirée par nombre d’hommes de ce milieu bourgeois qui défend les normes. Elle est la victime toute désignée de ce type de société. C’est ce que montre le film ?

Prasanna Vithanage : C’est tout à fait cela. Mais vous parlez d’émotions qu’en tant que cinéaste je n’ai peut-être pas perçues. Cependant cela me paraît juste. Lorsque je regarde mes films, j’essaie d’avoir un regard critique. Si je réalisais ce film aujourd’hui, je pense que le personnage principal serait plus autonome, plus indépendant. En revoyant la scène où elle danse, je crois que je décrirai plus l’environnement de cette femme, son vécu. J’en ferai définitivement une femme plus indépendante.

Larry Portis : Selon ma perception de l’héroïne, l’étude de sa psychologie est le nœud et l’intérêt du film. Mais je ne la vois pas comme une personne indépendante. Ses déclarations ressemblent plutôt à des bravades car elle change radicalement d’attitude dès le début de sa relation amoureuse avec le personnage masculin. Et je me suis demandé s’il s’agissait là de l’étude du caractère de cette femme ou bien de toutes les femmes ?

Prasanna Vithanage : Faire un film implique surtout de l’intuition. Peut-être que cela touche au vécu des femmes sri lankaises. Mais en même temps, au-delà du cas de cette jeune femme, faire partie de la société, accepter les institutions, le mariage, la famille, est central dans l’argument du film. Par rapport à votre question, j’ai en fait tenté de comprendre cette situation particulière, cette femme et la société sri lankaise. Et je continue, mais avec plus de maturité. Le film représente ce que j’ai compris à cette époque.

Larry Portis : À un moment du film, elle évoque la vie dans un couvent et sa relation frivole avec le laitier. Mais nous ignorons pourquoi. Pourquoi le couvent ? Pourquoi avoir des relations faciles avec des hommes ? Car c’est à la fois l’expression de son indépendance et de sa servitude.

Prasanna Vithanage : Pour revenir sur cet épisode, son attitude tient en effet de la bravade. S’agissant de son éducation catholique, quasiment toutes les filles qui ont eu ce type d’éducation vont au couvent. Cette appartenance implique aussi une influence hollandaise. Cela donne des indications sur son milieu. Je suis d’accord sur le caractère de bravade concernant son attitude.

Christiane Passevant : Pourquoi ce titre, Glace en feu  ?

Prasanna Vithanage : Le titre original, en cinghalais, fait allusion à une image photographique. La glace en feu évoque une explosion et fait référence à l’évolution de la relation entre la jeune femme et son amant. Au début, la relation amoureuse laisse entrevoir une simple aventure, mais, peu à peu, la jeune femme devient possessive. Et cette possessivité explose. Dans ces circonstances, elle ne peut plus contrôler ses sentiments. Lorsqu’elle se montre possessive, la relation explose, d’où l’image de la glace en feu.

Larry Portis : Elle est prise d’une sorte d’hystérie. Cela apparaît d’ailleurs dans un autre de vos films. Vos films sont sur les femmes principalement, et sur la pression sociale qu’elles subissent. Dans Walls Within, le personnage principal a été abandonné par son mari et lorsque celui-ci revient pour rappeler les convenances, elle devient folle.

Prasanna Vithanage : C’est en effet dans Walls Within que se posent à la fois des questions personnelles et politiques. Personnellement, dois-je me considérer comme issu de la majorité ? Cinghalais et bouddhiste ? Du groupe ethnique majoritaire à Sri Lanka ? J’ai été élevé dans un environnement catholique, et pour moi l’Église représente une sorte d’institution. Je ne pratique pas de religion et je ne me sens pas comme faisant partie d’un quelconque groupe ethnique. Mais ma maison était proche d’une Église catholique.

Lorsque j’ai réalisé ce film, je me suis demandé si j’étais prêt à accepter de regarder ma mère comme un être humain à part entière. À Sri Lanka, l’Église catholique était contre l’avortement, surtout à l’époque où j’ai situé le film — au début des années 1960. À mes yeux, l’Église était foncièrement une institution contre le bonheur personnel des gens. Pour cette femme seule, entièrement dédiée à la famille, rencontrer cet homme qu’elle avait aimé autrefois, mais dont elle avait été séparée peut-être par décision de ses parents, c’est un choc. Elle a des enfants adultes, son époux l’a quittée, et elle se sent coupable vis-à-vis de cet homme qui réapparaît dans sa vie. Elle ressent un sentiment dicté par la religion. L’homme est souffrant, il a des difficultés à marcher et elle se sent responsable. Donc elle décide de l’aider. Mais le contexte de la religion va affecter ses sentiments et la forme de bonheur qu’elle connaît alors. La religion ne peut en aucun cas permettre un bonheur qui ne respecte pas les règles sociales.

