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32e Festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier : conscience et actualité.
Christiane Passevant
Article mis en ligne le 27 mars 2011

par CP

Sous le signe des femmes et des découvertes

Avec plus de 250 films, des avant-premières, des débats, des rencontres, des rétrospectives, le 32e Festival du Cinéma méditerranéen se révèle toujours aussi passionnant et source de découvertes de talents cinématographiques. Longs métrages de fiction, courts métrages, documentaires, cinéma expérimental, rétrospectives et hommages présentent tous un intérêt et une diversité à l’image de cette Méditerranée qui est le moteur de ce festival, de plus en plus attendu par le public pour les échanges qu’il génère.

Cette année, le festival s’est déroulé en plein mouvement social et les différent-es participant-es n’ont pas manqué d’y faire allusion lors des rencontres et des entretiens. Les réflexions ont été ouvertes et engagées, tout à fait synchrones avec la sélection des films projetés dans les salles du Corum et hors les murs.

Il faut tout d’abord dire : Vive les documentaires ! Derniers venus dans le festival, les documentaires ont présenté cette année un choix pour le moins exceptionnel au plan de la qualité et de l’originalité. Difficile d’être jury cette année tant la sélection était d’une qualité exceptionnelle, tant chaque film offrait un intérêt majeur sur le plan de la forme comme sur celui du fond.

Calle de la Pietà de Mario Brenta et Karine de Villers (Italie, Belgique, 2010, 59mn) — balade onirique, philosophique dans l’art, dans Venise et l’intemporalité —, aborde avec une liberté rare le processus de création, de la peinture au cinéma. (Voir article)

Qu’est-il arrivé ? de De Gaulle Eid (France/Liban/Palestine, 2010, 1h15mn) revient sur la guerre civile au Liban et les massacres perpétrés dans les villages. L’amnistie est-elle possible dans un pays déchiré où les victimes s’obligent au silence ? Un enfant peut-il oublier l’assassinat de ses parents, de sa famille ? Trois décennies après le massacre, l’enfant devenu réalisateur décide de retourner sur place pour comprendre ce qui s’est passé. Une enquête personnelle qui rejoint un problème national et récurrent : qui sont les responsables ? Le documentaire, d’abord censuré, soulève des questions enfouies et analyse la douleur amplifiée par le silence.

Autre histoire de famille, Parents par le sang de Noa Ben Hagaï (Israël, 2009, 1h15mn). La cinéaste israélienne, en découvrant des lettres de la sœur de sa grand-mère dont personne ne parle, décide de retrouver les traces de cette femme et de cette famille « disparue » et ignorée. « [Je] me suis lancée dans une quête émotionnelle, cherchant à découvrir le passé et à mettre au jour l’histoire de ma famille déchirée. » Parents par le sang a remporté le Prix Ulysse au festival de Montpellier.
À travers les silences concertés de la famille, côté israélien, apparaît soudain une réalité, celle de l’occupation militaire et de la séparation des populations. Deux sœurs se perdent de vue, la guerre des six-jours… L’une d’elles reste en Palestine occupée, se marie avec un Palestinien, vit dans un camp de réfugiés et, malgré les courriers échangés avec ses proches, elle devient la famille « cachée ». La méfiance, les idées reçues, la propagande font fi des « liens de sang ». Pourtant, la rencontre se fait avec les enfants de cette femme disparue, dans une certaine émotion, à l’initiative de la réalisatrice.

Néanmoins, renouer des liens de parenté n’éveille guère l’enthousiasme du côté de la famille israélienne : « Qu’avons-nous à y gagner ? » demande tout haut l’une des Israéliennes. Peu à peu, des réticences et des reproches s’adressent à la cinéaste, sa démarche est critiquée et quand elle réagit en disant, « auriez-vous la même réaction si nous avions repris contact avec un oncle fortuné et immigré en Argentine ? » il n’y a aucune réponse. Cette fois encore, comme dans le film de De Gaulle Eid, Que s’est-il passé ?, le personnel s’inscrit dans une réflexion critique et douloureuse de la société, des sociétés.

Les thèmes de la mémoire et de l’histoire sont aussi au centre du documentaire de Tahani Rached, Voisins (Égypte, 2009, 1h45), qui, à travers un quartier du Caire, Garden City créé dans les années 1920, retrace la vie politique et sociale de l’Égypte durant presque un siècle. Évolution des classes sociales, des mentalités, relations internationales à travers le prisme de la construction d’un pays qui traverse l’indépendance, la révolution, avec les histoires de familles et des maisons qui illustrent parfaitement l’histoire politique et sociale du pays.

