Chroniques rebelles
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Christiane Passevant
Conscience politique et talents multiformes à travers le cinéma libanais (3)
« La guerre continue et n’est pas encore terminée »
Article mis en ligne le 4 décembre 2007
dernière modification le 25 septembre 2009

par CP

« Images, état des lieux », un beau titre pour la découverte des images nouvelles venues du Liban en reconstruction mais aussi en pleine mutation cinématographique. Depuis cette présentation, d’autres films libanais sont sortis sur les écrans, la guerre de juillet 2006 a détruit un peu plus le pays, mais son cinéma n’a cessé de montrer une réalité libanaise complexe.

Danièle Arbid est certainement l’une des cinéastes les plus originales de sa génération. Tout en questionnant inlassablement l’histoire officielle, l’histoire intime des êtres, elle revient sur sa mémoire personnelle de la guerre civile et le mal être de l’adolescence dans son film Dans les champs de bataille (2004). Autre journal intime et familial, celui qu’elle filme dans les Conversations de salon, ou encore, dans une autre intimité qu’elle explore en se coulant dans l’univers de l’Homme perdu. Deux hommes se cherchent et cherchent l’autre dans le Moyen-Orient, cet espace meurtri, dévasté par endroits, revendiqué… en conflit. Qui est l’homme perdu ? L’homme oriental qui parle à peine, qui est peut-être un de ces disparus de la guerre civile de 1975-1991 ? L’homme occidental, dont le personnage est inspiré d’Antoine d’Agata ? « Ce film trouve son origine dans mon rapport particulier à mon pays, le Liban. » L’errance, l’intimité, le questionnement de soi à travers l’autre. Une amitié se noue entre des deux hommes perdus, « de deux écorchés vifs qui se nourrissent l’un de l’autre, comme des vampires... »

Autre homme perdu, le personnage du nouveau film de Ghassan Salhab, le Dernier homme où il est question de perte de repères et de vampirisme… Et de Beyrouth comme dans tous les films de Ghassan Salhab. Un film distribué aux Etats-Unis et qui le sera prochainement en France.
Les réalisatrices libanaises sont à l’honneur, Randa Chahal Sabbag remporte le Lion d’argent au Festival de Venise en 2003 avec un très joli film, le Cerf-volant. C’est un conte de la guerre, une histoire de cette région. Un village libanais, en partie annexé par Israël, est coupé en deux par des barbelés et un no man’s land truffé de mines. Seuls les cerfs-volants ne connaissent pas la frontière. Les familles séparées communiquent par mégaphones. Du haut de son mirador, un garde-frontière, observe une jeune fille, Lamia, et peu à peu s’établit un lien entre eux, sans paroles. Mais les parents de Lamia ont décidé de la marier à son cousin, dans l’autre moitié du village « ennemi » selon l’occupant… Randa Chahal Sabbag est une cinéaste engagée et son film, le Cerf-volant est un constat des méfaits de la guerre, de son absurdité, et des conséquences de l’occupation.

Caramel de Nadine Labaki est récent, sa sortie date d’août 2007. Plus léger, il se situe dans un univers féminin, un salon de beauté à Beyrouth. Dialogues savoureux, actrices justes et émouvantes, personnages secondaires admirablement joués. La société libanaise qui se dévoile à travers tous ces portraits de femmes et leurs problèmes, celle qui aime un homme marié, celle qui n’ose pas avouer qu’elle n’est plus vierge, l’éternelle victime, l’homosexuelle, la mère de famille qui ment sur son âge et participe à tous les castings, celle qui ne croit plus en rien… Elles existent à l’écran et on y croit. Une jolie réussite remarquée au festival de Cannes dans la Quinzaine des réalisateurs. Nadine Labaki est aussi scénariste et comédienne, elle a joué dans Bosta , le premier long métrage de Philippe Aractingi.

Succès de l’année 2006, Bosta a été distribué au Liban et, contre toute attente, a fait davantage d’entrées que les grosses productions étrangères, mais a également fait le tour des pays arabes. Bien différent est le second film de Philippe Aractingi, Sous les bombes , tourné à partir du 21 juillet 2006. Le film est simple : une jeune femme cherche son fils sous les bombes. « Ce film, réalisé là-bas, sous les bombes, était ma seule arme pour affronter mes propres démons et tenter d’exorciser ma peur », déclare le réalisateur.

