Chroniques rebelles
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Ici on noie les Algériens. 17 octobre 1961. Film documentaire de Yasmina Adi
Christiane Passevant
Article mis en ligne le 19 janvier 2012
dernière modification le 23 décembre 2011

par CP

Sept ans après le début de la guerre d’Algérie, le 5 octobre 1961, Maurice Papon, préfet de police à Paris, publie un communiqué qui interdit aux Algériens et aux Algériennes de circuler de nuit à Paris et en banlieue, et de se déplacer à plus de deux personnes.

Pour protester contre ce couvre-feu discriminatoire, le FLN en France organise une manifestation pacifique à Paris le 17 octobre 1961.

Lors de cette manifestation pacifique — au cours de laquelle aucune arme ne sera saisie sur les manifestant-es —, les brutalités policières se déchaînent, arrestations, tabassages, disparitions, liquidation par noyade, pendaisons et exécutions sommaires. Le nombre de personnes appréhendées est considérable. Elles sont parquées dans des stades, sans soins pour les blessés, sans nourriture ni eau. Ce qui, évidemment, fait penser aux rafles de triste mémoire contre les juifs en 1942, sous le régime de Vichy, des rafles orchestrées par les autorités françaises et également exécutées par la police française.

La Croix rouge n’a pas accès aux lieux de détention. Les morts sont retrouvés dans les terrains vagues, dans la Seine… Le bilan officiel est de 3 morts, mais les estimations les plus crédibles sont de 200 à 300 morts. Depuis cet événement du 17 octobre 1961 — sans parler des arrestations illégales et des tortures pratiquées auparavant à Paris et sur le territoire métropolitain — , depuis donc le 17 octobre 1961, c’est la chape de plomb.
17 octobre 1961 : massacre d’Algériens par la police française à Paris.
200 à 300 morts…

Cinquante ans après, l’État n’a toujours pas reconnu ce crime. La xénophobie d’État montre son vrai visage. L’histoire officielle passe à la trappe le 17 octobre 1961 et la barbarie sur commande de la répression policière contre une manifestation pacifique… En revanche, la « Fondation pour la mémoire de la Guerre d’Algérie », dotée de plus de 7 millions d’euros, créée en application de l’article 3 de la loi du 23 février 2005 qui vante les « aspects positifs de la colonisation » est sous la coupe d’associations nostalgiques qui voudraient exiger des historiens qu’ils se plient à la mémoire de « leurs » témoins.

Cinquante ans après, le film documentaire de Yasmina Adi [1] , Ici on noie des Algériens - 17 octobre 1961, témoigne de la barbarie xénophobe déployée cette nuit-là et les jours qui ont suivi.

« J’ai fait ce film pour l’histoire, pas pour une date commémorative. Nous devons prendre en charge notre histoire. Les pages noires ne doivent pas être effacées, au contraire. Je ne peux que souhaiter à mon film longue vie et qu’il permette une prise de conscience enfin » a déclaré Yasmina Adi lors d’un entretien donné au Nouvel Observateur à propos de son film et du déni de l’histoire. Les documents de l’époque, la presse, les déclarations, les témoignages de manifestant-es, de médecins, de chauffeur de bus, de travailleurs, de passant-es, les images… Yasmina Adi a réalisé un documentaire accablant sur cet événement et la manière dont il a été occulté, effacé de l’histoire officielle.

La Seine, long plan sur le fleuve avec, en off, la voix d’une femme revivant le cauchemar qu’elle a vécu en 1961. Son mari a disparu quelques jours après la manifestation, depuis rien… Le silence et l’attente, l’espoir, le désespoir. Son visage, digne et grave apparaît, elle n’a jamais rien oublié.
Les femmes sont présentes dans le film, bouleversantes et fortes par rapport à ce qu’elles ont subi et qu’elles faire connaître. « On n’oublie pas » est le leitmotiv contre la volonté de l’histoire officielle d’éradiquer la mémoire des sacrifié-es, des disparus.

Yasmina Adi revient aussi sur la manifestation des femmes et des enfants, quelques jours après, pour savoir ce que sont devenus leurs compagnons, pères, frères, fils disparus le 17 octobre. Renvoyées de commissariat en commissariat, moquées, malmenées, elles décident quelques jours après de manifester pour le droit de savoir ce qui s’est passé. La répression et l’oubli sont aussi au rendez-vous.

Pour qui sait la douleur que suscite la disparition de proches, la prolongation du silence des institutions est la continuation d’une punition collective, un refus de reconnaître aux familles des victimes le droit de savoir, le droit de mémoire. Espérons que le film documentaire de Yasmina Adi, Ici on noie des Algériens - 17 octobre 1961, contribue à la lutte contre le déni d’histoire et contre la xénophobie d’État qui s’amplifie avec les camps de rétention pour immigré-es, les arrestations d’enfants, la chasse aux Roms…


Ici on noie les Algériens - 17 octobre 1961, film documentaire de Yasmina Adi de 90 minutes. Sortie nationale le 19 octobre 2011.


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