Ici finit l’Italie de Gilles Coton (Belgique, 2010, 1h20mn) a une démarche presque similaire, mais cette fois le récit évoque un voyage sans doute directement plus radical et poétique. L’auteur, en découvrant les carnets de voyage écrits en 1959, de Pier Paolo Pasolini, entreprend d’emprunter le même itinéraire vers le Sud de l’Italie. Le voyage, rythmé par les textes des écrits, lus par une voix off, place en miroir deux époques.

La Ville des signes de Samuel Alarcon (Espagne, 2009, 1h02mn) est à la limite du film expérimental. Dans un premier temps, c’est la recherche des sons perdus dans les lieux historiques, puis le film entraîne le public dans la mémoire du cinéma, en quelque sorte gravée dans les pierres. Les lieux de tournage sont habités bien des années plus tard, ils conservent la mémoire des scènes tournées. C’est le cas pour le Voyage en Italie de Rosselini [1], dont une scène entre Ingrid Bergman et George Sanders semble « fixée » à jamais dans le site du tournage. Même phénomène avec Anna Magnani et Fellini en quelque sorte « figés » dans les décors de Amore [2]. Les images mythiques se superposent dans des lieux transformés aujourd’hui en restaurants, boutiques, l’épure des images cinématographiques mythiques fait place aux petits temples de la marchandise. Ironie et mémoire du cinéma.

Port de la mémoire de Kamal Aljafari (Palestine/Allemagne/France/Émirats Arabes Unis, 2009, 1h03mn) est une réflexion sur la présence et l’absence, sur la mémoire d’un peuple et ce que signifie être Palestinien en Israël. La perte de la maison, une femme se lave les mains, les chats…
Où est Jaffa ? Sept films documentaires liés par le processus du temps, de la mémoire et du cinéma, l’histoire dans les images se transmet par le cinéma. Pourquoi d’abord parler des documentaires ? Parce qu’il est dommage qu’un prix seulement récompense la création de quinze films, cette année particulièrement remarquable. Ce qui n’enlève rien aux longs métrages et aux courts métrages, bien au contraire, une telle qualité rehausse encore les sélections des autres sections cinématographiques.

Un festival sous le signe des femmes, des femmes de caractères, à commencer par Carmen Maura qui a ouvert le festival qui lui rendait hommage avec une rétrospective de quatorze de ses films dont Pepi, Luci, Bom et les autres filles du quartier (1980), Dans les ténèbres (1983), l’incroyable Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ! (1984) et Volver (2005) de Pedro Almodovar, Ay Carmela de Carlos Saura (1990) dans lequel Carmen Maura joue à merveille la comédienne d’un théâtre ambulant pris dans la tourmente de la guerre civile, Des ombres dans la bataille (1993), très beau et subtil film de Mario Camus, Le Bonheur est dans le pré d’Étienne Chatiliez (1995) ou encore Le Harem de Mme Osmane de Nadir Moknèche (2000). Une rétrospective où l’on se régale de découvrir ou redécouvrir un itinéraire de comédienne hors pair. Et pour finir, en avant-première, Les femmes du 6e étage de Philippe Le Guay (2010) fait la démonstration de la maîtrise de son immense talent en salles. Le film sort début 2011.

Festival habité par des femmes fortes et en pleine possession de leur talent. Parallèlement à l’hommage fait à Carmen Maura, une séance spéciale, Femmes en Méditerranée, permit la rencontre de deux femmes exceptionnelles, Hiam Abbass et Ronit Elkabetz. Comédiennes, réalisatrices, écrivaines, elles sont toutes deux emblématiques de femmes engagées dans leur travail, dans les convictions qu’elles défendent et dans le Moyen-Orient déchiré dont elles refusent la fatalité. En première partie, Le pain d’Hiam Abbass (2000), court métrage remarqué lors du 28e Festival du cinéma méditerranéen et remporte un prix, et un long métrage réalisé par Ronit Elkabetz et son frère Shlomi, Les Sept jours (2007). Deux films de femmes qui illustrent la vision sans concession de leur société, du regard qu’elles portent sur les relations sociales et les rapports familiaux.