Larry Portis : C’est en fait contradictoire, d’un côté elle se sent obligée d’aider cet homme, en jouant le « bon samaritain », mais par cette aide elle se place dans une situation qui renforce son sentiment de culpabilité.

Prasanna Vithanage : C’est exactement la situation.

Louise : Cet homme, Victor, est complètement passif. Il ne soutient pas l’héroïne et ne l’aide pas non plus. Il semble simplement profiter de la situation sans se soucier des conséquences pour cette femme qui l’accueille. Le personnage est négatif.

Larry Portis : Les femmes sont généralement plus responsables que les hommes, cela semble quelque chose de presque constant dans vos films. Les femmes, plus que les hommes, assument leurs responsabilités. Mais c’est sans doute vrai dans toutes les sociétés.

Prasanna Vithanage : Je pensais en particulier à la société sri lankaise. Ce que j’ai pu observer autour de moi m’a confirmé dans ce sentiment. Je dirais d’ailleurs que c’est plus une intuition qu’un constat. Après avoir réalisé ces films, avec le recul, je peux en faire une analyse. Mais je dois dire que lorsque que je suis en cours de réalisation, les idées, les personnages émergent spontanément, ils découlent de mon observation personnelle, de la vie, de la société, des personnes autour de moi… Pour revenir au personnage de Victor, il est incapable de faire face aux responsabilités, il est seulement là.

Christiane Passevant : Le mari, en revanche, est un personnage dur et autoritaire.

Prasanna Vithanage : Les époux sont séparés. Il a quitté sa famille, mais à cette époque, la religion catholique ne permettait pas le divorce. Le mariage se faisait « dans le ciel », pour toujours, du moins c’est ce que les catholiques croyaient. Donc impossible de casser le mariage, de divorcer, même en étant séparés depuis longtemps. Le mari vit une autre vie.

Larry Portis : Les mariages arrangés sont-ils pratiqués chez les catholiques sri lankais ?

Prasanna Vithanage : Il y a des mariages arrangés.

Larry Portis : « Dans le ciel » ?

Prasanna Vithanage : Oui. (rires)

Louise : Mais les mariages ne sont pas forcés, seulement suggérés, et si les deux partis concernés sont d’accord.

Larry Portis : Ce qui suppose les deux familles dans leur intégralité !

Christiane Passevant : La scène où la fille aînée reproche à sa mère sa conduite, de sacrifier sa réputation, la honte qui rejaillit sur la famille, et enfin de mettre en péril le mariage de la fille cadette, l’héroïne fait une remarque intéressante : « quand ton père est parti, il n’y a pas eu tant d’histoires ».

Prasanna Vithanage : C’est ce qu’elle pense, mais la pression des croyances religieuses, des convenances et leur effet vont néanmoins l’affecter. Sa remarque est juste, mais au fond d’elle-même elle pense avoir fait quelque chose de mal. Ce que, personnellement, je ne pense pas. D’où son sentiment de culpabilité par rapport à l’avortement. Elle demande pardon à Dieu et imagine que sa maison est lapidée. C’est dans son imagination. Et cela fait aussi partie de l’imagerie religieuse qu’on lui a imposé depuis son enfance.

Larry Portis : Vos films sont par bien des aspects antireligieux. Dans tous vos films, vous évoquez les religions, islam, bouddhisme, chrétienté. Et il semble que les sources des difficultés humaines résident dans les religions.

Prasanna Vithanage : Lorsque je réalise un film, je n’essaie pas d’imposer mes idées. J’utilise mes observations et si j’ai l’impression de faire fausse route, je change. Mais j’essaie aussi de m’imprégner des différents personnages. C’est mon observation de la vie et des êtres humains qui prime. Ce que je pense des religions organisées ? Je crois qu’il faut lutter contre une religion qui devient une institution, une partie de l’État, et qui s’oppose au bonheur des êtres humains.

Larry Portis : Ni Dieu ni maître.

Prasanna Vithanage : Dans mes films, August Sun par exemple, les personnages sont tous à la recherche de quelque chose, d’une sœur, d’un compagnon… Et quand les personnes ressentent un sentiment profond d’abandon, elles sont prêtes à s’agenouiller devant un Dieu quelconque, Christ, Bouddha… Mais d’où viennent ces images ?

Christiane Passevant : Dans vos films, si la religion s’additionne au pouvoir, tout ce qui en découle est négatif.

Prasanna Vithanage : C’est tout à fait clair.