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Israël à travers le prisme du cinéma
Christiane Passevant
Article mis en ligne le 6 octobre 2010

par CP

Le festival du film méditerranéen de Montpellier est toujours l’occasion de découvrir le cinéma israélien d’auteur et populaire, cinéma pour une part très engagé dans la peinture d’une société contradictoire, militarisée, et dans la description du conflit israélo-palestinien. Le 30e festival a notamment présenté deux films, deux facettes de la société israélienne avec pour interprète principal le formidable comédien, Moshe Ivgy. Deux registres — comédie pour Out of the Blue d’Igal Bursztyn [1] et drame pour Restless d’Amos Kollek [2] —, deux histoires qui illustrent la diversité créative du cinéma israélien et son implication dans la (re)présentation de la réalité sociale.

Dans Restless d’Amos Kollek, Moshe vit à New York de petites combines, mais s’en tire difficilement, pris entre ses contradictions et un esprit critique acerbe. Écrivain et poète satirique, Moshe était connu en Israël, mais vingt ans auparavant. Fuyant alors une paternité qu’il ne pouvait assumer et très critique de la politique de son pays, il est parti aux Etats-Unis et y végète depuis.

À New York, un homme en perdition, alcoolique, un père en déni de paternité et, en Israël, son fils devenu sniper dans l’armée israélienne, spécialisé dans les assassinats extrajudiciaires de militants palestiniens dans les territoires occupés. Quand il vise pour tuer, il pense à son père qui les abandonnés, lui et sa mère.

À la mort de la mère, dépressive et droguée, les événements se précipitent, le fils tue accidentellement un enfant et quitte l’armée.
Moshe, de son côté, se voit faire une proposition par le patron d’un bar qu’il fréquente : amuser la clientèle en disant ses textes pour solder son ardoise.
Et le voilà sur scène, n’y croyant plus :

« J’ai grandi dans une famille où nous ne possédions rien,


Des immigrés marocains, dans un pays plein d’Ashké-nazis,


Mes parents étaient trop pauvres pour m’acheter des chaussettes,


Je savais que ma seule échappatoire, c’était ma vivacité d’esprit,

ma façon de jouer avec les mots, mon esprit,


Alors, j’ai essayé de devenir poète.


Comme mon fils, aujourd’hui, j’ai été soldat, à l’époque,


Je n’ai fait qu’obéir aux ordres, mais au plus profond de moi,

je pensais : « Bon, mais, et ma vie ? »


Ainsi, j’ai servi mon pays, et puis, un jour, je me suis barré.


Je n’ai jamais jeté un seul regard en arrière, ça, je peux vous le garantir.

Je ne voulais pas voir ce que je laissais derrière moi,

vous auriez sans doute fait comme moi.


Après tout, je suis un juif doté d’une conscience.


Quand je tue, cela m’étouffe.


Je sentais que j’étais au bout du rouleau.


Je voudrais dire que… j’ai eu le courage de faire un choix.


Voilà : c’est moi, en quelques mots. »

Textes crus, sans compromis qui touchent, choquent et attirent de plus en plus des consommateurs. Moshe, inspiré par les réactions qu’il provoque, va très loin dans son constat, en direct de « la forteresse israélienne de New York » : « J’étais perdu, au pays. Vous tuiez des femmes et des enfants palestiniens, et vous appeliez ça servir le pays ! »

Son fils débarque à New York, paumé, avec l’intention de tuer ce père qu’il tient pour responsable de la déchéance et de la mort de sa mère, de sa malchance et de sa haine. La rencontre ne sera pas simple entre le père qui se reconstruit et le fils déraciné.

Restless est un film puissant qui soulève bien des questions et des débats sur l’exil, l’occupation, la militarisation de toute une population et les séquelles sur les mentalités. Le nationalisme se nourrit du déni de l’Autre et la peur orchestrée lui sert de ciment.

Out of the Blue d’Igal Bursztyn est un film plus léger, mais non moins ironique concernant les classes sociales, la société de consommation et les nouveaux riches du système.

