Chroniques rebelles
Slogan du site
Descriptif du site
Entretien avec William Blum. La Bombe de Howard Zinn. Livres et cinéma de la rentrée.
Samedi 16 juillet 2011
Article mis en ligne le 16 juillet 2011
dernière modification le 18 juillet 2011

par CP

Entretien avec William Blum

Auteur des Guerres scélérates

et de L’État voyou.

Les interventions de l’armée américaine et de la CIA depuis 1945

La Bombe

De l’inutilité des bombardements aériens

Howard Zinn (LUX)

Deux auteurs, deux Étatsuniens, deux prises de conscience et les mêmes questions qui reviennent : «  Peut-on justifier les atrocités que les bombardements massifs caractéristiques des guerres modernes infligent à des centaines de milliers d’êtres humains par des “nécessités” d’ordre militaire, stratégique ou politique ? » Car la question morale ne peut pas être évacuée en détournant le regard et la responsabilité des témoins, directs ou indirects, ne peut pas non plus être balayée d’un revers d’indifférence.

Nous sommes aujourd’hui littéralement assaili-es par les images de guerre, de meurtres de masse au nom du pragmatisme, du droit d’ingérence, de la démocratie ou de « l’humanitaire » — cynique et belle trouvaille que cette expression de « guerre humanitaire » qui permet tous les abus ! —, nous sommes assailli-es donc par des images qui finalement déshumanisent des êtres humains — détruits sous nos yeux —, et banalisent l’insupportable, l’inacceptable.

La propagande ronge les cerveaux et fait passer bien des horreurs pour des victoires. C’est une autre manière de construire la mauvaise foi, de rendre complices ceux et celles qui ne réagissent pas ou ne se révoltent pas, bref d’entériner un manque de solidarité et de respect de l’autre.
Il y avait la religion comme leurre d’un monde merveilleux à venir pour ceux et celles qui n’avaient rien… Aujourd’hui, c’est « vous êtes bombardé-es certes, vous souffrez, mais c’est pour votre bien et demain vous vivrez en démocratie ».

Allez dire cela à la population irakienne, qui ne vit plus en effet sous la dictature de Saddam Hussein, mais qui a subi « vingt ans de bombardements étatsuniens, d’invasion, d’occupation et de torture [qui] ont abouti à la perte de leurs maisons, leurs écoles, leur électricité, leur eau potable, leur environnement, leurs quartiers, leur archéologie, leurs emplois, leurs technicien-nes, leurs entreprises, leur santé physique et mentale, leur système de santé, leur système de protection, leurs droits des femmes, leur tolérance religieuse, leur sécurité, leurs enfants, leurs parents, leur passé, leur présent, leur avenir, leurs vies... Plus de la moitié de la population est soit morte, soit mutilée, en prison ou en exil à l’étranger... Leur air, leur sol, leur eau, leur sang et leurs gènes sont imprégnés d’uranium appauvri... Les enfants naissent avec d’abominables déformations... Des bombes à fragmentation n’attendent qu’un enfant pour exploser... »

Tout cela pour la démocratie ? Mais laquelle ? Ou n’est-ce pas plutôt pour que les Etats-Unis construisent la plus grande ambassade étatsunienne au Moyen-Orient, puissent contrôler les puits de pétrole, et installer leurs bases militaires sur le territoire irakien, histoire d’avoir un œil sur l’Iran ? Il n’a donc pas suffi que l’hégémonisme étatsunien défigure tout un quartier du Caire en construisant un blockhaus tout en hauteur dédié à la grandeur de leur diplomatie, il faut essaimer et porter le modèle du mauvais goût dans toute la région.

