Chroniques rebelles
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Traversée interdite. Les harragas face à l’Europe forteresse de Virginie Lydie (Passager clandestin)
Samedi 26 février 2011
Article mis en ligne le 27 février 2011

par CP

Traversée interdite.

Les harragas face à l’Europe forteresse

de Virginie Lydie (Passager clandestin)

Préface de Kamel Belabed

Avec Virginie Lydie

et

Les éditions du passager clandestin :

Désobéir au sexisme

Les désobéissants

Avec Sophie Glikman

Opinion d’une femme sur les femmes

Fanny Raoul

Avec Frédérique pour le passager clandestin

Dans Traversée interdite. Les harragas face à l’Europe forteresse de Virginie Lydie, des candidats et des candidates à l’exil témoignent, mais aussi des clandestins qui ont réussi à passer les frontières, des expulsés, des psychologues, des sociologues, des magistrats… Beaucoup soulignent que l’Europe n’est pas à proprement dit un lieu de Cocagne, que la vie y est difficile et que la traque des sans-papiers y est sans merci.

Mais peut-on pour autant faire basculer l’espoir ?

Si le mythe d’un ailleurs forcément meilleur peut se regarder comme trompeur, vain et superficiel, deux des raisons au départ sont cependant à prendre en compte : la revendication de circuler librement et l’envie de voir par soi-même cette Europe, ou, plus loin, les Etats-Unis et le Canada.
Imaginez être enfermé-es dans un pays, sans possibilité de voyager ni d’aller voir ailleurs — un ailleurs décrit comme opulent par la publicité, les images marchandes, également vanté comme le lieu de toutes les opportunités —, dans cette situation, votre rêve ne serait pas de partir ?

Harragas : ceux et celles qui brûlent… les frontières, leurs papiers, leur passé… Et parfois même, leur vie. La dissuasion et la répression n’y font rien, elles n’aboutissent qu’à faire prendre plus de risques à des populations qui n’ont guère d’espoir quant à leur futur au pays natal.

Certes les guerres, les conditions économiques, climatiques, les problèmes politiques, la dégradation de l’environnement font que le phénomène de la harga est plus important dans certaines régions. Mais ce ne sont pas les seules raisons qui poussent à partir.

« Ils ont grandi au milieu des ordures dans des familles où la préoccupation majeure est la survie au jour le jour. À l’extérieur de leur quartier, ils sont d’emblée catalogués terroristes ou délinquants, et ils sont persuadés que, pour s’en sortir, il faut qu’ils partent loin. » Pourtant le voyage se termine souvent mal, des dizaines de milliers de migrants sont arrêtés, enfermés, refoulés, condamnés en dehors de tout cadre juridique.

Depuis le 11 septembre 2001, la stigmatisation de l’Islam bat son plein et n’améliore pas les politiques des États en matière d’immigration. « Les discours sécuritaires […] mélangent, pêle-mêle, clandestins, terroristes et trafiquants en tout genre ». Ce qui accentue encore la tragédie des migrants, façonne, dans les médias, une image hostile et dangereuse de l’immigration et justifie en quelque sorte la collaboration des États du Sud à la politique migratoire de l’Europe. Au Maroc, en Tunisie et en Algérie, des lois ont institué comme délit la « sortie irrégulière du territoire ». Dernièrement, Khadafi a utilisé l’argument de laisser passer les migrants de l’Afrique subsaharienne pour faire pression sur les États européens.

