Chroniques rebelles
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Rencontre avec Serge Utgé-Royo
Samedi 6 avril 2013
Article mis en ligne le 11 avril 2013
dernière modification le 5 avril 2013

par CP

Rencontre avec Serge Utgé-Royo

Des poésies et des chansons

Deux concerts les 8 et 9 avril au Vingtième théâtre

Un beau projet de festival-spectacle autour du 1er mai :

1er mai Ferré

Concerts des 8 et 9 avril 2013

Nous parlerons donc de poésie, d’écriture, de chansons, de voyage, de lutte, d’utopie en compagnie d’ami-es et complices des Chroniques rebelles.

Dans le studio de Radio Libertaire, pour vous, Serge Utgé-Royo, Reza Afchar Naderi, Cristine Hudin et Nicolas Mourer.

Serge, tu as écrit un jour, dans une postface — drôle de mot pour un billet d’amitié —, que la chanson « sert de petits cailloux blancs dans l’histoire
des luttes, des interpellations du peuple aux tenants de la force, des espoirs
en des lendemains plus beaux, plus heureux
 », et tu ajoutais qu’il fut un temps où « les chants humains faisaient partie de l’essentiel ».
Un temps où les luttes étaient plus ardentes et peut-être moins facilement détournées par la propagande officielle et ses avatars.

Détournées… Voilà un mot qui nous est cher lorsqu’il s’agit de chansons engagées et subversives. Car le détournement des chansons et des mélodies au détour d’une manifestation, d’une revendication, d’une lutte ou d’un cri s’élevant contre le pouvoir, fait preuve d’imagination tantôt poétique, tantôt ironique ou facétieuse, et témoigne de la créativité populaire lorsqu’il est question de changer des règles imbéciles et d’exprimer le désir d’un autre monde, plus égalitaire et plus juste.

Si actuellement l’esprit critique a tendance a être marginalisé, si la chanson hors des clous de l’art normé et exigeante de beaux textes semble écartée la plupart du temps des hit parades et autres playlists bidonnées par les majors, comme on dit, tu demeures, Serge, avec quelques autres, un auteur compositeur interprète qui a des choses à dire et qui les dit avec talent et conviction. Semer les petits cailloux blancs de l’utopie et de la mémoire des luttes dans un espace culturel enrégimenté par le fric et le copinage n’est pas toujours facile, non plus que d’assumer et défendre un « espoir têtu ». Il en est de même pour les principes libertaires et la volonté de réaliser ce que l’on sait le mieux faire… En ce qui te concerne, Serge, écrire et chanter.

Alors que te dire, sinon merci d’être là avec tes mots et tes chants, merci pour cet « espoir têtu », pour le « navire éphémère coulant dans le temps » et tanguant sur une planète bien fragile, pour la réappropriation que tu nous offres des chansons de Léo Ferré, pour les Contrechants de ta mémoire des luttes et des utopies, pour un projet futur, que j’espère proche, de chansons détournées. Merci de la part de ceux et celles — et je crois que leur nombre va croissant —, qui ne renoncent pas, mais qui « espèrent, luttent, se moquent, se dressent, souffrent, apostrophent, en appellent à l’avenir, exigent le bonheur, rien que ça. »

Autour du 1er mai

1er mai Ferré

Gaston Couté (dit par Nicolas Mourer)

Ah ! bon Guieu qu’des affich’s su’ les portes des granges !
C’est don’ qu’y a ’cor queuqu’ baladin an’hui dimanche
Qui dans’ su’ des cordieaux au bieau mitan d’la place ?
Non, c’est point ça !... C’tantoût on vote à la mairie
Et les grands mots qui flût’nt su’ l’dous du vent qui passe :
Dévouement !... Intérêts !... République !... Patrie !...
C’est l’Peup’ souv’rain qui lit les affich’s et les r’lit...

(Les vach’s, les moutons,
Les oué’s, les dindons
S’en vont aux champs, ni pus ni moins qu’tous les aut’s jours
En fientant d’loin en loin l’ long des affich’s du bourg.)

