Chroniques rebelles
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Je vous ai compris, film de Frank Chiche. Zero Dark Thirty, film de Kathryn Bigelow. Les Chevaux de dieu, film de Nabil Ayouch
Samedi 26 janvier 2013
Article mis en ligne le 26 janvier 2013
dernière modification le 27 janvier 2013

par CP

Je vous ai compris

Film de Frank Chiche

Diffusion sur ARTE le 1er février 2013

Entretien avec Frank Chiche, réalisateur, et Laurent Thiry, producteur.

1961… Depuis près de 7 ans, la France fait la guerre en Algérie. Dans la nuit du 21 avril, quatre généraux de l’armée française s’emparent du pouvoir à Alger avec une centaine de parachutistes.

Craignant l’abandon de l’Algérie par la France, ils veulent avec ce putsch, contraindre de Gaulle à arrêter sa politique de négociation avec le FLN.

Je vous ai compris de Frank Chiche [1] commence sur un écran noir, avec ces phrases laconiques s’inscrivant à la manière d’une dépêche AFP.

La plus meurtrière des guerres coloniales, la guerre sans nom, qualifiée
d’« événements » par les autorités françaises, la guerre d’Algérie n’est
pas finie et enrôle encore à cette époque de jeunes appelés pour trois
années de service militaire afin de « pacifier » le pays et de combattre la
guérilla pour l’indépendance algérienne. Cet épisode du putsch des
généraux marque un tournant de la guerre, de même qu’une accélération
de la violence.

Dans un décor recréé grâce à une technique graphique très originale, Frank Chiche fait vivre des personnages, ennemi-es du moment, qui eux et elles aussi vivent un tournant essentiel de leur vie et de leur engagement. Une semaine de dernier combat où choisir son camp n’est pas simple pour ces personnages dont le monde, pour certains et certaines, s’écroule, et pour d’autres, est une libération et annonce une nouvelle existence. Histoires croisées, destins croisés, déchirements, blessures irrémédiables et souvenirs déjà fantasmés.
Guerre de la mémoire, guerre des mémoires, la guerre d’Algérie demeure un sujet tabou encore aujourd’hui.

«  Je vous ai compris », début du discours fait à Alger en juin 1958 par de Gaulle, « Algérie française » scandé par la foule, les fantasmagories et autres miroirs aux alouettes d’alors illustrent dramatiquement les atermoiements du colonialisme et les règlements de compte qui se feront sur le dos des plus fragiles ou des plus candides. Les autres, notamment les généraux et autres tortionnaires, s’en tireront très bien et, pour certains militaires, deviendront les conseillers des dictatures d’Amérique du Sud.

Le choix artistique de Frank Chiche de reconstruire en quelque sorte un imaginaire de l’époque et, en particulier de cette semaine là, passe par la forme graphique, entre réalité et BD d’animation. Ce choix permet d’éviter la reconstitution des lieux qui aurait immanquablement atténué le caractère troublant de ce retour au passé.

Le film de Frank Chiche sera diffusé sur ARTE le 1er février à 22h15, sort aussi en DVD, sera accessible sur tablette et en BD papier dans quelques mois.

Premier entretien avec Frank Chiche en octobre 2012 :

http://divergences2.divergences.be/spip.php?article143

http://www.emilune.fr/FRANKCHICHE.COM/JEVOUSAICOMPRIS.html

Et, après un film ne pas louper…

Un film à ne pas voir :

Zero Dark Thirty ou Shoot and cry !

