Chroniques rebelles
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Même pas drôle. Philippe Val de Charlie Hebdo à Sarkozy de Sébastien Fontenelle (Libertalia)
Samedi 16 octobre 2010
Article mis en ligne le 16 octobre 2010

par CP

« Le journalisme, selon Val, qui manque rarement une occasion de prodiguer de sévères (mais justes) leçons d’éthique et de déontologie, doit en théorie s’attacher aux faits, sans bien sûr s’interdire l’analyse, mais en prohibant, tout de même, toute opinion qui serait fondée sur d’autres opinions – sur des présupposés, idéologiques ou autres – plutôt que sur la réalité.
Sa pratique, tout au long de l’évolution qui l’a fait passer en dix ans de la moquerie de "l’Aimé Jacquet de la pensée" à l’intégration du cercle des "amis de Bernard-Henri", fut parfois un peu différente : on ne compte plus les malheureux qui, parce qu’ils avaient commis un crime de lèse-Val en lui portant la contradiction, ou plus généralement parce qu’ils avaient pensé trop à l’écart de la doxa dominante, se sont vu intenter d’extravagants procès d’intention. Au vrai : Val aurait eu tort de se gêner, puisque cette digne et pesée conception de son métier, où les puissants – élus, patrons, éditocrates – n’ont trouvé qu’assez peu de vrais motifs de fâcherie, lui a finalement ouvert un accès vers le firmament de l’audiovisuel étatique, sous le règne, décomplexé, de Sarkozy.
 »

La nomination de l’ex-patron de Charlie Hebdo à la direction de France Inter avec la bénédiction de Nicolas Sarkozy fut en 2009 l’apothéose d’une longue décennie de réalignements idéologiques. Entre 1999 (année de sa prise de position en faveur de l’intervention de l’Otan au Kosovo) et 2009, Philippe Val a en effet amendé nombre de ses points de vue, passant de la gauche altermondialiste à la récitation de psaumes conservateurs.

Même pas drôle ! Philippe Val, de Charlie Hebdo à Sarkozy.

Même pas drôle… C’est le moins qu’on puisse dire devant cette suite d’éditoriaux et de leçons données sur le mode hargneux, délirant et pathétique. Vous ne pensez pas comme lui qui est un modèle de la démocratie ? Alors, au choix : vous êtes un ou une traite, ou bien vous donnez dans le crétinisme. Ah le choix est étroit selon la sentence du grand moralisateur !

Un exemple parmi bien d’autres, Serge Halimi. En 2000, celui-ci commet, avec Dominique Vidal pour le Monde diplomatique, un article qui démontre que la « “justification de la guerre menée par l’Otan” au Kosovo “a perdu beaucoup de sa crédibilité” […]. Les deux journalistes mentionnent notamment, que Val, très “à rebours des traditions satiriques libertaires
et pacifistes de son hebdomadaire”
[Charlie Hebdo], a contribué à
ce qu’ils appellent un véritable “conditionnement de l’opinion”
 ».

Au rappel de son engagement va-t-en-guerre au Kosovo, un an auparavant, Philippe Val se déchaîne et dénonce des propos diffamants. Dans la foulée, à l’« obsession maladive » et aux « petits fusibles fondus » qu’il décèle chez Serge Halimi, il ajoute sa « déchéance morale » — le journal PLPL
lui reste visiblement en travers de la gorge. Val lui reproche aussi son
rôle de « parasite dans la charpente », jugeant qu’il ne faut pas cracher
dans la soupe médiatique — autrement dit : critique interdite des actionnaires, en l’occurrence Le Monde — et enfin, note finale, il l’accuse de sympathie pour les totalitarismes et conclut en proclamant une filiation du travail de journaliste d’Halimi avec la presse de droite des années 1930.
La méthode étant d’asséner des anathèmes à qui mieux mieux, sans preuve et surtout pas dans la dentelle ! Mais calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ! Et plus c’est gros et plus ça passe !
Ce qui ressort de ses attaques, c’est que Serge Halimi le dérange rudement.

Pourtant, il avait applaudi son ouvrage, Les Nouveaux chiens de garde, dans lequel Halimi, « preuves à l’appui », fait la démonstration que
« les médias français, qui se présentent si volontiers comme un
contre-pouvoir, sont en réalité dominés “par un journalisme de révérence,
par des groupes industriels et financiers, par une pensée de marché,
par des réseaux de connivence”. Dès lors, “dans un périmètre idéologique
minuscule, se multiplient les informations oubliées, les intervenants permanents, les notoriétés indues, les affrontements factices, les services réciproques” — avec le navrant résultat qu’“un petit groupe de journalistes omniprésents”, omniscients et omnipotents, “impose sa définition de l’information-marchandise” à toute une profession : “Ces appariteurs de l’ordre sont les nouveaux chiens de garde de notre système économique.
 »

Bien dit ! Mais si, quelques années auparavant, Philippe Val avait aimé ces propos, une fois confronté à ses propres contradictions… Le jugement est différent et il s’agit alors de fustiger la « déchéance morale » du même
Serge Halimi ! Singulière évolution d’un humoriste qui, bien avant d’être
le patron de Charlie Hebdo, jouait sur scène, avec Patrick Font, les trublions. Les deux compères ont même produit des spectacles au
théâtre Dejazet, et certains en soutien de Radio Libertaire.
Eh oui, le même Philippe Val !

Dans Même pas drôle. Philippe Val, de Charlie Hebdo à Sarkozy,
Sébastien Fontenelle souligne le contraste saisissant, entre le Val qui,
devenu patron de France Inter sous Sarkozy, licencie en juin 2010 les humoristes Stéphane Guillon et Didier Porte, et le Val qui, patron de
Charlie Hebdo, rédigeait en 2007 de bouleversantes plaidoiries pour la
liberté d’expression, jurant que « tout ce qui pourrait prêter à controverse » pouvait et devait être librement dit, et qui écrivait par exemple :
« À chaque fois que l’on recule, à chaque fois que l’on est prudent ou responsable à l’intérieur de nos États de droit, on perd l’estime de ceux qui nous font reculer, ils ne font que nous mépriser car devant eux, nous piétinons nos propres valeurs. »

Forum à Publico, 145 rue Amelot, 75011 Paris, le 13 novembre à 16h30.