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Les Amours imaginaires de Xavier Dolan
Christiane Passevant
Article mis en ligne le 6 décembre 2010
dernière modification le 24 décembre 2011

par CP

Les amours imaginaires… c’est vintage !

Le film de Xavier Dolan revisite les rapports amoureux aujourd’hui sur le mode du marivaudage ironique et même empreints de scepticisme. En laissant vagabonder la parole de sa génération, grâce aux monologues qui jouent un peu le rôle de coryphée, le jeune cinéaste réalise en quelque sorte un instantané sociologique, le portrait d’une certaine jeunesse canadienne.

Leurs préoccupations ? En tout premier lieu « l’amour », mais si la question est récurrente à travers les monologues qui ponctuent le récit des « amours imaginaires » de Marie et Francis, est-ce vraiment de cela dont il est question dans le film ? N’est-ce pas plutôt l’idée du désir et du regard de l’autre qui revient dans la parole intrusive des connaissances, des rencontres fortuites qui croisent les "émois" des deux personnages
principaux ? Le désir, l’attirance, le fantasme, le manque de… La question reste ouverte puisque le film se termine sur un retour à la case départ.

L’amour ? Il s’agit d’abord de se situer sur une échelle des rapports amoureux, des tendances sexuelles, qui va de un à six explique l’un des intervenants. Est-on hétérosexuel straight ? Bisexuel-le ? Ou homosexuel-le ? Comme s’il fallait s’appliquer des critères assez conventionnels, des étiquettes alors qu’en même temps est revendiquée une liberté, mais seulement en apparences.

Après le succès de son premier film, J’ai tué ma mère, le jeune cinéaste réalise un film sur une classe moyenne, plutôt privilégiée, à la recherche de l’autre, mais de quel-le autre ? Le mythe de la « petite maison dans la prairie » ne marche plus et être amoureux-se ne signifie plus le
« fun » ; drôle d’ambiance où le désir doit faire passer la pilule de l’ennui.

Des dialogues très écrits qui semblent jouer sur l’ambiguïté et les contradictions revendiquées. L’on sourit, l’on rit même, mais jaune diront certain-es, ou bien encore l’on — cette génération —rejette en bloc la vision de Xavier Dolan comme pour se déconnecter d’une quelconque identification avec les personnages, ou bien pour refuser que, finalement, être paumé-e a toujours existé, différemment bien sûr, et qu’il faille l’oublier en devenant adulte. Oubliés les atermoiements amoureux et les états d’âme nombrilistes ? Pourtant… Woody Allen n’est pas loin des chassés-croisés mis en scène par Xavier Dolan. Le film de Dolan est truffé de références cinématographiques, allant de Godard — la nouvelle vague a une influence certaine sur sa vision cinématographique — à Stephen Frears et à bien d’autres.

Voir le film dans une salle comble, à majorité entre 22 et 30 ans, est une expérience intéressante, la mise en distance n’étant pas le fait de ce public. Il est des films pour lesquels la réception du public accompagne ce qui se passe sur l’écran et Les Amours imaginaires en font partie. Un film léger certes, mais ironique et tendre également.
Quelques longueurs, notamment durant la partie de campagne… Quoique… Le plan en contre-plongée de la cime des arbres à l’automne… Une réminiscence de Quand passent les cigognes (Mikhaïl Kalatozov) ? Marie tirant sa valise sur le chemin avec ses high heels plantés dans la boue, c’est une séquence qui vaut le détour.

Le film est construit autour de petits détails, de saynètes, de flashs issus du vécu, un patchwork dont le fil rouge est la quête de Marie et Francis. Leur amitié semble être d’ailleurs le seul sentiment stable et non dépendant d’attirances fugaces. Marie et Francis sont liés par cette amitié et partagent une connivence qui va jusqu’à "craquer" sur les mêmes garçons. Un en particulier, « bellâtre » entrevu dans une soirée. Toutes les conditions des amours imaginaires sont réunies, avec projections, quiproquos et petites blessures dont joue l’éphèbe "boucles d’or" qui fait immanquablement penser au bel adolescent de Mort à Venise de Visconti, avec bien entendu une bande son bien différente puisque l’on passe de Mahler à Dalida.

« À l’origine, je ne devais pas tourner ce film. Je revenais d’un road trip en compagnie de deux amis, Niels et Monia. Le voyage avait été particulièrement riche en péripéties, et de déserts arides en pittoresques obèses, notre huis clos intensif avait fait germer l’idée d’un projet inspiré de notre triumvirat. » Monia Chokri est une Marie parfaite, prise entre son autonomie, ses phrases choc qu’elle assène à ses amants de passage à propos de ses clopes — la smoke, ça cache la merde. — et son côté fleur bleue.

Dans le film de Dolan, la parole des femmes est particulièrement intéressante, oscillant entre indépendance revendiquée et fantasme de soumission aux amours imaginaires. Une parole qui tourne autour de ces contradictions exprimées notamment par une jeune femme qui résume la fin d’une liaison amoureuse ; tant que l’objet du désir était en Europe, séparé par l’océan, la fantasme amoureux se nourrissait de l’éloignement, mais la vie en commun y met fin : traverser l’océan… Mais traverser le couloir, c’est évidemment moins "romantique" ! Cette génération serait-elle à la recherche d’un romantisme du désir ? Une épaule découverte, une boucle qui voile le regard, un sourire ébauché, une robe rétro, toute la panoplie actuelle de la séduction est déployée. Marivaudage au Québec, séduction vintage…
Bien sûr, c’est vintage !


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