Chroniques rebelles
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Elio Petri. Un cinéaste oublié ? (1)
Christiane Passevant
Article mis en ligne le 6 décembre 2010
dernière modification le 3 octobre 2010

par CP

Au cours du 31e festival du cinéma méditerranéen de Montpellier, une rétrospective des films du cinéaste Elio Petri a permis de voir neuf de ses films. Rare occasion de découvrir ou de revoir des œuvres majeures du cinéma italien de l’après Seconde Guerre mondiale. [1].

Pourquoi ce cinéaste original, et reconnu, a-t-il quasiment disparu des écrans ? Elio Petri est-il encore plus dérangeant aujourd’hui qu’à son époque ?
N’existe-t-il plus de débat critique et de cinéma engagé en Italie ?
Elio Petri est-il « enterré par le système », comme le suggère Robert Altman dans le documentaire, Elio Petri, notes sur un auteur, de Stefano Leone, Federico Baci et Nicola Guarneri ?

Il est vrai que les films de Petri, depuis l’Assassin (1961), sont de véritables coups de poings par les questions qu’il soulève et qui n’ont certainement rien de consensuel. Todo Modo (1976), La Dixième victime (1965), À chacun son du (1967), Un coin tranquille à la campagne (1969), La Classe ouvrière va au paradis (1971) ou encore le magnifique Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (1970) sont tous des attaques du système en même temps qu’annonciateurs de dérives médiatiques et de crises politiques. Films d’auteur, films populaires, Elio Petri a réalisé des films assurément sulfureux et singulièrement toujours aussi novateurs dans le récit filmique.

Le documentaire, Elio Petri, notes sur un auteur, de Stefano Leone, Federico Baci, Nicola Guarneri, analyse à travers les témoignages de Vanessa Redgrave, Bernardo Bertolucci, Franco Nero, Robert Altman, et des interviews de Petri lui-même comment l’œuvre du cinéaste « s’est concentrée sur une série de personnages qui, avec leurs névroses, leurs problèmes mentaux et leurs phobies révèlent à différents niveaux comment la répression de la société capitaliste a un impact sur l’individu ». Une démonstration percutante qui, à travers ses films, n’a peut être pas été égalée depuis. Le cinéma italien n’a peut-être plus actuellement la puissance subversive des films de Petri. L’humour noir et la critique acerbe qu’il y développe étant servis par un casting hors pair et une direction impressionnante des comédien-nes.

« Il faut être fou et aimer le cinéma pour faire un film » a-t-il déclaré. Fou de cinéma, certes Elio Petri l’était. Issu d’une famille pauvre, il dit avoir choisi d’instinct la classe ouvrière et, tout naturellement, être devenu communiste dans cette Italie de l’après-guerre : « Mon école a été la rue, les cellules du PC, le cinéma, les bibliothèques où je lisais les journaux du parti. »

Dans Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, il traite de l’autoritarisme et fait ce constat : « On redevient des enfants face à l’ordre établi. ». Le contenu anticonformiste du film est une attaque virulente du système qu’il analyse dans des termes sans aucune ambiguïté : « L’État se manifeste au travers de la police. À l’égard du citoyen, l’État s’exprime par des lois qui sont normalement appliquées par l’exécutif ; or, l’exécutif est composé par la police et la magistrature. Les institutions qui représentent l’État dans la vie quotidienne sont toujours répressives ; il n’y en a pas une seule qui ne le soit pas, pas une seule qui puisse réellement être appelée démocratique. L’État développe une telle méfiance à l’égard des citoyens que toutes les institutions tendent au contrôle et à la vigilance. L’architecture de l’État est répressive et isolante : il s’agit de diviser les propriétés, de dresser des murs, de séparer, surveiller, contrôler… Il n’existe pas dans le corps de la société un seul moment qui soit libérateur à l’exception du vote.

L’État concède au citoyen la possibilité de s’exprimer par le vote, mais nous savons de quelle manière se manipule une élection. Ainsi, il s’agit d’une forme illusoire de libération. La magistrature, les codes sont répressifs. Un code n’est jamais une affirmation, il est toujours une négation, une interdiction : le code ne dit jamais ce que l’on peut faire mais ce que l’on doit faire. L’État est réellement le supérieur, le supérieur érigé en pouvoir universel. » On peut être plus clair. Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon n’a rien perdu de sa force et, aujourd’hui, la production des cinéastes semblent bien frileuse en comparaison des films réalisés par Elio Petri qui fit ce commentaire sur la société et l’industrie du cinéma : « À la fin de ma vie, je fis des films déplaisants pour une société qui voulait du plaisant même dans l’engagement alors que mes films allaient au-delà du déplaisant. » Pourquoi ? « Parce que j’ai la nette sensation d’avoir atteint un point où toutes les prémisses du temps de ma jeunesse n’ont plus de sens. La société suit une autre voie et cela ne pouvait que me marquer profondément. »

Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon a gagné l’Oscar du meilleur film étranger à Hollywood en 1970 et le prix du jury à Cannes.

La Classe ouvrière va au paradis a remporté la palme d’or au festival de Cannes en 1973. Pourtant la projection à la fin du montage, n’avait guère soulevé d’enthousiasme de la part du milieu du cinéma : « le public a beaucoup aimé le film. Donc peut-être que les gens du cinéma se sont trompés », a déclaré Paola Petri lors de la présentation de la rétrospective au festival du cinéma méditerranéen. Faire un tel
portrait d’ouvrier n’était donc pas conforme à l’imagerie de la gauche de
cette époque : « on considérait que l’ouvrier était forcément exemplaire et il fallait passer certaines choses sous silence, faire comme cela n’existait pas. » Mais « Elio était un pessimiste optimiste et les reproches à propos de ses films l’ont profondément choqué. » Revoir le film quatre décennies plus tard souligne une évidence : la consommation a détruit la conscience de la classe ouvrière. Et de ce point de vue, Elio Petri était un précurseur au plan social et politique.

À signaler que le lundi 4 octobre (20h), la cinémathèque française (Paris) projette La Dixième victime d’Elio Petri.