Chroniques rebelles
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Christiane Passevant
Le soldat dieu
Film de Koji Wakamatsu
Article mis en ligne le 27 mars 2013

par CP

La guerre sino-japonaise, nous sommes en 1940.
C’est d’abord une scène de viol de trois jeunes femmes chinoises par des soldats japonais. C’est toujours des images fugaces de cette scène qui reviennent tout au long du film, des souvenirs hachés du viol, mêlés au feu,
assaillent le violeur. Les femmes sont ensuite tuées à la baïonnette. Tout se passe vite, mais l’évocation est encore plus forte et plus insupportable par ces images qui se dérobent ou chavirent dans un flou qui évoquent un évident déni des atrocités commises pendant la guerre.

L’une des femmes violée est éventrée, la caméra remonte sur son œil mort, fixe… Fondu enchaîné sur le drapeau japonais. Des paysans défilent au pas dans un village, au bord d’une rizière.

Une voiture entre dans le champ.
Intérieur d’une maison, la caméra « panote » sur le visage sidéré de plusieurs personnes, effrayées devant ce qu’elles découvrent… Le corps mutilé du soldat Kurokawa, « revenu sain et sauf » déclarent solennellement les soldats qui déposent le corps ou ce qu’il en reste du lieutenant, en ajoutant qu’il est un exemple à suivre par son sacrifice pour l’empereur et le Japon. Sain et sauf, mais sans bras ni jambes, défiguré, sourd et sans voix. « Une chenille qui roule à terre » dira ensuite sa compagne.

La première réaction de la jeune femme est de s’enfuir : « cette chose n’est pas mon mari »… Mais c’est le soldat dieu, la gloire du village exhibée avec ses médailles.

Le soldat dieu [1], le héros de la patrie est toujours un corps, un corps mutilé qui dort, mange, urine, défèque et baise…Tout cela repose sur sa femme qui revoit son départ, comme un leitmotiv, et sa violence aussi.

Les saisons passent, rythmées par le paysage et les travaux des champs.
Le soldat dieu n’a rien perdu de sa violence qui passe à présent par l’intensité du regard. Mais sa compagne n’a plus peur de lui à l’évocation des coups qu’elle a reçu ou des reproches sur son infertilité. Lui de son côté revit le cauchemar du viol et du massacre des trois jeunes chinoises. Les années passent…

10 mars 1945 : attaque de Pearl Harbour. Le fanatisme patriotique atteint des sommets. Les images d’archives distillées dans le film sont impressionnantes et peu connues.

Elle chante « Nous tressaillons d’espoir pour notre patrie, de fierté pour notre Japon » et fond en larmes. Les échanges dans le silence expriment la violence des sentiments et des codes sociaux. La guerre exacerbe encore cette violence avec le rationnement. Il lui crache à la figure. L’amour, la haine et toute la brutalité des rapports de couple. Se mêlent à ces moments de tension les images du départ de son mari à la guerre, pour elle, aux images du viol et de la tuerie, pour lui.

Finalement, elle le toise et lui crie « Je n’ai plus peur de toi. Tu me
battais tous les jours en m’accusant d’être stérile. Maintenant, essaie
de me battre ! » Aux images du viol et du massacre des trois jeunes femmes chinoises se superposent, pour le soldat, celles de son épouse
qui à présent le domine. Sans ses membres, sa brutalité ne peut s’exprimer, il ne lui reste que la haine.

L’histoire de ce couple et de la descente aux enfers, histoire du Japon et de la course à l’anéantissement.

6 août 1945. La bombe atomique sur Hiroshima. 140 000 morts.

9 août 1945. La bombe atomique sur Nagasaki. 70 000 morts.

15 août 1945. Reddition du Japon et discours de l’empereur.

Des archives rares et insupportables. L’exécution de criminels de guerre par pendaison. 984 criminels. Des cadavres et des corps brûlés par les radiations.

Pendant qu’elle travaille dans les champs, le soldat dieu se traîne dehors en rampant, se dirige vers une mare, près de la maison et se jette dedans.
« La guerre est finie » et cet homme aura tout perdu et commit des atrocités au nom de la patrie.

20 millions de morts en Asie.
On pense évidemment à Johnny Got his Gun de Dalton Trumbo qui lui aussi utilise le cinéma comme une arme politique. Avec le soldat dieu, Wakamatsu [2] réalise une charge sans concession contre la guerre, le nationalisme, la barbarie, le patriotisme, le patriarcat et ses violences contre les femmes.

Le film n’est cependant pas désespéré. La femme se rebelle, prend conscience de l’absurdité de ce que cette société codée et militarisée lui impose. C’est un très beau portrait de femme portée par une comédienne exceptionnelle [3]. Le jeu des autres comédiens et comédiennes est également de la même intensité pour faire ressentir la pression et l’enfermement des individus.

Le soldat dieu est un film profondément engagé où la tension ne fléchit à aucun moment et se poursuit dans un naturalisme fascinant en opposition avec les sentiments des protagonistes. Les gestes des moissons, les visages dans l’effort participent à donner un film d’une grande beauté visuelle. Un film très fort, magnifique.