En 1945, l’objectif des bombardements atomiques était de tuer des civils. Les villes d’Hiroshima et de Nagasaki n’avaient pas été choisies au hasard ou en raison de bases militaires, elles étaient au Japon parmi les plus peuplées. L’utilisation de bombes nucléaires était donc une démonstration de force, qualifiée par le président Truman de « plus grand événement dans
l’histoire
 », et destinée à intimider les Soviétiques. D’où la question posée par le sociologue Kai Erickson dans le livre de Howard Zinn, La bombe. De l’inutilité des bombardements aériens :

« Dans quel état d’esprit un peuple essentiellement honnête doit-il se trouver, quel genre de contorsion morale doit-il accomplir, pour être prêt à anéantir jusqu’à 250 000 êtres humains dans le seul but de marquer des points ? »

La démonstration atomique a coûté la vie à des centaines de milliers de personnes, les 6 et 9 août 1945. Les années suivantes, la mort a continué
de frapper avec la contamination et les radiations subies par les civils. Il fallait donc une énorme dose de cynisme et d’indifférence pour oser parler de
«  plus grand événement dans l’histoire ».

« En une fraction de seconde, dans un rayon de 800 mètres, les personnes exposées à la boule de feu provoquée par Little Boy ont été carbonisées, réduites en amas fumants, leurs organes internes évaporés. […]

Parsemant rues, ponts et trottoirs d’Hiroshima, ces petits tas noirs se comptaient par milliers.
Au même moment, des oiseaux prenaient feu en vol. Dans un crépitement, insectes, écureuils, et animaux de compagnie étaient anéantis.
 »

(Une femme, alors fillette de 10 ans.)
« Dans l’abri, tout le monde criait à tue-tête […] Je ne sais combien de fois j’ai imploré qu’on m’ampute les bras et les jambes brûlés. »

Howard Zinn, La bombe. De l’inutilité des bombardements aériens

Les mêmes horreurs se répètent avec les mêmes justifications abominables pour que la puissance d’un État puisse exercer son droit de « commettre des atrocités, que ce soit à Auschwitz, à My Lai, en Tchétchénie, à Waco ou à Philadelphie où les familles membres du groupe MOVE ont subi les bombes incendiaires de la police. »

Les bombes sont au cœur de la stratégie militaire étatsunienne, de Hiroshima à l’Irak, à la Libye aujourd’hui… Mais les Etats-Unis sont un modèle, et le gouvernement français, entre autres, n’est pas en reste, ni l’armée israélienne d’ailleurs pendant la guerre au Liban de 2006 ou les massacres de civils en 2008-2009, durant l’opération « Plomb durci ».

L’industrie et la technologie militaires ne cessent d’inventer pour tuer toujours plus de civils, avec l’idée de garantir une hégémonie, une suprématie… Et si, de surcroît, cela permet de faire marcher le commerce des armes, c’est tout bénéfice !

Alors la question essentielle, primordiale demeure : jusqu’à quand allons-nous supporter cette violence et l’omniprésence du complexe militaro-industriel dans nos sociétés, dans nos vies ? [1]

William Blum est écrivain, journaliste, historien.

Né en 1933 aux Etats-Unis, il a d’abord l’itinéraire d’un Étatsunien moyen, anticommuniste et persuadé qu’il vit dans une démocratie idéale. Après ses études, il travaille pour le Département d’État, dans les services informatiques. Mais la guerre du Viêt Nam, comme pour beaucoup d’autres, lui fait prendre conscience des leurres et des « mythes » du discours officiel. Il devient alors actif dans le mouvement anti-guerre et quitte le Département d’État en 1967 pour devenir journaliste free-lance et co-fonder le Washington Free Press, premier journal à contre courant dans la capitale.

Son travail se focalise essentiellement sur la critique de la politique étrangère des Etats-Unis et sur le rôle de la CIA, dont il dénonce les agissements et les assassinats ciblés et organisés. En tant que journaliste indépendant, il a travaillé en Europe et en Amérique du Sud, notamment au Chili.
À partir des années 1980, il publie plusieurs livres, dont Killing Hope : U.S. Military and CIA Interventions Since World War II qui reçoit un accueil enthousiaste. [2]

La production d’un documentaire, réalisé par Oliver Stone, et basé sur cet essai, n’a hélas pas abouti.

William Blum fait aussi des conférences sur les campus universitaires, mais, nous a-t-il confié, depuis 2006, après qu’Oussama Ben Laden ait recommandé son livre, L’État voyou (Rogue State : A Guide to the World’s Only Superpower), les universités — entendez l’administration universitaire — l’invitent beaucoup moins.