Les électeurs s’en vont aux urn’s en s’rengorgeant,
" En route !... Allons voter !... Cré bon Guieu ! Les bounn’s gens !...
C’est nous qu’je t’nons à c’t’heur’ les massins d’la charrue,
J’allons la faire aller à dia ou ben à hue !
Pas d’abstentions !... C’est vous idé’s qui vous appellent...
Profitez de c’que j’ons l’suffrage univarsel ! "

(Les vach’s, les moutons,
Les oué’s, les dindons
Pàtur’nt dans les chaum’s d’orge à bell’s goulé’s tranquilles
Sans s’ment songer qu’i’s sont privés d’leu’s drouéts civils.)

Y a M’sieu Chouse et y a M’sieu Machin coumm’ candidat.
Les électeurs ont pas les mêm’s par’s de leunettes :
 Moué, j’vot’rai pour c’ti-là !... Ben, moué, j’y vot’rai pas !...
C’est eun’ foutu crapul’ !... C’est un gas qu’est hounnéte !...
C’est un partageux !... C’est un cocu !... C’est pas vrai !...
On dit qu’i fait él’ver son goss’ cheu les curés !...
C’est un blanc !... C’est un roug’ !... - qu’i’s dis’nt les électeurs :
Les aveug’els chamaill’nt à propos des couleurs.

(Les vach’s, les moutons,
Les oué’s, les dindons
S’fout’nt un peu qu’leu’ gardeux ait nom Paul ou nom Pierre,
Qu’i’ souét nouer coumme eun’ taupe ou rouquin coumm’ carotte
l’s breum’nt, i’s bél’nt, i’s glouss’nt tout coumm’ les gens ’ qui votent
Mais i’s sav’nt pas c’que c’est qu’gueuler : " Viv’ Môssieu l’maire ! " )

C’est un tel qu’est élu !... Les électeurs vont bouére
D’aucuns coumme à la nec’, d’aut’s coumme à l’entarr’ment,
Et l’souér el’ Peup’ souv’rain s’en r’tourne en brancillant...
Y a du vent ! Y a du vent qui fait tomber les pouéres !

Mais les pauv’s électeurs sont pas des bét’s coumm’s d’aut’es
Quand l’temps est à l’orage et l’vent à la révolte...
I’s votent !...

Léo Ferré (par Nicolas Mourer)

ET... BASTA !

Quand j’emprunte des paradoxes, je les rends avec intérêts.

J’enrichis mes prêteurs qui deviennent alors plus intelligents.

Le taux usuraire de l’astuce n’est jamais assez élevé.

Je ne sais pas d’où je viens mais je sais que je suis là, à reverdir, dans cette campagne toscane.

Les rossignols teints au Gargyl chantaient des aubades pharmaceutiques.

J’ai les cheveux trop longs... comme des voiles de thonier, mes beaux cheveux qu’on m’a toujours taillés, mes beaux cheveux longs dans ma tête.
Dans la rue, on se retourne...

Moi, je leur tire la langue !

O belles pattes des fourrures

Chapeau du vent de ces madames

Inquiétude de la parure

Toiles de soie vers vous je rame

Je sais des paradis tranquilles où les anges n’ont pas de vin à boire mais des orages de raison.

Des violettes de reverdie.

Je sais des paradis tragiques où les fauteuils d’orchestre n’ont pas de mémoire
Où les roses ne fleurissent que par osmose, et encore...

Où les passions sont d’un autre ordre et les mirages d’une autre qualité et de la nuit pourtant venus...

Je sais des paradis-bordels où l’on me fait signe
Où l’on se signe
Où l’on me désigne pour la bonté des mains tendues et des bouches capitales
Comme au petit matin... Tchac !

Je sais des paradis naturels où le mauve tient lieu de drogue
Où l’on peut passer du mauve à la frontière

Je sais des paradis câlins avec la barbe de deux jours et des saints

Sans foi ni loi

Sans feu ni eau

Avec simplement une ceinture d’émigrant

J’émigrerai quelque jour vers vos pays cachés

Et ne reviendrai plus

Regardez-moi

Passants de rien, poules de luxe, fleurs incroyables

Regardez-moi

Je suis un migratoire, un migratoire

Je suis un vieux corbeau qui court après une charogne comme un chien de course après le leurre

Je suis un vieux corbeau de la plaine où je vais m’englânant des trucs

dégueulasses, de vieilles graines d’homme qu’on a trop employées

Je suis un vieux corbeau qui court après une corbeaute

Je croasse comme on peut croasser quand on est un vieil oiseau de cinquante-sept piges

Je tiens que le désespoir des ordures est une incompétence biologique à

pouvoir en sortir un jour ou l’autre, coûte que coûte

Quand la merde déborde, c’est encore de la merde

À ce moment-là, je connaissais une chanteuse...

