Chroniques rebelles
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La Mosquitera. Film de Agusti Vila
Christiane Passevant
Article mis en ligne le 19 janvier 2012
dernière modification le 23 décembre 2011

par CP

Imaginez une famille de la classe moyenne, urbaine, engluée dans une totale incapacité de communiquer, de partager, mais qui fait tout pour se protéger et sauver les apparences. Luis, le fils autiste, ramène au domicile familial tous les animaux abandonnés, mais est incapable de s’en occuper réellement ; Alicia, la mère dévouée à son fils, se veut permissive et a des relations sexuelles avec un ami de celui-ci ; le père, quelque peu délaissé, reporte son affection sur la jeune femme de ménage ; la grand-mère muette, interprétée par Géraldine Chaplin, est muette et suicidaire. Bref le portrait d’une famille ordinaire de la classe moyenne, poussé à l’excès.

N’oublions pas l’amie de la famille, pleine de grandes théories sur l’éducation, qui torture sa fille de six ans pour lui apprendre certains principes ! On l’aura compris, le film de Agusti Vila est une attaque en règle de l’institution familiale.

Tragédie burlesque, la Mosquitera [1] renoue ainsi avec une tradition libertaire de films comme Nuestro Culpable de Fernando Mignoni (1937) [2] ou, plus récemment, Jambon Jambon de Bigas Luna (1993) ou encore Mes chers voisins de Alex de la Iglesia (2000). Les bons sentiments s’avèrent catastrophiques et destructeurs, la protection des autres qu’ils et elles s’évertuent à mettre en place échoue bien entendu, faisant place à l’égoïsme de "la famille" qui se retrouve finalement dans un happy end façon Petite maison dans la prairie.

La Mosquitera a gagné l’Antigone d’or du 32e festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier, en 2010, est distribué aux Etats-Unis, en Corée du Sud et en France. Il est actuellement sur nos écrans.

Caroline Barbarit : Comment est né votre projet ? Quelle est l’idée de départ, l’écologie ou la famille ?

Agusti Vila : L’idée de départ, c’est le jeune garçon qui ramène les chats et les chiens de la rue. Cette histoire n’a rien à voir avec l’écologie, mais plutôt avec la famille. Tous les personnages de cette famille ne veulent pas faire de mal aux autres et pourtant ils se font du mal. C’est un film sur le malentendu qui, au fur et à mesure, s’amplifie entre les personnages.

Larry Portis : Toutes les personnes souffrent dans le film, mais de quoi au juste ?

Agusti Vila : Elles souffrent parce qu’elles n’acceptent pas que la vie ait un côté tragique. En fait, ils vivent leur vie par procuration.

Larry Portis : Elles sont inconscientes ?

Agusti Vila : Oui, je crois. Elles ont une idée stricte du bien et du mal, mais qui ne marche pas pour vivre.

Larry Portis : Est-ce une aliénation et, si c’est le cas, quelle est la cause principale de leur aliénation ?

Agusti Vila : Aliénation est le mot juste. Mais je crois que c’est une situation normale dans la société pour cette classe moyenne urbaine qui se protège de l’extérieur et refuse de voir la réalité.

Larry Portis : Quelles sont les conditions spécifiques, créant ce genre de syndrome, dans lesquelles vivent ces personnes de la classe moyenne ?

Agusti Vila : Mon intention n’était pas de faire un film réaliste, je ne parle de l’occupation professionnelle des personnages. J’ai voulu faire un film plutôt abstrait et traiter des problèmes de manière théâtrale, montrer également des personnages inaptes à vivre. Je crois que c’est universel. Ils ont un appartement, une voiture et ont une relation très urbaine avec les animaux.

Christiane Passevant : Le personnage de l’amie de la mère, qui a des principes d’éducation très stricts et de bonnes intentions, est finalement un monstre vis-à-vis de sa fillette.

Agusti Vila : Elle aime sa fille, mais elle lui prête une responsabilité d’adulte. Là, également il y a un malentendu, elle veut élever sa fille à l’inverse de son amie qui laisse toute liberté à son fils. C’est montrer deux façons de vivre sans réellement tenir compte de l’autre. Elles sont toutes deux inconscientes vis-à-vis de leurs enfants.

Christiane Passevant : Et vous poussez les personnages jusqu’au bout, au-delà même du possible ?

Agusti Vila : Tous les personnages, toutes les situations vont au bout. J’ai d’abord pensé faire une comédie sur l’impossibilité de tragédie, certaines situations doivent éclater, mais cela n’arrive pas. Les personnages du film sont comme dans une moustiquaire, ils se protègent. C’est typique de la classe moyenne qui refuse la tragédie.

Caroline Barbarit : C’est un problème social que vous constatez autour de vous ou bien avez-vous voulu traiter ces problèmes de société. Les malentendus, vous les observez autour de vous ?