De passage à Paris, le 18 mai dernier, à la veille d’une conférence sur la politique étrangère et ses mythes, il a accordé un entretien aux Chroniques rebelles de Radio Libertaire.

Entretien avec William Blum

18 mai 2011

Larry Portis : Quelles sont les raisons qui vous ont amené à travailler pour le gouvernement et le Département d’État ?

William Blum : Je voulais travailler dans la politique étrangère et, surtout, je voulais faire mon devoir, à savoir combattre le communisme. J’étais un anticommuniste loyal et convaincu.

Larry Portis : Vous aviez donc des motivations politiques ?

William Blum : Tout à fait. J’étais programmateur informatique pour le Département d’État en attendant de passer le test pour le service de politique étrangère. Mais la guerre du Viêt Nam est arrivée et tous mes projets ont été bouleversés. Ma vie a complètement changé. J’étais absolument contre la guerre et je suis devenu l’un des leaders du Mouvement anti-guerre à Washington.

Larry Portis : Quand cela a-t-il commencé ?

William Blum : En 1965. Finalement, le service de la sécurité du Département d’État m’a convoqué. Ils avaient un dossier sur moi et savaient tout, et dans le détail, de mes activités : les manifestations auxquelles j’avais participé, les amis que je fréquentais, le courrier que j’envoyais et que je recevais, les informations envoyées au Washington Post, et même les articles qui n’étaient pas publiés. À la fin de l’entretien, ils ont suggéré qu’il serait préférable que je travaille pour le secteur privé.

Larry Portis : Une suggestion polie !

William Blum : Et je suis parti peu de temps après.

Larry Portis : En quelle année ?

William Blum : 1967. Je ne suis resté que deux ans au département d’État. La guerre a transformé toute ma vie. Avant, comme je l’ai dit, j’étais un anticommuniste bon teint et loyal.

Larry Portis : Comment la guerre a-t-elle modifié vos convictions à ce point ?

William Blum : La guerre m’a ouvert les yeux. L’on commettait de telles atrocités alors qu’on nous parlait de la noblesse du combat contre cet horrible communisme ! Cela m’a fait m’interroger sur ce que pensais jusqu’alors. Je suis allé à des meetings, j’ai rejoint des groupes de discussions, des groupes de réflexion marxiste qui m’ont beaucoup influencé. Par ailleurs, j’ai beaucoup étudié, mais ma prise de conscience n’a pas fait de moi un communiste. Néanmoins, je n’étais plus l’Étatsunien loyal que j’avais été.

Larry Portis : Dans ces groupes, des personnes vous ont-elles particulièrement influencé ?

William Blum : J’ai pas mal voyagé pendant quelques années. En fait, j’étais membre de trois groupes trotskistes, deux à Londres et un à San Francisco. Mais être membre d’un parti, quel qu’il soit, ne me convenait pas, il y avait trop de formalités. J’en suis donc sorti et je suis donc devenu un militant indépendant.

Larry Portis : Et en quoi consistait votre engagement, votre façon de militer à cette époque ?

William Blum : Ma principale occupation à cette époque était d’écrire pour la presse underground, la presse libre, notamment dans le Washington Free Press, premier journal alternatif de la capitale dont je suis le cofondateur. C’est comme cela que j’ai commencé à écrire sérieusement. Puis j’ai déménagé en Californie, dans la région de la baie de San Francisco, et j’ai travaillé comme journaliste free-lance, notamment pour deux journaux de Berkeley. Écrire pour les médias underground, la presse libre, a été très important pour moi, cela a profondément changé ma vie et m’a amené à faire des conférences.

Larry Portis : Qu’avez-vous appris sur la politique étrangère qu’il vous a semblé important de révéler ? Je parle des années 1960 et du début des années 1970.