Deux brocanteurs, Shabtai et Herzel, recyclent ce qu’ils trouvent dans la rue ou les débarras pour le revendre. Marginaux et combinards, ils nous entraînent dans un Tel-Aviv méconnu — le film se déroule tout d’abord dans « un quartier ouvrier qui, auparavant, était habité par des immigrés des années 1950 » —, à la recherche des poubelles et de la petite
« occase ».

Dans sa camionnette, Shabtai rêve d’une séduisante femme-Barbie qui l’entraîne dans une passion érotique. Mais voilà qu’au gré de ses randonnées et des récupérations, il tombe sur la belle, en photo sur un panneau publicitaire pour des produits de beauté. Donc, elle existe, et il décide de la rencontrer, tandis qu’Herzel (Moshe Ivgy), le comparse, est amoureux secrètement de la fille de Shabtai. Le propos est onirique, plein d’humour et sous la forme d’un conte moderne, d’un « fantasme », mais il n’en est pas moins question de réalité sociale : « Le problème de la pauvreté est toujours lié à la situation des riches ».

Christiane Passevant : Pourquoi ce titre Out of the Blue  ?

Igal Bursztyn : La traduction française du titre original est la Main de Dieu [3]. En hébreu, c’est le Doigt de Dieu, ce qui signifie en fait le contraire de Out of the Blue, qui décrit quelque chose de soudain et d’inattendu. Mais le titre original ne signifie rien en anglais, en hébreu c’est le destin. Nous avons choisi ce titre en anglais pour deux raisons, pour son côté onomatopée qui sonne bien et ensuite parce que cela anticipait une fin heureuse alors que la situation de départ est plutôt morose. Il fallait aussi qu’il y ait de l’ironie, de l’humour jusque dans les titres contradictoires.

Christiane Passevant : Les deux personnages du film se disent cousins…

Igal Bursztyn : Ils ne sont pas cousins. L’un d’eux s’invente cette parenté, mais ils n’ont aucun lien familial.

Christiane Passevant : Les deux personnages sont-ils représentatifs, à vos yeux, d’une partie de la société israélienne ?

Igal Bursztyn : Oui et non. Ils sont Israéliens et vivent en Israël, mais je ne pense pas qu’ils soient représentatifs et d’ailleurs le terme me gêne, car il est lourd à porter.

Christiane Passevant : Considérez-vous vos personnages comme intégrés ou marginaux ?

Igal Bursztyn : Ce sont des marginaux sans aucun doute. Marginaux un peu stupides qui ne représentent qu’eux-mêmes. On pourrait peut-être dire qu’ils représentent un fantasme masculin, mais je ne suis même pas certain d’être d’accord avec cette idée.

Christiane Passevant : Le film est situé à Tel-Aviv. Dans quel quartier ?

Igal Bursztyn : C’est un quartier au sud de la ville, un quartier ouvrier qui, auparavant, était habité par des immigrés des années 1950, une sorte de village au milieu de la ville. À présent, il est en complète transformation, presque détruit, et les maisons sont remplacées par de grands buildings. Dans peu de temps, il aura disparu.
L’autre partie du film a été tournée dans un quartier proche, mais la rue où se trouve la villa de l’héroïne est habitée par des riches.

Christiane Passevant : La rue, dans laquelle vit Shabtai, porte un nom de héros. La rue existe-t-elle réellement ?

Igal Bursztyn : C’est bien possible. Beaucoup de rues portent des noms de héros. En France aussi je crois. Le film est très onirique et j’ai voulu revenir parfois à la réalité, grâce à des détails.

Christiane Passevant : Ma première impression du film est son caractère ironique et critique par rapport à la société de consommation. Les deux personnages vivent des ordures, des rebuts. Ils recyclent les déchets et en vivent. C’est la récupération et la débrouille.

Igal Bursztyn : C’est exact, la critique de la société de consommation ressort dans le film. Je n’y ai pas pensé en le tournant, mais à présent c’est assez clair. D’ailleurs, en y repensant, collecter les ordures, les recycler est en accord avec la tradition juive. Et peut-être les personnages appartiennent-ils à cette tradition.

