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Nos ancêtres les Gauloises. Film documentaire de Christian Zerbib
Christiane Passevant
Article mis en ligne le 19 janvier 2012
dernière modification le 23 décembre 2011

par CP

L’identité nationale se conjugue au féminin pluriel !, sous-titre du film de Christian Zerbib, est une indication importante pour comprendre la démarche du réalisateur.

Qui se sent Gaulois ou Gauloise ? On se le demande, car cela fait bien longtemps que l’on ne prononce plus cette phrase, « Nos ancêtres les Gaulois », que toutes les populations colonisées par la France apprenaient par cœur, même si c’était parfaitement ridicule compte tenu de leurs origines et de leur culture. C’est sans doute cela exporter par la force la
« civilisation ». Ubu n’est pas loin et nous n’avons pas terminé d’être manipulé-es par l’histoire officielle et ses experts en matière de colonisation.

En revanche, le film de Christian Zerbib, Nos ancêtres les Gauloises, remet bien des idées préconçues et des clichés en place, avec sourire et émotions garanties.

Dix femmes de la région de Dijon, originaires de plusieurs pays, se lancent dans une aventure, se raconter sur scène, dans une pièce de théâtre et dans un film. Une expérience sur plusieurs plans : d’abord faire ré-émerger le passé, c’est-à-dire confronter les peurs de l’exil, les douleurs, les regrets. Mais parler aussi des rêves.

Plusieurs des femmes disent d’ailleurs que faire du théâtre ou du cinéma, c’était une envie de jeunesse. « Mais là, c’est facile, dit l’une d’elles, parce que le texte, on le sait, puisque c’est notre histoire. »

Pour le public, c’est une rencontre avec ces femmes, un passage derrière la scène, dans les coulisses, au milieu des répétions. Grâce à la caméra, on est partie prenante de l’expérience de la metteuse en scène et du cinéaste, de leur démarche : mettre en scène le réel et filmer les étapes de la réappropriation par les femmes de leur histoire. Très belle histoire, émouvante et passionnante.

De la réalité à la fiction… Mise en scène de la vie. Elles racontent leur vie comme une fiction et ces dix femmes sont bouleversantes de naturel, de spontanéité, d’ouverture sur les autres.

Le film de Christian Zerbib, Nos ancêtres les Gauloises, est sur les écrans dans toute la France depuis le 9 novembre 2011.

Christian Zerbib [1] : Montrer Nos ancêtres les Gauloises sur grand écran, c’est provoquer le débat et et laisser le public s’emparer du film.

Christiane Passevant : Quelle a été la génèse du film ? Le documentaire joue en fait sur plusieurs plans, imbriqués, la rencontre avec les femmes, la constitution de la "troupe", l’axe cinématographique et la pièce de théâtre. Comment s’est construit le film ?

Christian Zerbib : Cela s’est construit ensemble. J’avais l’idée de raconter l’histoire de mamans de l’immigration, c’est-à-dire leur demander de se raconter, de dire comment elles avaient ressenti la France à leur arrivée, comment elles avaient élevé leurs enfants en France, et je voulais le faire à travers un dispositif qui leur permettrait plus d’ampleur, le théâtre. À partir des entretiens lors du casting, j’ai écrit une pièce de théâtre avec leurs propres mots, mais structurée avec les histoires croisées de ces dix femmes. Le défi pour elles était de reprendre ce texte, de se l’approprier et de le jouer sur la scène du théâtre de Dijon. Donc cela a été une aventure de longue haleine pour ces femmes qui, par ailleurs, avaient des occupations, des métiers pour celles qui n’étaient pas retraitées. Les répétitions se sont déroulées sur plusieurs mois.

La pièce a été écrite pour les besoins du film à partir des entretiens avec elles et, une fois les femmes retenues, je les ai réunies pour la première fois dans un musée, le musée de l’histoire de la Gaule, à Bibracte en Bourgogne.

Christiane Passevant : Quelles sont les motivations qui les ont poussé à se présenter au casting ?

Christian Zerbib : Le film se situe dans l’agglomération dijonnaise pour plusieurs raisons, d’abord parce que Dijon est une ville qui, historiquement, a été un carrefour de l’immigration venant de plusieurs pays, pas seulement du Maghreb et de l’Afrique. Dans le film, il y a deux Maghrébines, deux Africaines, mais aussi des femmes qui viennent d’Afghanistan, du Cambodge, du Brésil, ect. Dijon se trouve donc à un croisement de toutes les migrations et, de ce fait, le maillage associatif est très important, et c’est par ces associations, notamment pour l’alphabétisation, et les centres de formation que je suis passé pour rencontrer ces femmes. C’est un processus qui s’est fait sur plusieurs mois, animé par les responsables de ces centres de formation qui ont organisé ces rencontres en fonction du parcours, des envies de ces femmes, de leur intérêt pour le projet. J’ai rencontré beaucoup de femmes pour finalement n’en retenir que dix.

Christiane Passevant : L’âge des participantes s’échelonne de 42 à 74 ans.

Christian Zerbib : C’est cela. Le critère étant qu’elles soient mères et qu’elles ne soient pas nées en France. Elles sont arrivées en France soit pour se marier, soit pour fuir une situation politique, comme Atefa qui est Afghane. Leurs parcours sont très contrastés et différents, les raisons d’arriver en France ne sont pas les mêmes, mais les déchirements de l’exil se ressemblent beaucoup.

[…] Il y a eu réappropriation du texte par les femmes, texte qui a créé une distance quand même et cela s’est passé avec une certaine légèreté, même avec des situations très dures, et avec une certaine dérision aussi sur leurs trajets. C’est sans doute pour cela qu’au final, on se retrouve avec tant d’humour et d’occasions de rire, parce qu’elles rient elles-même de ce qui a été le drame de leur vie.

Christiane Passevant : Elles ont pour certaines des parcours étonnants, par exemple Aurélie qui déclare « Moi, j’ai 7 enfants et 6 pères. J’en choisis un qui soit pas mal et je fais un enfant, mais que j’élève seule. »

Christian Zerbib : Elle était à l’époque de la naissance de ses enfants dans la problématique de la libération des femmes africaines et elle estimait qu’elle pouvait élever ses enfants toute seule. Mais c’était dur pour elle, on le voit à la répétition quand, à cette évocation, les larmes lui montent aux yeux.

[…] Ce que ces femmes font passer, sans aucune barrière ou frein, c’est quelque chose de profondément ancrées en elles, c’est du vécu brut. Elles se donnent entièrement avec une certaine pudeur et une grande générosité, d’où cette émotion qui transparaît. Elles s’affirment aussi dans cette expérience. Le travail théâtral a été aussi un élément de valorisation de soi, à leurs yeux et aux yeux de leurs enfants.

Christiane Passevant : Le tournage s’est fait avec combien de caméra ?

Christian Zerbib : Une caméra, sauf pour la représentation au théâtre de Dijon de Bourgogne où nous étions plusieurs. Le partage de l’expérience s’est fait parce que nous étions très proches et que l’équipe technique était moins nombreuse que les femmes.


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