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Vous avez dit identité nationale ? Le Nom des gens de Michel Leclerc
Christiane Passevant
Article mis en ligne le 27 mars 2011

par CP

En pleine obsession gouvernementale sur « l’identité nationale » et du nationalisme à des fins politiques, voilà que sort sur les écrans une comédie, Le Nom des gens de Michel Leclerc [1], qui se moque à sa manière de ces relents inquiétants et surmédiatisés.

Le Nom des gens est une comédie très écrite et sans effets gratuits, et les comédiennes et les comédiens y jouent en totale sincérité, avec une justesse qui révèle la maîtrise du réalisateur. L’humour du film, dit-il, est nécessaire si l’on part d’une matière autobiographique, il « permet de mettre de la distance pour éviter de verser dans la complaisance narcissique. » La comédie ne transige pas non plus sur la facilité comique, le film est habité par une grâce de la simplicité et de la spontanéité.

L’histoire est construite autour de situations vécues et les scénaristes, Michel Leclerc et Baya Kasmi, s’en expliquent : « Quand j’ai rencontré Baya […], elle m’a dit comment elle s’appelait et je lui ai répondu, “C’est brésilien ?”, et elle m’a répondu, “Non, c’est Algérien.” Ensuite, elle m’a demandé mon nom et quand je le lui ai donné, elle m’a dit, “Au moins, on sait d’où ça vient ! ” Le point de départ du film se confond donc aussi avec le point de départ de notre histoire personnelle. » Ce à quoi Baya Kasmi ajoute : « On avait envie de réagir à tout un discours déterministe autour de l’identité et des communautés que l’on trouve insupportable et dans lequel on ne se reconnaît pas. Les injonctions de la société sont simplistes et imposent un certain type de comportement en fonction de ses origines. Or, on peut très bien ne pas s’y conformer ! »

Sara Forestier (Bahia Benmahmoud) retrouve le naturel et l’élan qui l’avaient fait découvrir dans l’Esquive d’Abdellatif Kechiche (2004). Quant à Jacques Gamblin (Athur Martin), son partenaire, il est tout simplement plus vrai que nature. Et chose devenue rare dans le cinéma français, les autres personnages existent et ont une dimension importante dans l’histoire de cette jeune militante qui veut changer le monde en ayant des rapports sexuels avec ses « ennemis » d’opinion, c’est-à-dire à droite. Et cela fait du monde !

De là, un enchaînement de situations loufoques, savoureuses et surprenantes… Bahia échappe à tous les clichés habituels, elle est tout simplement inclassable et se joue de toutes les catégories convenues. Quant à Arthur Martin, il se terre dans un univers de monsieur-tout-le-monde pour échapper aux catégorisations. Il faut dire qu’il a une certaine expérience du côté familial, notamment à propos des sujets anodins à aborder dans les conversations : « Ça m’a pris des années pour trouver des sujets qui ne parlent de rien. T’as qu’à dire tous les mots tabous maintenant, comme ça tu les diras plus après. » Il a donc un entraînement certain côté banalité.

Les saynètes, prises sur le vif de la vie, s’agencent de manière à nous faire rire, sourire, à nous toucher, mais toujours avec une réflexion en arrière-plan. Réflexion sur la société, la politique, la vie… Le film évoque sur le ton de l’humour des sujets graves comme l’identité et la conscience. L’identité n’est pas la conscience et les gens s’accrochent à l’identité par manque de conscience. Le personnage de Bahia est fantasque, spontané, mais elle est consciente du monde et veut agir à sa manière sur la réalité pour changer les choses. Le ressort comique repose en grande partie sur l’exubérance de Bahia, mais il n’en demeure pas moins qu’elle a une conscience sociale et politique, et l’idée de la lutte des classes est liée à ce genre de conscience.

Après la projection du film, en avant-première, au 32e festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier, le 29 octobre dernier, Jacques Boudet, qui tient le rôle du père d’Arthur Martin (Jacques Gamblin), a fait cette remarque : « Si l’on a du talent, de la poésie, on peut rire de tout. Mais si on est con et lourd comme souvent les gens qui essaient de nous faire rire, on sent la transpiration et on ne voit pas l’humour. C’est le cas pour certains gros comiques, mais avec le talent de Michel… » Grâce au talent de Michel Leclerc, on rit en effet de tout dans cette comédie humaniste, volontariste, servie par des comédiennes et des comédiens superbes.

La scène où Sara Forestier marche nue dans la rue va certainement devenir anthologique, mais elle est improbable quand on sait combien il faut sécuriser les périmètres où l’on filme, en zone urbaine.