Christiane Passevant : Pensez-vous qu’il y ait actuellement une paupérisation de la population israélienne ?

Igal Bursztyn : C’est certain. Shabtai est dans une situation plus difficile aujourd’hui qu’il y a vingt ans, mais plus facile qu’il y a quarante ans lorsque lui et ses parents ont émigré en Israël et vivaient dans des baraquements. Le problème de la pauvreté est toujours lié à la situation des riches. S’ils sont de plus en plus riches, la pauvreté est de plus en plus forte, question de proportions.

Christiane Passevant : Le personnage de la jeune femme, réelle et rêvée, ressemble à une poupée Barbie. A-t-elle été choisie dans cette intention ?

Igal Bursztyn : Elle était supposée être encore plus Barbie. Quand on lit le script, on pense au cliché car j’ai en effet voulu jouer sur cette image de Barbie consumériste. Cependant, la comédienne sort du stéréotype malgré son apparence, hormis dans les parties rêvées où elle garde l’aspect d’une Barbie désincarnée. Dans la partie réalité, elle est plus humaine que prévu lorsque je travaillais le script. J’avais alors à l’esprit la bonne fée de Pinocchio et des personnages du folklore israélien. Elle est un mélange de tout cela avec sa société de cosmétiques.

Christiane Passevant : Après sa rencontre avec les deux personnages, elle confie son appartenance au même milieu social. Elle était orpheline, pauvre…

Igal Bursztyn : Et a tout fait pour devenir riche. Parce que les orphelins n’ont pas le choix. Elle est une bonne illustration de ces
« nouveaux riches ».

Christiane Passevant : Votre film est-il, par bien des aspects, un conte ?

Igal Bursztyn : C’est évidemment un conte. En termes réalistes, c’est absurde. Comment une femme, belle et riche, serait-elle amoureuse d’un homme comme Herzel ? C’est un fantasme masculin, un conte masculin si vous voulez. Dans la réalité, je ne pense pas que cela soit crédible ou possible.

Christiane Passevant : Pourquoi avez-vous choisi Moshe Ivgy pour interpréter l’un des personnages principaux, le Candide ?

Igal Bursztyn : J’ai toujours admiré Moshe Ivgy, mais j’aime surtout ses films d’il y a une vingtaine d’années. Par exemple, Under the Nose (Mitahat La’af) où il joue le rôle d’un ganster jeune et innocent. Quand j’écrivais le script, j’ai pensé à lui et à ce rôle qu’il a joué il y a plus de vingt ans.

Dans la première version du script, le personnage d’Herzel était âgé de 30 ans, un jeune homme. Mais quand j’ai commencé à auditionner le casting, la plupart des comédiens de cet âge n’avaient ni cette innocence qui est la trame du personnage, ni la maturité nécessaire pour interpréter le personnage. Ils ne correspondaient pas au personnage que j’avais en tête. Alors j’ai contacté Ivgy et le fait qu’il soit plus vieux que le personnage et amoureux d’une jeune fille n’a pas été gênant. Il a cette innocence du personnage. Finalement, le script, le projet est une chose, la réalisation en est une autre.

Christiane Passevant : Le comédien qui interprète Shabtai, est-il connu ?

Igal Bursztyn : Oui, Alon Aboutboul est l’un des comédiens les plus populaires du cinéma israélien. Il a beaucoup de charme, il joue plutôt des rôles d’amants, un peu Don Juan, des rôles sentimentaux. Pour ce rôle, il a dû prendre du poids. Dans un premier temps, je n’ai pas pensé à lui pour le rôle de Shabtai, J’imaginais un homme gras, roux et avec une carnation blanche. En fait, je l’ai contacté pour le rôle du beau gosse de la météo à la télévision. Mais en discutant avec lui, je me suis souvenu de la Strada — qui est un film important pour moi depuis l’enfance — et du personnage interprété par Antony Quinn et Alon Aboutboul est devenu le personnage de Shabtai. Il fallait sans doute que le personnage soit plus violent que dans le script initial, alors l’interprétation d’Alon pouvait être intéressante. Je le lui ai proposé le rôle, avec des changements dans le scénario pour que cela colle mieux à son tempérament d’acteur. J’ai réécris le personnage de Shabtai pour Alon Aboutboul.