William Blum : Ma perception n’était pas celle que j’ai aujourd’hui et j’avais moins d’éléments pour analyser la situation. Les horreurs perpétrées par les troupes étatsuniennes durant la guerre au Viêt Nam, au Laos et au Cambodge, me bouleversaient et je les dénonçais. Mais je n’avais pas cette perception de l’Empire, donc je n’y étais pas opposé, je n’en étais même pas conscient. Maintenant je parle sans cesse de l’Empire et de ce que cela implique au plan de la politique étrangère. Il faut du temps pour une prise de conscience.

En 1972, je suis parti au Chili par la route, un long voyage depuis San Francisco. Allende était au pouvoir. Et cela a été une expérience importante pour moi. J’ai vu en direct ce qui s’est passé, l’implication de la CIA, la complicité du gouvernement étatsunien et cela a fortement remis en question mes notions de libéralisme et de patriotisme. Et je suis devenu extrêmement critique, non pas anti-étatsunien. Je reprends toujours les personnes qui me qualifient d’anti-étatsunien, je suis avant tout contre la politique étrangère des États-Unis.

Larry Portis : Vous parlez de l’Empire, vous avez étudié cette notion, mais qu’en est-il de l’impérialisme ? Utilisez-vous cette expression ?

William Blum : J’ai beaucoup discuté de cette expression dans les années 1970, dans les groupes de réflexion auxquels je participais, j’ai lu Marx et d’autres penseurs sur la question. Mais, petit à petit et inéluctablement, j’ai pensé que la notion d’Empire était plus claire et plus descriptive pour la politique étrangère des Etats-Unis, dénuée de toute moralité en dépit des déclarations officielles.

Larry Portis : Qu’est-ce qui a changé depuis la guerre du Viêt Nam, depuis les années 1960 et 1970 ? Quels ont été les changements dans la politique étrangère des Etats-Unis ?

William Blum : C’est pire. Toutes nos interventions ressemblent à présent à des expéditions de meurtres de masse sans raisons. Les raisons officielles pour « aider les populations » sont des mensonges. Nous envoyons des milliers de bombes, de rockets sur les pays… Comment pouvons-nous prétendre éviter de tuer les civils ? Je ne veux pas donner l’impression de toujours répéter la même chose, mais ma perception est de plus en plus dure.

Larry Portis : Quelles sont les raisons qui font que la situation a empiré ?

William Blum : Je ne pense pas que le fondement de la politique étrangère étatsunienne ait réellement changé. Il n’y a pas grande différence entre la politique étrangère de Johnson, de Bush et d’Obama.
Ce que l’on peut affirmer, c’est que les médias de masse sont pires. Dans les années 1960 et 1970, il était possible de lire un article à contre courant, qui donnait une perspective différente de l’histoire officielle, mais à présent non. Je lis le Washington Post tous les jours, la politique étrangère et les éditoriaux ne présentent jamais qu’une seule version des faits, des analyses. Il y a un ou deux journalistes de politique étrangère qui, de temps en temps, écrivent un article un peu plus analytique, mais c’est rare.

Le gouvernement a critiqué le Venezuela et le gouvernement Chavez pour la suppression de médias. Mais le Venezuela a une presse d’opposition que nous n’avons pas. Aucun quotidien ne s’est opposé à la guerre en Irak ou au bombardement de la Yougoslavie. Il existe pourtant pas moins de 1400 journaux, mais aucun en opposition avec les positions officielles. Je parle de ce problème dans mes conférences et je demande à ce que l’on me donne des exemples contraires. Une seule fois, quelqu’un m’a cité un journal qui s’était opposé à la guerre en Irak. Un seul exemple sur des milliers de publications. Il est étonnant de voir à quel point la population étatsunienne ignore combien elle est manipulée.

Larry Portis : En dehors des décisionnaires, des institutions, le public en général semble, d’après ce que vous dîtes, gardé encore plus qu’auparavant dans l’ignorance ?

William Blum : Même s’il y a Internet, la population est gardée dans l’ignorance. Le mythe principal se résume à quoique nous fassions à l’étranger, nos intentions sont bonnes. Nous sommes le Bien. Et si vous essayez de dire le contraire, c’est comme si vous parliez à un mur de pierres. Peu importe ce que nous faisons et ce qui arrive réellement, nos intentions sont honorables. C’est ce que je tente d’expliquer et d’analyser dans mes écrits et mes conférences, à chaque fois que je parle à un public.