Vous la reconnaîtriez aussi, c’est facile.

Une chanteuse qui a le derrière sur la figure, ça vaut la carte d’identité, non ?

Et puis, Madame Lechose, taulière blonde, un peu grasse, un peu...

Taulière à L’Escalier de Moïse, où il y avait de tout, du Fernand, du Ferré qui chantait au piano, avec son chien et ses grimaces, et son petit cachet...

 Dis donc, Léo, ça ne te gêne pas de gagner de l’argent avec tes idées ?

 Non. Ça ne me gênait pas non plus de n’en pas gagner avec mes idées, toujours les mêmes. Il y a quelques temps.

Vois-tu, la différence qu’il y a entre moi et Monsieur Ford ou Monsieur Fiat, c’est que Ford ou Fiat envoient des ouvriers dans des usines et qu’ils font de l’argent avec eux.

Moi, j’envoie mes idées dans la rue et je fais de l’argent avec elles. Ça te gêne ?
Moi, non ! Et voilà !

Madame Lechose, un peu blonde, un peu... Je la regardais, des fois, en chantant, juste en face de moi, qui n’en perdait pas une, de ses fiches, et le whisky tant, et le gin-fizz tant, et le citron pressé tant... Et mon citron pressé ?

La Mère Lechose, un peu blonde, un peu grasse, toujours à l’heure, comme les vrais artistes, ceux qui travaillent, et comme ceux qui font travailler les artistes.

Je faisais la salle.

Jamais les clients. Arkel, mon chien, venait me chercher après le Flamenco de Paris.

C’est tout ce que j’ai eu de vraiment espagnol à ce moment-là. Ce devait être un chien exilé.

Je rentrais chaque nuit dans le désert Paris, dans cette brume des garages où reste un peu, le soir, après que les voitures soient passées, de cette odeur des temps modernes qui vous remonte du fond de votre carter, portant le deuil des foins brûlés. Je rentrais chaque nuit dans le désert Paris.

Les putains ne m’accrochaient jamais. Elles savaient que j’étais un homme public, Elles, les filles publiques...

 Alors, comme ça, on se prostitue, Ferré !
Je rentrais chaque nuit dans cette maison douce où gouttait l’eau du robinet, dans cette cuisine un peu salle de bains, avec sa cuvette...

Je vivais à ce moment-là avec une femme. Assez longtemps, avec des problèmes de mouise, d’attentes au bout d’un téléphone qui ne sonnait jamais.

Le téléphone, quand il sonne trop souvent, on s’arrange pour faire répondre qu’on est là ou qu’on n’y est pas.

Les importuns ne croient jamais ainsi qu’ils vous importunent et vous êtes tranquille. On ne peut pas être plus sociabilisé, pas vrai ?

Et puis, les commissions, le dentiste, les droits d’auteur minces, minces...

Quand on travaille comme on veut, on touche comme on peut.

J’allais chercher les sous moi-même, toujours moins de cent mille balles.

Pas de chèque, et vite un restaurant dans un bon quartier. Et puis et puis, les souvenirs s’entassent. Le mariage vous mine petit à petit.

On est fidèle parce que c’est l’usage et les années s’entassent aussi. Les souvenirs, d’ailleurs, c’est du présent discutable. On est hier, toujours.

Moi, je vivais demain et ça fabriquait les malentendus. Un artiste vit toujours demain, sinon il est fait pour l’usine.

À l’usine, le présent, c’est un cadeau quotidien, incessant.

On peut te congédier, alors tu prends des dispositions particulières pour ne gueuler qu’en connaissance de cause et dans le silence revenu des retours à la maison.

À la table de travail, devant la page blanche, l’artiste n’est pas là. Il vit là-bas, loin de tout, du téléphone, de sa compagne, de ses problèmes.

La solitude est une affaire d’ordinateur. Moi, je me perfore loin des imbéciles et du propos courant. On me hait.

Je m’en fous. Je suis un autre mec. Voilà