Mais l’Europe porte la responsabilité de la situation. La politique sécuritaire, la chasse aux sans-papiers, les violences policières, les camps de rétention, parler de quotas quand il s’agit d’êtres humains, les poursuites à l’encontre des personnes qui soutiennent les sans-papiers, c’est l’Europe « forteresse ».
Dans ce contexte, le phénomène de la « harga » est dérangeant « par son côté spectaculaire et par l’aspect hautement symbolique du “partir ou mourir” lancé comme un cri de rage et de désespoir à la face du monde. »

http://fortresseurope.blogspot.com/2006/01/forteresse-europe.html

14.921 immigrés sont morts aux frontières de l’Europe depuis 1988, dont 6.469 sont disparus en mer. En mer Méditerranée et dans l’océan Atlantique, 10.925 migrants ont perdu la vie. Dans le Canal de Sicile 4.183 personnes sont mortes, entre la Libye, l’Égypte, la Tunisie, Malte et l’Italie, dont 3.059 disparues, et 138 autres ont perdu la vie le long des nouvelles routes entre l’Algérie et l’île de Sardaigne ; 4.507 personnes sont mortes au large des îles Canaries et du détroit de Gibraltar entre le Maroc, l’Algérie et l’Espagne, dont 2.302 disparus ; 1.355 personnes sont mortes en mer Egée, entre la Turquie et la Grèce, et aussi entre l’Égypte et la Grèce, dont 824 disparus ; 603 personnes sont mortes en mer Adriatique, entre l’Albanie, le Montenegro et l’Italie, dont 220 disparus. Et pour rejoindre l’île française de Mayotte, dans l’océan Indien, 624 personnes se sont noyées. Mais la mer, on ne la traverse pas seulement à bord des pirogues. En navigant cachés à bord de navires de cargaison regulierement enregistrés, au moins 153 hommes sont morts asphyxiés ou noyés.

Mais avant d’arriver à la mer, le Sahara est un passage obligé et tout autant dangereux. Les aventuriers africains le traversent sur des camions comme sur des véhicules tout terrains le long des pistes entre le Soudan, le Tchad, le Niger et le Mali d’une côté et la Libye et l’Algérie de l’autre. Ici au moins 1.691 personnes sont mortes depuis 1996. Mais selon les survivants, presque chaque voyage compte ses victimes. Le nombre des victimes donc pourrait être bien plus elevé. Les chiffres incluent aussi les victimes des déportations collectives pratiquées par les gouvernements de Tripoli, d’Alger et de Rabat, désormais habitués à abandonner groupes de centaines de migrants en zones frontalières en plein désert.

En Libye les migrants sont maltraités. Il n’y a pas de données officielles, mais au cours du 2006 Human Rights Watch et Afvic ont accusé Tripoli des détentions arbitraires et tortures dans les centres d’arrestiation, dont trois sont financés par l’Italie. En septembre 2000 à Zawiyah, dans le nord-ouest du pays, au moins 560 étrangers ont été tués pendant des assauts racistes

En voyageant cachés dans les camions 359 personnes ont trouvés la mort. Et 208 migrants se sont noyés dans les fleuves délimitants la frontière, la plupart dans l’Oder-Neisse, entre la Pologne et l’Allemagne, l’Evros entre la Turquie et la Grèce, le Sava entre la Croatie et la Bosnie ; et le Morava entre la Slovakie et la Republique Tchèque. Autres 112 personnes sont mortes d’hypothermie en tentant de franchir la frontière dans les montagnes, la plupart en Turquie et Grèce. En Grèce, le long de la frontière avec la Turquie, il y a encore des champs de mines. En essayant d’entrer en Grèce après avoir traversé le fleuve Evros, au moins 92 personnes y sont mortes

235 migrants sont morts sous le feu de la police de frontière, dont 37 aux enclaves espagnoles au Maroc, Ceuta et Melilla, 50 en Gambie, 75 en Égypte et 33 en Turquie, le long de la frontière avec l’Iran et l’Iraq. Mais d’autres personnes ont été tuées aussi en France, en Belgique, en Espagne, en Allemagne, au Maroc et en Libye. 41 personnes en fin ont été retrouvées mortes dans le train d’atterrissage d’avions de ligne, 31 personnes sont mortes à Calais ou bien cachés sous les trains dans le tunnel sous la Manche en direction de l’Angleterre, 2 se sont noyés en essayant traverser la Manche et 12 ont perdu la vie sous d’autres trains en Italie, Grèce et Suisse.