Larry Portis : Vous pensez que les décisionnaires sont cyniques ?

William Blum : Oui, même si je n’utilise pas ce terme.

Larry Portis : Autrement dit, ils se moquent complètement des conséquences humaines de leurs décisions.

William Blum : Absolument. Ils veulent seulement faire avancer les buts de l’Empire. Quand ils interviennent, c’est uniquement pour obtenir plus de bases militaires, un accès au pétrole… En Afghanistan, une fois Ben Laden mort, les gens ont pensé qu’il n’était pas nécessaire d’y rester et de conserver des troupes sur place. Mais nous n’étions pas en Afghanistan à cause de Ben Laden ! Cela n’a jamais été le cas ! L’important est d’avoir des bases militaires en Afghanistan, pour être près de l’Iran. C’est la véritable raison, car l’Afghanistan est un espace stratégique, au milieu de territoires où se trouvent les plus grandes réserves de pétrole, dans la mer Caspienne et dans la région du Golfe. Le pétrole et le gaz sont vitaux.

Les compagnies pétrolières ont tenté d’établir des rapports avec les autorités, du temps des Talibans, mais sans succès. Éventuellement, le gouvernement étatsunien passera un accord avec les Talibans. Il faut comprendre que le gouvernement se moque complètement des agissements des Talibans tant que cela lui rapporte et sert ses plans dans la région. En l’occurrence passer un marché afin qu’il n’y ait pas d’attaque contre l’acheminement du pétrole et du gaz provenant de la région de la mer Caspienne.

Larry Portis : Des économistes et des spécialistes en science politique étatsuniens et européens prétendent que les Etats-Unis n’ont plus besoin de ce pétrole.

William Blum : Le pétrole est valable, c’est une arme du pouvoir. Noam Chomsky se plaît à dire que si la principale richesse de l’Irak avait été la culture des bananes, il n’y aurait certainement pas eu d’invasion de l’Irak. C’est la même chose pour l’Afghanistan. Sa localisation est très importante pour l’Empire.

Larry Portis : Pensez-vous que c’est le début de la fin de l’Empire ?

William Blum : Je pense que l’opposition grandit dans le monde vis-à-vis de la politique des États-Unis. On parle plus à présent de la souffrance provoquée par les Gis et beaucoup de soldats qui reviennent du front l’évoquent aussi. Je ne peux pas prédire le déclin de l’Empire et sa fin, je n’y assisterai sans doute pas. Mais tous les empires s’écroulent, la question est : quand ?

Larry Portis : Pensez-vous que les Etats-Unis sont plus fragiles actuellement au plan économique ?

William Blum : On parle beaucoup de la faiblesse du dollar, mais ce n’est ni le gouvernement ni les classes supérieures qui en souffrent. Cette situation peut durer ainsi indéfiniment même si cela est de plus dur pour la population.

Larry Portis : Les récents événements en Afrique du Nord peuvent-ils apporter des éléments d’espoir pour un changement positif ?

William Blum : J’aimerais le penser. Mais c’est complexe, car si l’on prend la Libye qui, ironiquement, était le pays avec le meilleur standard de vie de la région et un gouvernement séculaire, la Libye aurait dû être le dernier pays à être attaqué par la coalition. Pourtant il l’est, encore une fois pour des raisons « humanitaires ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Larry Portis : L’Irak a aussi été attaqué pour des raisons « humanitaires », l’Irak était également un pays prospère.