Agusti Vila : Non, je n’aime pas avoir une réflexion sociale ou politique dans un film parce que si j’écris sur ce sujet, je ne ferai rien d’intéressant. Ma famille n’est pas comme la famille du film, mais j’ai observé ce type de situations et je les exagère jusqu’à l’absurde. C’est pour cela que je ne voulais pas faire un film réaliste. J’ai créé une situation théâtrale avec de longs dialogues pour garder de la distance, ne pas tomber dans la description réaliste, mais aussi pour provoquer la réflexion.

Caroline Barbarit : Le jeune homme, qui est à la base de votre film, fait finalement plus souffrir qu’il ne les protège les animaux qu’il recueille ?

Agusti Vila : Comme les autres personnages, il fait souffrir. Pour tout ce qu’ils touchent, ils font du mal. Ils sont trop éloignés de la vie, de la réalité. Les animaux sont comme un miroir pour eux. Quand intervient la mort du chat, de la colombe, ils n’apprennent rien. Leur relation avec les animaux est très artificielle, ils projettent leurs problèmes sur les animaux et les traitent comme des personnes.

Larry Portis : Dans votre film, pourquoi les personnages tourmentent-ils ceux et celles qu’ils aiment le plus ?

Agusti Vila : C’est dit dans le film. C’est la difficulté d’aimer, la distance est difficile entre l’amour et la haine ou la cruauté, entre le bien et le mal. La ligne est ténue.

Larry Portis : Et quelle est votre réponse à cette question ?

Agusti Vila : Je n’ai pas de réponse, mais je ne pense pas que le film soit pessimiste. Les personnages sont réels dans une situation outrée.

Christiane Passevant : Les personnages se font du mal malgré de bonnes intentions, l’idée étant cette ignorance de la réalité. En revanche, la fin du film surprend parce qu’assez conventionnelle, voire moralisante. La famille est rassemblée de nouveau et tout va bien, c’est un peu moral, non ?

Agusti Vila : C’est assez moral en effet. Mais l’idée de la famille est morale. C’est l’unique institution qui demeure.

Christiane Passevant : Il y a les malentendus et l’absurdité tout au long du film, mais la fin fait penser à la « petite maison dans la prairie ».

Agusti Vila : C’est vrai, mais c’est ironique.

Larry Portis : Dans les petites maisons dans la prairie, vous pensez qu’il existe ce genre de malentendus ?

Agusti Vila : J’espère que non. Le film montre une condensation de toutes les histoires. Toutes les mauvaises histoires dans la même famille.

Christiane Passevant : Comment s’est passé le tournage avec tous ces animaux ?

Agusti Vila : Avec les animaux, très bien, plus facile qu’avec les acteurs et actrices, car des sujets tabous sont abordés, surtout pour les femmes. Les animaux ont été incroyables, ils ont très bien joué. Nous avons organisé un casting pour les animaux et un dresseur était sur le tournage et. La petite fille aussi a été excellente.

Christiane Passevant : Dans votre film, la petite fille me paraît être le personnage qui a le plus de maturité.

Agusti Vila : En effet. Elle a six ans, mais elle comprend la situation. Cela arrive dans des familles.

Caroline Barbarit : Pourquoi avoir fait tourner Géraldine Chaplin dans un rôle muet ? Et comment a-t-elle accepté ce rôle ?

Agusti Vila : J’ai eu des problèmes avec ce rôle, je ne trouvais pas de comédienne pour jouer en silence. La directrice du casting m’a demandé qui je voyais idéalement pour ce rôle et j’ai répondu Géraldine Chaplin. Le producteur a dit pourquoi pas et nous lui avons envoyé le scénario qu’elle a aimé. Elle a accepté un cachet modeste et était enchantée de tourner dans le film. Je lui ai dit qu’elle ferait le contraire de son père qui avait commencé par des rôles muets pour finir dans des films parlants. Mais elle a joué dans un autre film depuis et ce n’était pas un rôle muet.

Caroline Barbarit : Quel a été l’accueil du film jusqu’à présent ?

Agusti Vila : L’accueil du film a été bon au festival de Valladolid, mais a soulevé quelques polémiques, notamment du côté des catholiques. Les réactions du public ont été très différentes et curieuses, parfois le rire domine et ailleurs non, comme en Lituanie. À Londres, le public a ri et ici, à Montpellier, beaucoup moins. Le rire est en fait libérateur. Le film est aussi distribué en Corée du Sud, ce qui prouve qu’il existe une classe moyenne qui a des problèmes.

Christiane Passevant : Vous travaillez sur un nouveau projet de film ?

Agusti Vila : Je suis au stade de l’écriture. Il s’agit de trois histoires qui se croisent et il y a beaucoup de dialogues. J’aime beaucoup les dialogues.


Cet entretien a été réalisé dans le cadre du 32e Festival international du cinéma méditerranéen, CINEMED, le vendredi 29 octobre 2010 à Montpellier.

La Mosquitera est sur les écrans depuis octobre 2011.