Zeina est libanaise et vit à Dubaï. Pour éviter à l’enfant les déchirements de son divorce, elle l’a confié à sa sœur, Maha, qui vit à Kherbet Selem, un village du Sud du Liban. La guerre éclate, les bombardements se succèdent, le blocus l’empêche de rejoindre Maha et son fils Karim, âgé de 6 ans. Elle atteint finalement le port de Beyrouth le jour du cessez-le-feu et tente de rejoindre le Sud en taxi. Mais elle se heurte à des refus, « La guerre peut reprendre à tout instant, elle continue là-bas. C’est trop dangereux ! » et le seul chauffeur qui accepte le risque pour 300 dollars, c’est Tony… Commence alors un voyage dont personne ne sortira indemne, ni Zeina, ni Tony, ni le public dans la salle… Un voyage au bout de l’horreur quand Zeina hurle : « ce n’est pas ma guerre ! Ce n’est pas ta guerre Maha ! »

Philippe Aractingi : « Au début de la guerre, le film s’est imposé à moi. J’ai eu une réaction, à chaud, de colère et de haine. J’ai suffisamment travaillé comme documentariste pour comprendre que l’autre n’est pas haïssable, que l’autre est aussi mauvais que moi. J’ai grandi pendant la guerre, en 1975, 1977 on me disait : “l’autre, c’est le méchant, le Palestinien, le musulman”. Quand j’ai pris ma caméra, j’ai fait un film sur la douleur des mères et, à cette occasion, j’ai rencontré l’autre et je me suis rendu compte que l’autre est aussi bon ou mauvais que les miens. Et cette notion d’identité s’est diluée pour moi, c’est celle que gardent les personnes qui font la guerre.
Mais la première chose ressentie en 2006, c’est la haine et la colère contre ceux qui ont commencé la guerre. Et il a fallu que je me défende contre ces sentiments, il a fallu dépasser cela, ne pas entrer dans la même spirale. J’ai appelé un ami, je lui ai expliqué ce que je ressentais et je lui ai demandé son aide. Il est juif et ce n’est pas un hasard si c’est lui que j’ai appelé, lui et pas un autre. J’ai parlé du film, nous avons travaillé le scénario, mais je ne met pas cela en avant parce que ce n’est pas essentiel. Ce qui est essentiel, c’est d’avoir fait ce film, ensemble, qui dit non à la guerre.
Plus de 100 000 bombes sont tombées sur le Liban, si l’on divise ce nombre par 33 jours, le chiffre est impressionnant. Je crois qu’il y a eu 50 morts par jour. Je vivais cette mort au quotidien, cette guerre à haut débit et il fallait dire non à tout cela, donc être dans un acte de création. C’est purement personnel. Au fur et à mesure que le film avançait, j’ai eu l’impression que ce n’était pas moi qui faisais tout ça. Les portes se sont ouvert immédiatement, avec quatre producteurs, deux Français, un Belge et un Anglais, et le film a été produit à une vitesse incroyable, en moins d’un an. Comme s’il y avait urgence de témoigner pour ces victimes, pour ces morts inutiles.
 »

Tourné en numérique, le film est remarquable par les images — l’étalonnage est très subtil sur les images d’archives du début et les différentes périodes du tournage —, par les situations qui mêlent réalité et récit fictionnel de la recherche de Zeina et enfin par une bande son très travaillée, entre sons réels, musique et son de luth oriental. Toute cette partie technique sert le film ajoute à l’émotion qu’il provoque : le public est « sous les bombes » et vit le cauchemar des civils, la guerre n’est pas virtuelle. Le film la restitue dans toute son absurdité et sa barbarie.

Philippe Aractingi : « Rossellini, en 1947, avait filmé Allemagne, année Zéro dans les mêmes conditions, après les bombardements. Ses caméras lui permettaient peut-être autre chose à l’époque. On a parlé de nouveau réalisme à propos de mon film. C’est un genre assez nouveau, un nouveau réalisme vidéo, car la caméra vidéo nous permet d’aller beaucoup plus vite et beaucoup plus proche du réel. Comme cinéaste, je suis fier d’avoir créé volontairement, ou involontairement, une sorte de grammaire nouvelle, mais en tant qu’humain, je m’en fous ! Le film n’est que la couverture d’un message pro victimes, contre la guerre. C’est cela l’essentiel. Même si la forme est novatrice, c’est ce que dit le film qui est important. »
Il est étonnant que le jury du 29ème Festival du cinéma méditerranéen, pour la sélection officielle des longs métrages, n’ait pas été sensible aux qualités de ce film, non seulement novateur et créatif dans sa forme et son expression cinématographique, mais surtout profondément humaniste par le fond. Certes Eduart d’Angeliki Antoniou mérite l’Antigone d’or, mais Sous les bombes de Philippe Aractingi pouvait être, sinon récompensé, salué pour sa démarche : Non à la guerre !

Christiane Passevant (novembre 2007)


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