William Blum : L’Irak et la Libye étaient deux pays prospères et séculaires et nous les avons mis dans le même panier. J’ai fait une longue liste de ce que la population irakienne a perdu. [Vingt ans de bombardements étatsuniens, d’invasion, d’occupation et de torture ont abouti à la perte de leurs maisons, leurs écoles, leur électricité, leur eau potable, leur environnement, leurs quartiers, leur archéologie, leurs emplois, leurs techniciens, leurs entreprises, leur santé physique et mentale, leur système de santé, leur système de protection, leurs droits des femmes, leur tolérance religieuse, leur sécurité, leurs enfants, leurs parents, leur passé, leur présent, leur avenir, leurs vies... plus de la moitié de la population est soit morte, mutilée, en prison ou en exil à l’étranger... Leur air, leur sol, leur eau, leur sang et leurs gènes sont imprégnés d’uranium appauvri... les enfants naissent avec d’abominables déformations... des bombes à fragmentation n’attendent qu’un enfant pour exploser...] Je l’ai publié dans ma lettre d’information mensuelle, The Anti-Empire Report.

Larry Portis : J’aimerais vous poser une question sur vos écrits, que je trouve exceptionnels par leur clarté et leur lucidité, avez-vous une méthode ?

William Blum : Tout d’abord merci de cette question, car c’est tout à fait mon objectif : être clair, précis et ajouter un peu d’humour quand cela est possible. Il est facile de devenir un dénonciateur tonitruant de l’impérialisme, mais j’essaie d’éviter cela.

Larry Portis : Vous avez aussi une profonde connaissance des institutions, c’est ce qui ressort de votre livre, Killing Hopes, qui est une source inestimable pour comprendre la politique étrangère des États-Unis.

William Blum : Je suis un vieil homme et j’ai des archives dont je me sers sans cesse. Il m’arrive d’ailleurs de me citer.

Christiane Passevant : Sur la situation en Égypte. Pensez-vous qu’il peut y avoir un changement concernant l’ouverture de la frontière entre l’Égypte et Gaza ? P ensez-vous que l’on peut espérer un changement de politique vis-à-vis de la population palestinienne de la part des Etats-Unis ?

William Blum : Je ne suis pas plus capable qu’un autre de prédire ce qui va se passer. J’espère qu’il y aura des améliorations, mais l’armée au pouvoir en Égypte ne semble pas particulièrement libérale ou progressiste. Les gens sont toujours arrêtés et torturés. Mais le fait qu’ils ouvrent la frontière entre l’Égypte et Gaza, c’est encourageant.

Christiane Passevant : Cela peut-il avoir un impact sur l’attitude des
Etats-Unis vis-à-vis de la population palestinienne pour un règlement de la situation ?

William Blum : Le gouvernement étatsunien est prisonnier du lobby israélien et les signes d’un changement sont invisibles. Mais tout peut éventuellement changer. Obama est cependant autant l’esclave d’Israël que l’était Bush. L’influence du lobby israélien sur les politiciens est incroyable. Cela fait peur.

Larry Portis : je ne sais pas si vous l’avez écrit, mais beaucoup disent qu’Obama est pire que Bush.

William Blum : J’ai dit que sa politique est la même que celle de Bush. Je pense qu’Obama n’a pas de convictions profondes, il ne croit en rien sinon dans le fait d’être président des Etats-Unis. Il me fait peur, c’est une personne vide. C’est juste un show. Je me demande ce que sa femme en pense, elle doit bien le connaître, mais réalise-t-elle a quel point il est vide ? Il aime être président, jouer au basket, manger des hamburgers. Un type ordinaire et c’est ce qui plaît à une partie de la population, il est comme eux, comme elles. Ils et elles ne voient pas combien il est vide, émotionnellement, intellectuellement…

Christiane Passevant : Vous voulez dire que c’est une marionnette ?

William Blum : Il n’a pas à faire la marionnette, il est comme ça. Il sait, vous savez, je sais comment un président des Etats-Unis doit se comporter en matière de politique étrangère. Il n’y a aucun mystère. Il sait ce qu’il doit dire ou ne pas dire, ce qu’il doit faire ou ne pas faire. Il connaît les règles et ne se pose aucune question. Il joue son rôle comme tous les présidents qui l’ont précédé.

Larry Portis : C’est une question intéressante et quand vous dîtes qu’Obama est vide, je suis quasiment d’accord, mais n’est-ce pas une décision personnelle de devenir vide ?