De Noces en Galilée de Michel Khleifi (1987), à Miral de Julian Schnabel (2010), Hiam Abbass montre une cohérence dans le choix des rôles qu’elle interprète. Dans chacun des personnages, la force et la faiblesse cohabitent, avec la détermination à dépasser le rôle que la société lui impose. Qu’il s’agisse de Satin rouge de Raja Amari (2004) qui l’a fait découvrir dans un rôle principal, de The Visitor de Thomas McCarthy (2007) où elle est en butte aux problèmes de l’immigration, des Citronniers d’Eran Riklis (2008) dans lequel elle joue le rôle d’une Palestinienne qui se bat pour la reconnaissance de ses droits, de Paradise now d’Hany Abu-Assad (2005) où elle est la mère d’un jeune Palestinien qui va commettre un attentat suicide, ou encore de Chaque jour est une fête de Dima El-Horr (2009), Hiam Abbass habite le film et apporte au personnage cette notion de volonté dans la fragilité… Émouvante, forte et généreuse, c’est peut-être l’impression qu’elle laisse d’une rencontre cinématographique.

À côté de la comédienne emblématique qu’est Hiam Abbass, Ronit Elkabetz est une autre personnalité marquante de la Méditerrannée. Elle occupe l’écran de manière incroyable. À la découvrir dans Or (Mon trésor) de Keren Yedaya (2004) où elle joue une mère paumée et touchante qui se prostitue, dans Prendre femme qu’elle coréalise également avec son frère (2004), ou encore dans les Mains libres de Brigitte Sy 2010, on se dit qu’elle ne pourrait pas jouer un personnage sans couleur et sans la violence intérieure qui transparaît dans ses rôles.

Des longs métrages présentés en compétition, il émerge une grande diversité de genres, Susa de Rusudan Pirvelli (Géorgie) [3] dont la démarche est presque documentaire dans le filmage d’un adolescent confronté à un univers d’adultes immatures. La Passione de Carlo Mazzacurati (Italie) sur un réalisateur au bout du rouleau qui accepte de mettre en scène les célébrations du Vendredi saint avec la population. Toujours pour l’Italie, la Prima Cosa Bella de Paolo Virzi qui a reçu le prix de la critique, sorte de chronique familiale autour d’une mère fantasque. Autres histoires de famille, Just Between us de Rajko Grlic (Croatie/Serbie/Slovénie), dont les deux frères ont des amours qui s’entrecroisent, et La Mosquitera de Agusti Vila (Espagne) qui a gagné l’Antigone d’or. À noter l’étrange Kosmos de Reha Erdem (Turquie/Bulgarie) dont le récit frise la parabole et où le vrai langage passe par le cri. Reha Erdem avait présenté en 2009 un autre film tout aussi énigmatique, cruel et poétique, My only Sunshine. Sac de Tayfun Pirselimoglu (Turquie/Grèce) est un récit dont le fil rouge et le prétexte est la chevelure. Istanbul vu d’une autre manière, chaque plan est un tableau, dans les gris, et une femme passe, toujours la même, qui ne dira pas un mot.

Le Sud de la Méditerranée est représenté par deux films, La Place de Dahmane Ouzid (Algérie), qui évoque le problème de l’espace dans les cités, des magouilles, de la musique [4], et la Mosquée de Doud Aoulad-Syad (Maroc) [5] où une mosquée de décor de film devient la mosquée du village et dépossède le paysan qui avait loué son terrain. Ces deux films utilisent le registre de l’humour sur des sujets graves. Enfin, deux films où la violence est intrinsèque, The Woman with a Broken Nose de Srdjan Koljevic (Allemagne/Serbie) [6] sur les déchirements d’une société et les tentatives de reconstruction des êtres, et Black Field de Vardis Marinakis (Grèce) qui se passe en 1654, sous contrôle ottoman. Un janissaire blessé est recueilli dans un monastère et sème le trouble dans la communauté des religieuses, notamment chez l’une d’elles qui a fait vœu de silence. L’image est superbe, filmée entre chien et loup, dans des décors sauvages, et joue sur les contrastes, entre ombre et lumière. Un film à la fois touchant et très esthétique.

Des films de la sélection panorama, à retenir notamment Hai Paura del Buio de Massimo Coppola (Italie), Basilicata Coast ti Coast de Rocco Papaleo (Italie), Motel Nana de Predrag Velinovic (Serbie) sur les conséquences de la violence et des petites lâchetés et 18 anni dopo de Edoardo Leo (Italie) qui a gagné le prix du public. Enfin une expérience de film à petit budget, filmé en intérieur, à Ibiza, un film entre copains, Rebuts de David Marqués.

