Chroniques rebelles
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Indices. Documentaire de Vincent Glenn et Les grammaires de la contestation de Irène Pereira
Samedi 19 février 2011
Article mis en ligne le 19 février 2011
dernière modification le 6 mars 2011

par CP

Indices de Vincent Glenn
Documentaire - 2010 - Couleur - Vidéo - 81mn - France

Sortie nationale le 2 mars 2011

De nos jours encore, le PIB est l’indicateur de richesse le plus cité en référence dans les médias, par les économistes, les journalistes ou les élus politiques. Qu’est-ce donc qui fait continuer à préconiser l’augmentation du PIB coûte que coûte si celui-ci, pour reprendre l’expression de Robert Kennedy « sert à mesurer tout sauf ce qui fait que la vie vaut d’être vécue » ? Mystère...

Indices, le nouveau film de Vincent Glenn, expose les aberrations d’un mode de calcul qui additionne en positif les réparations occasionnées par les catastrophes, et que l’on continue un peu partout à utiliser comme éclairant le « niveau de vie » des nations.

Les grammaires de la contestation

de Irène Pereira (La Découverte)
Il ne s’agit pas, pour l’auteure, d’en dresser une liste, mais de comprendre les grands ressorts qui expliquent les différences entre les fractions de la gauche de la gauche et les passions qui les animent. L’auteure propose une grammaire qui permet de distinguer trois grands courants : républicain de gauche, socialiste, postmoderne. Ils peuvent se retrouver dans les mêmes organisations, s’allier entre eux, mais ils s’opposent à chaque fois qu’un débat de société surgit : sur le rôle du parti et des syndicats, la laïcité et la place des religions, le féminisme, les luttes minoritaires, etc. Ils ont des racines, des histoires et des auteurs de référence différents.
Les grammaires de la contestation

Peuvent-ils faire alliance à court et à long termes ? Sont-ils condamnés à toujours s’opposer et à se fragmenter, rendant impossible l’existence d’un grand courant politique à la gauche du Parti socialiste ?

Entretiens avec le cinéaste et l’auteure.

Sur les 6 milliards d’êtres humains dans le monde, 1 milliard au moins souffre de malnutrition et beaucoup d’autres vivent dans des conditions de vie totalement déplorables. Pourtant, d’après les chiffres avancés, il est produit 12 milliards de rations alimentaires par jour, mais le gaspillage atteint les 26 % en Europe et jusqu’à 50 % aux Etats-Unis. Les pays riches, dit-on, où toutefois le chômage atteint des chiffres record et où une partie de la population vit de plus en plus mal. Et pendant ce temps, 1400 milliards sont dépensés pour l’armement… En 2008, 4 000 milliards ont été donnés aux banques pour les renflouer alors que seulement 40 milliards étaient consacrés au développement pour éradiquer la sous-alimentation. Le constat se passe de commentaire !

Mais rien de nouveau, hélas. Depuis des décennies, dans l’indifférence notoire des États, des enfants meurent de faim, ou faute d’hygiène et de soins, en Afrique, en Asie et partout dans le monde, alors qu’ailleurs on jette des denrées alimentaires aux ordures.

Avec la « crise », ce phénomène s’amplifie encore. «  La crise est le mode spécifique par lequel les problèmes d’accumulation du capital cherchent une solution ; c’est un mécanisme qui permet de rétablir la relation production-rentabilité des capitaux survivants », écrit Paul Mattick dans Le Jour de l’addition. Aux sources de la crise de Paul Mattick (L’Insomniaque).

« Au vu de l’histoire du capitalisme, on peut [donc] s’attendre à ce [que les dirigeants et leur focalisation sur le seul produit intérieur brut — le PIB —] nous entraînent dans de nouveaux désastres, assurément cruels […] et peut-être fatals, à l’espèce humaine — mais bénéfiques, sans doute, pour l’économie… Car un tel système ne peut surmonter les calamités que par de plus grandes calamités, sous peine d’abdiquer l’empire du monde. »

De ce point de vue, la pollution planétaire, le mal vivre, la misère, la paupérisation des populations, la dépression collective — si cela ne se traduit pas en révoltes — ne sont pas considérés comme des phénomènes à traiter en urgence, par rapport à l’indice du taux de croissance et au PIB — jauge obligée des États. PIB qui d’ailleurs augmente avec la guerre, la guerre sociale contre le monde du travail ou la pollution comme le montrent les premiers plans du film de Vincent Glenn, Indices.