William Blum : C’est une réflexion profonde, mais je ne vois pas un enfant se dire consciemment qu’il veut devenir quelqu’un de vide en grandissant ! (rires)

Larry Portis : Non j’ai dit inconsciemment !

William Blum : Le processus est inconscient, mais qui sait ? Et ce n’est pas important. Je pense qu’Obama à beaucoup à cacher. Sa mère et lui-même ont travaillé pour la CIA pendant des années, pour la Fondation Ford aussi. Quand Obama était à New York par exemple. Je n’ai toujours pas compris pourquoi il a été choisi comme candidat à la présidence, mais je pense que ses liens comme ceux de sa mère avec la CIA ont joué un rôle dans ce choix pour la candidature présidentielle.

Les livres dont nous parlerons à la rentrée dans les chroniques rebelles :

Engagement libertaire & organisations anarchistes de Mimmo Pucciarelli (Atelier de création libertaire).

Avis au consommateur. Chine : Des ouvrières migrantes parlent de Pun Ngai (L’Insomniaque). Traduction d’Hervé Denès et Claire Simon.

L’intégration des Maghrébins dans les villages du Midi de René Doumergue, avec la collaboration de Nelly Chapotte-Doumergue (auto-édition).

Partir, un point c’est tout de Veronica Vega (Christian Bourgois).

Titre du premier roman de Veronica Vega qui fut animatrice du collectif Omni Zona Franca, groupe de poètes, vidéastes, performeurs, plasticiens, etc… Ce roman s’inspire de la vie à Alamar, ville de banlieue de La Havane, où est installé le collectif, pour dire le quotidien cubain, depuis les années 1990, la pénurie, les espoirs, mais aussi l’attente d’un futur qui semble ne jamais venir.

Le Rebut humain. Revue Lignes n° 35

L’exemple des Roms. Les Roms, pour l’exemple

Les films dont nous parlerons :

Squat. La ville est à nous, film de Christophe Coello sur les squats de Barcelone.

Les Vieux chats de Sebastián Silva et Pedro Peirano (Chili, 2010, 1h28).

Les Vieux chats ou une journée très particulière dans la vie d’Isadora, vieille dame vivant dans un quartier chic de Santiago du Chili. Les vieux chats… Mais parce que ce sont eux qui règnent sur la maison et rythment la vie du couple que forme Isadora et son compagnon. Ils décident du début de la journée, ouvrent les portes, interrompent la lecture de l’un et le rêve de l’autre. Une domination tranquille, tacite et acceptée. Isadora est troublée par des "absences", elle est soudain entre rêve et réalité comme si le temps et la mémoire lui échappaient.

Une comédie ? Un drame ? On ne sait plus, les deux sans doute. Une cruauté à fleur de jeu et des dialogues qui rebondissent d’affrontements en tentatives de concessions, dans l’attente d’un dénouement aigre. La perte de mémoire, la panne d’ascenseur, l’incommunicabilité…

Une séparation de Asghar Farhadi. Le cinéma iranien nous réserve régulièrement de belles surprises. En 2009, ce fut la découverte de deux films remarquables, Les Chats persans de Bahman Ghobadi, tourné clandestinement à Téhéran et À propos d’Elly de Asghar Farhadi, qui a reçu pour ce film l’Ours d’argent du meilleur réalisateur.

Ces deux films rendaient à la perfection le climat sous tension d’un pays qu’il n’est guère possible de voir, ou même d’entrevoir, autrement que par des informations tronquées, dramatiques et ponctuelles. Or ces deux films donnaient à voir la société iranienne, par des images volées de la rue, de la misère urbaine et de la répression au quotidien pour le film de Ghobadi, et de la tension des rapports entre les hommes et les femmes pour le récit de Farhadi. Deux démarches et deux visions de la création cinématographique iranienne.

La Piel que Habito, nouveau film de Pedro Almodóvar 
Avec Antonio Banderas, Elena Anaya, Marisa Paredes. Sortie nationale le 17 août.

Laïcité Inch’Allah ! (Ancien titre Ni Allah Ni Maître ), le nouveau film de Nadia El Fani, aborde, avant et pendant la révolution, la question de la laïcité en Tunisie.