Zero Dark Thirty [2], le fameux film nominé aux Oscars et quasi oscarisé par avance de Kathryn Bigelow, est arrivé cette semaine sur les écrans. Réalisé par Kathryn Bigelow et écrit par Mark Boal, le film se déroule entre 2001 et 2011, et c’est plus de deux heures trente à la gloire de la CIA ! Propagande habituelle et redondante avec, d’un côté les bons Étatsuniens et Étatsuniennes, et de l’autre les méchants Arabes, terroristes évidemment, ou bien vendus, ce qui ne vaut guère mieux. Tous les clichés sont servis à l’extrême dans un scénario au cordeau, avec des gros plans, des travellings élaborés, des mouvements spectaculaires de caméra, des plans sophistiqués d’hélico, un montage pêchu, bref de gros moyens, car le film se veut coup de poing réaliste pour tenir le public en haleine pendant un temps qui, malgré la débauche technique, paraît long, très long…

Quant aux scènes de torture… Elles sont comme un aveu pour s’absoudre et la justification n’est pas loin : il faut pouvoir obtenir des renseignements pour sauver des vies innocentes. Les films étatsuniens ne reculent pas à montrer le pire, enfin d’une certaine manière, et bien scénarisé, mais on peut immédiatement se demander si le fait de montrer la torture génère une prise de conscience… Certainement pas.

C’est plutôt La fin justifie les moyens, et si une quelconque réserve risquait d’effleurer les consciences du public, la réalisatrice a tout prévu : le film démarre sur un écran noir avec, en bande son, les voix angoissées des victimes du 11 septembre 2001. Une mise en scène destinée sans doute à faire passer les images insupportables de torture et d’humiliations sur un prisonnier supposé jihadiste. Les gentils et courageux agents de la CIA, dont le but unique est de défendre le « peuple » — des humanistes quoi ! — sont glorifiés, de même que sont passées sous silence les exactions et les tueries des armées étatsuniennes en Afghanistan et ailleurs… Pas un mot non plus sur les raisons des attentats — seules les victimes sont évoquées —, rien sur les liens de Ben Laden avec les services secrets étatsuniens, ou encore sur les enjeux de la présence étatsunienne dans la région. Pourtant la recherche dans les dossiers occupe une grande partie du film. Mais l’ambition de la réalisatrice n’est pas l’analyse ni de poser des questions ! In God we trust, c’est-à-dire les dollars sont le véritable enjeu, et pour tout dire, il ne manque plus que l’hymne !

Comble de la manipulation, c’est une femme qui mène l’affaire, elle est froide, a voué sa vie à la CIA et, comme il est dit dans le film… C’est une
« tueuse ». Elle a des couilles et de la morale… C’est Jeanne d’Arc au Pakistan. À la fin de l’opération, après que les «  canaris » de l’armée US aient dézingué OBL (traduction : Ousama Ben Laden), flingué ses compagnons et quelques femmes aussi qui criaient un peu trop fort, soudain un détail ironique au milieu du carnage, un des soldats crie aux enfants « n’ayez pas peur » !

Pour clôturer cette suite de clichés à la gloire et au patriotisme US, on a droit à l’émotion de l’héroïne. La réalisatrice s’est alors surpassée pour le dernier plan : les larmes de la « tueuse » pour une fin morale de l’histoire et le fameux
« Tirer et ensuite pleurer », SHOOT AND CRY !

C’est un film — vendu comme « la plus grande chasse à l’homme de
l’histoire
 » — à ne pas voir. À remarquer que, dans une salle comble,
il n’y avait pas une seule personne « issue de l’immigration » comme on dit !
Il est vrai que cette propagande plein écran et l’avalanche de clichés sur les Bad Arabs, ça exclut et c’est pénible. À la sortie, les conversations saisies illustraient l’intérêt du film : « combien de balles ont été tirées sur Ben
Laden ?
 » et « il paraît qu’il s’était caché derrière sa femme, non ? »… Vous l’aurez compris : le film est passionnant, côté prise de conscience !

Mieux vaut parler d’un autre film qui, lui, se pose des question et qui sera sur les écrans fin février : Les Chevaux de dieu de Nabil Ayouch [3]. Ce film traite un problème très actuel, le « terrorisme », mais d’une manière tout à fait originale. Là, il n’y a pas les bons et les méchants comme on nous le sert habituellement, il s’agit plutôt d’analyser la genèse des attentats perpétrés à Casablanca en 2003.

Et nous en parlerons courant février… À suivre…