Michel Leclerc : Pourtant nous n’avons rien sécurisé du tout. Quand on la voit marcher nue dans la rue et même dans le métro, plein de gens l’ont vue à poil comme elle apparaît dans le film. Évidemment, j’avais très peur de ça, mais en même temps Sara était très volontaire, il fallait la retenir pour qu’elle ne soit pas à poil tout le temps. (rires) Je dis ça quand elle n’est pas là. Mais il n’y a eu aucun problème. Je vous propose d’ailleurs de tenter l’expérience quand vous allez au travail. Vous marchez à poil dans la rue et, en fait, tout le monde s’en fout. Parce que les gens sont tellement surpris qu’ils n’ont pas le temps de réagir. Pour ce tournage, personne ne faisait attention et c’est passé comme une lettre à la boîte, sans protestation. Dans le wagon, c’était de la figuration — la femme portant le hijab était une figurante, mais dans le métro, non. Nous avons tourné à la station Kléber où il y a plusieurs rames de métro. Nous avions une rame réservée pour le tournage et les voyageurs du métro pouvaient voir le tournage de la scène de l’autre côté du quai. Il n’y a eu aucune réaction, peut-être un ou deux regards curieux, mais aucun scandale.

Le tournage.

Michel Leclerc : Lorsque c’était possible, nous avons tourné chronologiquement. La première scène que nous avons tournée est celle où Bahia marche à poil dans la rue. C’est à la demande de Sara Forestier qui a dit, « bon, on la fait tout de suite, comme cela ce sera le ton du film. »
Pour la séquence tournée à la Maison de la Radio, je voulais filmer Alain Bédouet, animateur de l’émission du Téléphone sonne de France Inter. Je connais sa voix depuis longtemps, mais pas son visage. Nous avons aussi tourné dans la cafétéria.

Le personnage de Bahia.

Michel Leclerc : Il fallait que le personnage de Bahia soit complètement exubérant et qu’elle fasse à peu près tout ce que tout le monde a envie de faire, mais sans l’oser. Mais coucher avec ses ennemis politiques, je ne sais pas si tout le monde a envie de le faire. Et il fallait trouver la comédienne — elle a été difficile à trouver — qui comprenne que cette scène est de l’ordre du burlesque, qu’il n’y a pas de vulgarité. Sara a tout de suite saisi qu’il fallait pousser le personnage jusqu’au bout.

Le choix de Jacques Gamblin.

Michel Leclerc : Cela s’est fait très rapidement après l’écriture du scénario. Le personnage est très rentré, sur la réserve et potentiellement ennuyeux, mais il suscite aussi la sympathie. Il fallait donc un comédien capable, avec très peu de moyens, d’incarner ce personnage. Jacques Gamblin n’a pas été souvent utilisé dans les comédies et pourtant il a quelque chose de burlesque dans la gestuelle, dans son corps. Il est extrêmement précis. Dans le film, c’est un peu le rapport entre le clown blanc et l’Auguste — Sara Forestier (Bahia) étant l’Auguste qui fait n’importe quoi —, et il était très important qu’en face de Bahia il y ait Arthur Martin, qui se place du point de vue du spectateur. On ne s’identifie pas à Bahia Benmahmoud, mais plutôt à Arthur, et Jacques Gamblin est quelqu’un à qui l’on peut facilement s’identifier parce qu’il a beaucoup d’humanité dans le regard.

Le personnage du père « éternel ».

Michel Leclerc : Pour ce personnage — joué par Jacques Boudet — censé avoir 20 ans au début du film, ce n’était pas évident. Pourtant dans un regard, dans une mimique, on voit le personnage à 20 ans. Et c’est très fort.

Jacques Boudet : À mon âge respectable, on se souvient souvent de ses 20 ans, pour le meilleur et pour le pire.

Michel Leclerc : C’est vraiment un rôle de composition, car faire jouer à Jacques le rôle d’un pro nucléaire qui aime l’ordre… Ce n’est vraiment pas son truc naturel.

La présence de Lionel Jospin dans le film.

Michel Leclerc : L’idée nous a amusés et nous lui avons envoyé le scénario, au siège du parti socialiste. Nous n’avons eu aucune réponse pendant des mois et très peu de temps avant le tournage, nous avons reçu une lettre manuscrite que nous avons montrée à tous nos proches. Jospin avait lu le scénario et il avait rigolé. Je pense que les thèmes abordés dans le film l’ont touché, mais il a voulu nous rencontrer avant de donner son accord. Nous avons bu des coups ensemble et il a accepté. Nous lui avons proposé deux ou trois situations possibles, il en a choisi une, celle du film et, à partir de là, il a écrit lui-même son texte. En revanche, lorsqu’il parle de sa famille, il a improvisé car il ne s’attendait pas à ce que Jacques Gamblin lui pose cette question à laquelle il répond très spontanément.