« Qui a décidé qu’une société riche est celle qui a un gros PIB ? » demande Dominique Méda, philosophe et sociologue, dans Indices de Vincent Glenn. Les sociétés sont jugées à partir du PIB qui est la somme de toutes les valeurs produites, marchandes et monétaires. Et si la croissance du PIB est l’objectif suprême, il n’en demeure pas moins « un thermomètre et un cache qui masque beaucoup d’autres choses ».

L’idée que le volume de production entraîne l’opulence pour tous et la démocratie est un leurre. Au « tout est marchandise » — l’eau, l’air, l’humain… — il faut substituer d’autres critères en ce qui concerne les richesses collectives : « l’eau, l’air, le soleil, les forêts, la connaissance sont les premiers biens communs publics mondiaux. »

Jean Fabre, autre intervenant dans le film de Vincent Glenn, fait la démonstration simple et claire d’un monde absurde, basé uniquement sur l’économie, sur les indices de production et de consommation :

Quand vous rencontrez une connaissance, vous demandez , « Comment vas-tu ? » et non, « Qu’est-ce que tu as produit ? »

Ce qui cause des souffrances aux individus profite, en définitive, au système actuel. Alors, si l’on prenait en compte les critères sociaux et environnementaux, « ce serait révolutionnaire [dit un autre intervenant, mais], cela suppose un progrès en matière d’émancipation. »

Les grammaires de la contestation.

Un guide de la gauche radicale

Irène Pereira (La Découverte)

Tout d’abord une question : pourquoi « grammaires de la contestation » plutôt que, par exemple, grilles d’analyse des courants contestataires ? Dans le dictionnaire, l’une des définitions de grammaire parle d’étude systématique des éléments constitutifs d’une langue ? Dans ce « guide », s’agit-il là d’une classification de la pensée de gauche à travers les mots ? Ces questions permettront à Irène Pereira de revenir sur la problématique de son essai.

Dans ce « guide de la contestation », elle explique ce qu’est la gauche radicale et ses influences à travers trois courants principaux : la « grammaire républicaine sociale », la « grammaire socialiste » et la « grammaire nietzschéenne ». Chaque « courant » s’apparentant à des critères, des principes, à un idéal. Le premier s’appuie sur les notions de citoyenneté, de démocratie économique, politique et sociale, de « démocratie participative », humaniste, c’est celle qui caractérise, par exemple, Attac ou le Parti de Gauche. Le second fait référence au travailleur, au prolétaire, à la révolution, à la collectivisation, cela concerne, selon Irène Pereira, des organisations comme LO, la CNT ou la CGT. Dans le troisième se trouvent les minorités, c’est-à-dire de nombreux groupes et de tout aussi nombreuses tendances.

L’ouvrage se présente en trois parties, Grammaires et références théoriques de la gauche radicale, Grammaires des organisations de la gauche radicale, et enfin, Critiques et compromis au sein de la gauche radicale. Il y a beaucoup de références dans un texte qui veut cerner les différents courants à l’intérieur de ces catégories en montrant les nuances qui les rapprochent ou qui les opposent.

Le texte est très dense et l’on peut regretter un index qui permettrait
une « navigation » peut-être plus facile dans les époques, les origines et les influences des courants cités dans cet ouvrage. Car l’on y parle autant des penseurs et de leur influence comme Kant, Proudhon, Marx, Bakounine, Pelloutier, Pannekoek, Mattick que des auteur-es contemporains comme Castoriadis, Debord, Vaneigem, Deleuze, Guattari… Ou encore des différents courants libertaires, communistes libertaires et anticapitalistes, mais aussi des revues, comme Esprit, Mauss ou Actuel, et des mouvements, queer, Ni putes Ni soumises, Indigènes de la République, de même que des partis.

Dans ce « guide la gauche radicale », ce qui est à mes yeux l’un des points les plus intéressants, c’est la tentative d’Irène Pereira pour définir les points de rencontre de ces tendances divergentes, d’en estimer la richesse dans la diversité, sans pour autant minimiser les différences, parfois fondamentales, les tensions et même les ruptures.