Christiane Passevant : Moshe Ivgy et Alon Aboutboul ont-ils pris du plaisir à jouer dans ce film ? Car l’on sent une complicité très forte dans leur jeu.

Igal Bursztyn : J’ai aimé travailler avec eux et ils ont dit qu’ils appréciaient également ce tournage. Mais il faut dire que le film avait un petit budget et ce n’est pas toujours facile de travailler dans ces conditions, car il faut toujours supprimer des choses à la dernière minute, changer des scènes… C’est un énorme stress. Il m’a fallu passer des nuits à réécrire des scènes parce qu’elles nécessitaient trop de lumières par exemple. Mais je ne suis pas sûr qu’en général cela soit négatif pour un film, parfois c’est même profitable d’avoir peu de moyens, mais cela est tout de même difficile bien que j’aime être confronté à ce type de challenge. Il faut résoudre très rapidement les problèmes et c’est souvent lourd. Après coup, quand on a réussi à terminer le film, ça va.

Christiane Passevant : L’homme de la météo ?

Igal Bursztyn : Il est également très connu. C’est un comédien plein
d’énergie.

Christiane Passevant : Quels ont été les délais de tournage ?

Igal Bursztyn : 24 jours en tout, avec les raccords.

Christiane Passevant : Le film a-t-il été distribué en Israël ?

Igal Bursztyn : Pas encore. Il est tout nouveau. Le public a bien réagi aux premières projections.

Christiane Passevant : Quels sont vos futurs projets ?

Igal Bursztyn : Je suis au stade de la recherche d’un budget pour un film basé sur la nouvelle d’Arthur Schnitzer, le Retour de Casanova [4], et j’ai découvert hier qu’un film a été réalisé en France sur le sujet. Dans mon projet, l’histoire se situe en Israël, aujourd’hui, et Casanova est un intellectuel de gauche. Il revient en Israël après avoir vécu à Berlin où il éditait une revue avec un Palestinien, Palestine Tomorrow, qui prônait la paix entre les deux peuples. Mais c’est un type désappointé, âgé qui revient en Israël et son surnom de Casanova ne se réfère qu’au passé. En Israël, les services secrets veulent l’utiliser pour ses liens avec le milieu qu’il fréquentait, mais il ne veut pas vraiment coopérer. Le problème est qu’ils l’ont fait sortir d’une prison allemande où il purgeait une peine pour dettes et il se trouve dans l’obligation de coopérer. Il essaie alors de manœuvrer afin de ne pas trahir ses anciens amis. Ce n’est pas du tout cette fois un conte comme Out of the Blue. Je ne peux pas dire que le projet soit plus engagé politiquement, mais il est certainement plus impliqué dans la politique et la morale, s’agissant des décisions à prendre.
En Israël, on se trouve souvent dans des situations où il faut prendre de graves décisions. Si l’on est dans l’armée, et je l’ai été, c’est au quotidien. Je peux vous parler de la situation bien que cela soit plus en relation avec ce projet de film — si j’arrive à le réaliser, car je dois trouver l’argent du film — qu’avec Out of the Blue.

L’histoire d’Arthur Schnitzler se situe au XVIIIe siècle avec un Casanova qui désire revenir à Venise, mais qui, en échange de son retour, doit espionner pour le compte des doges. J’ai donc pris cette histoire, ce ressort dramatique et je l’ai situé en Israël, dans le contexte actuel.

Christiane Passevant : J’espère voir ce film.

Igal Bursztyn : Et je souhaite le réaliser.

Entretien avec Igal Bursztyn, venu au festival du cinéma méditerranéen pour présenter son film en sélection Panorama, le 29 octobre 2008. Présentation, transcription, traduction et notes de Christiane Passevant.


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