L’auteur des peintures du père de Bahia.

Michel Leclerc : C’est le père de Baya Kasmi, ma compagne et co-scénariste. Il est d’ailleurs proche du personnage du père de Sara-Bahia dans le film et il peint. Et comme le père dans le film, il n’a jamais montré ses tableaux. Zinedine Soualem, qui joue donc son rôle, a travaillé avec lui pour imiter sa gestuelle.

Les raisons du film.

Michel Leclerc : Le film a été écrit en réaction aux simplifications systématiques qui existent dans un débat à la télé — avec Arlette Chabot ou une autre personne —, par exemple sur le voile. Pour discuter ce sujet, l’émission invite un représentant de la communauté musulmane, un représentant de la communauté juive, etc. et nous avions l’impression d’être toujours dans les trous. L’identité d’une personne est complexe, faite de beaucoup choses différentes, et cette idée emmerde tout le monde parce que ça ne rentre pas dans les cases. Et nous avons voulu parler de gens qui ont une identité complexe, comme des millions de gens, qu’il n’est pas possible de réduire à un mot.

Les nombreuses pathologies de la société française.

Michel Leclerc : Nous avons procédé en pensant à nos obsessions plutôt qu’aux obsessions de la société, c’est-à-dire celles de Baya Kasmi et de moi-même. En parlant de nos familles respectives, nous avons dressé une sorte de portrait de la France d’aujourd’hui sans vraiment y penser, c’est-à-dire de toutes les obsessions historiques, de la guerre d’Algérie à la Shoah… Au-delà du fait de parler de nous — ce dont tout le monde se fout —, cela dressait un portrait assez juste des parents — mai 68, l’obsession des objets — et nous, de la génération suivante, étions au croisement de tout ce qu’avaient vécu les générations précédentes. Nous étions également pris dans les obsessions françaises d’aujourd’hui. L’identité nationale, nous n’y avions jamais songé auparavant, mais à présent nous devons répondre, justifier de la communauté à laquelle nous appartenons, de la religion…

L’intention du film.

Michel Leclerc : En France, la question des origines est à la fois complexe et obsessionnelle. On demande sans cesse à Bahia Kasmi de quelle origine elle est, mais à moi jamais. Du coup, on voit les choses différemment. Et c’est le point de départ du film.

Nous abordons aussi le problème de la concurrence mémorielle qui est à mes yeux parfaitement insupportable. Dans le film, la mère d’Arthur Martin et le père de Bahia Benmahmoud sont des victimes, mais elles n’en parlent pas. Elles veulent l’oublier et se fondre dans la masse. C’est d’ailleurs souvent les générations suivantes qui sont dans la revendication. Il y a aussi l’expérience de Bahia avec le voile. Une personne comme Bahia qui se balade à poil, couche avec plein de gens, peut très bien avoir la tentation de porter le voile et de se sentir étrangère dans le regard de l’autre. C’est la ta tentation du repli identitaire. Et nous avons essayé de ne pas être caricatural dans ce passage du film. En France, de nombreuses jeunes filles ont décidé de mettre un foulard ou un voile pour trouver une identité.
Notre intention n’est pas de choquer. L’important est que le film soit sincère.

Dernière phrase du film : « On est tous le bâtard de quelqu’un ».

Michel Leclerc : Et « on est des millions de bâtards. » L’idée de la bâtardise, prendre le risque que son identité d’origine disparaisse, je pense que c’est souhaitable. La question que pose le film, c’est le rapport aux origines et il y a matière à faire un autre film, mais je ne sais pas si on le fera.

Jacques Boudet : Pour les gens de ma génération, au lieu des origines, on parlait de classes. On était bourgeois ou prolo, dans un autre rapport à l’histoire et au collectif. Il y avait la lutte des classes et pour ma génération, le drapeau, la Marseillaise symbolisaient la France de droite, le conservatisme. Nos idées étaient le progrès, la lutte de classes, la liberté, la démocratie. Ça existe toujours, les jeunes dans la rue n’y sont pas seulement pour la retraite, mais pour une vraie démocratie.

Cet échange avec Michel Leclerc et Jacques Boudet a eu lieu le 27 octobre 2010, après la projection du Nom des gens, dans le cadre du 32e Festival international du cinéma méditerranéen, à Montpellier.

Présentation, transcription, Christiane Passevant.


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