Pour les courts métrages, les femmes sont encore sur le devant de la scène, qu’il s’agisse des réalisatrices, des comédiennes ou des sujets traités. Eva s’en va de Aya Somech (Israël) a remporté le grand prix du court métrage et le prix Canal+. Un film subtil et profond sur un couple qui va vers la rupture, lui se tourne vers la religion et les traditions, elle revendique son autonomie. Une autre réalisatrice israélienne, Elite Zexer, a reçu le prix Cinecourts Cinécinéma pour Tasnim, film très touchant qui se déroule dans un village bédouin du Néguev et raconte la prise de conscience d’une fillette de dix ans sur les différences de genre.

Deux réalisatrices encore et deux histoires de femmes, Eman El-Naggar pour Ombre d’une image (Égypte) et Nadine Naous pour Clichés (France) qui met en scène Hiam Abbas. Dans le premier film, ce sont les questions que suscitent une jeune femme morte assassinée dans la mémoire de ceux qui l’ont croisée, dans le second c’est l’intimité d’une femme qui est le sujet.

Les situations de conflits, de répression, d’abus de pouvoir sont traitées dans plusieurs films, abordées tant sur le plan de la comédie grave que du drame. On ne mourra pas d’Amal Kateb (France/Algérie) évoque les années noires en Algérie ; Fraîcheur d’avril de Tornike Bziava (Géorgie) [7] met en scène une jeune danseur géorgien et un militaire russe ; La Autoridad de Xavi Sala décrit le départ en vacances d’une famille hispano-marocaine et le contrôle de la police ; Guerre de Paolo Sanssanelli (Italie) revient sur la période de l’après-guerre et sur les conséquences du fascisme dans la population. Condamnations… de Walid Mattar (Tunisie/France) [8] traite également de la guerre, mais cette fois à travers le poste de télévision d’un café de la banlieue de Tunis.

Oxygène de Adina Pintilie (Roumanie) n’a peut-être pas été remarqué par le public du festival, mais n’en est pas moins une des œuvres les plus originales, une image monochrome très angoissante pour décrire le régime qui a sévit en Roumanie entre 1945 et 1989. Le film, son rythme et son climat transcrivent les tentatives désespérées et vaines d’un homme pour s’évader de cet univers concentrationnaire. Adina Pintilie est une réalisatrice qui a déjà fait ses preuves et elle signe ici un film de très grande qualité.

Enfin, cette année les avant-premières ont réservé quelques belles surprises, les Femmes du 6e étage de Philippe Le Guay dont la sortie nationale est annoncée pour le 16 février 2011, Toi, moi les autres d’Audrey Estrougo, sur les écrans le 23 février 2011, est une comédie musicale qui, comme le film de Le Guay s’attaque aux préjugés et les met à mal. Dans la même veine, le Nom des gens de Michel Leclerc s’attaque
au sujet controversé de l’identité nationale. Une jeune femme exubérante et sincère décide de faire évoluer les mentalités d’une manière spontanée et en donnant de sa personne. D’où plusieurs scènes d’anthologie. le Nom des gens de Michel Leclerc est une comédie mordante que l’on peut voir depuis le 24 novembre. Parmi les autres avant-premières du Festival Cinemed, Dernier étage gauche gauche de Angelo Cianci (France/Luxembourg), Encore un baiser de Gabriele Muccino (Italie), Slovenian Girl de Damjan Kozole (Slovénie/Allemagne/Serbie/Croatie), L’Étrange affaire Angélica de Manoel de Oliveira (Portugal/France/Espagne), Fix Me de Raed Andoni (France/Palestine/Suisse) (voir article), et le Voyage du directeur des ressources humaines de Eran Riklis (Israël/Allemagne/France/Roumanie).

Pour conclure ce retour de festival qui s’est ouvert sur une comédie tournée à Sète, De vrais mensonges de Pierre Salvadori, avec Nathalie Baye, Audrey Tautou et Sami Bouajila, précédée d’un court métrage d’animation, Chienne d’histoire de Serge Avedikian (voir article), il faut signaler quelques reprises étonnantes, en copies neuves, Suspiria de Dario Argento (Italie), Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone (États-Unis/Italie) et le très attendu la Classe ouvrière va au paradis
(La classe operaia va in paradiso) d’Elio Petri (Italie) qui a fait salle comble [9]. Beau festival et rencontres denses dont
nous parlerons encore dans les prochaines mises en ligne de Divergences.