Chroniques rebelles
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Samedi 8 mars 2014
Baraques de foire
Jérémy Beschon (éditions l’Atinoir)
Article mis en ligne le 9 mars 2014

par CP

Baraques de foire

Une pièce et un livre de Jérémy Beschon (éditions l’Atinoir)

Dans une poursuite de lumière, une madame loyale nous présente la cérémonie télévisuelle des Art and Business Awards européen. Nous assistons, en tant que public plébiscité, au sacre du capitalisme et de l’art. Quoi de mieux que le mensonge du marketing spectaculaire pour travestir l’injustice et la violence de notre société ? Mais si lors d’un show télé, les acteurs (élus et dirigeants d’entreprises) maîtrisent leur rôles à la perfection, il n’en est pas de même au quotidien, de l’autre côté de l’écran, dans le monde « réel ». Là, les protagonistes résistent, abdiquent, s’affrontent, délirent aux fanfares de l’idéologie dominante. La valse de l’État et du libre marché s’accélère, et malheur à celui qui voudrait changer de tempo...

La comédienne passe d’un personnage à l’autre, mêlant la grande Histoire à la petite : une maîtresse et ses élèves dans une salle de classe ; un employeur et une employée à un entretien d’embauche ; un mercenaire blanc et un barman « nègre » au zinc d’un bar africain. Ces différentes scènes auxquelles nous avons accès, tel des hors champs du show télé, s’enchainent et se répondent comme autant de manèges au sein d’une grande foire politique.

Une pièce drôle et cinglante qui prend source dans des évènements historiques et contemporains. Car malheureusement, l’auteur n’a presque rien inventé, travaillant à partir d’articles et d’archives pour éclairer notre lutte au sein des sociétés modernes.

Baraque de foire ou, je serai presque tentée de dire : c’est quoi ce cirque ? Ça commence avec une cérémonie de remise des Art and Business Awards à la télé bien sûr ! Évidemment, l’art sans le business, ça n’existe pas !

L’Art doit être rentable avant tout ! On va débaptiser les musées, la maison de la Radio pour leur octroyer une nouvelle appellation : entreprise culturelle. Le fric, c’est chic ! La loi de la marchandise, la norme du profit… De la créativité ? Que nenni, il s’agit d’apprécier un spectacle à l’aune de la rentabilité… Il faut s’adapter… à la crise ! Tiens, la crise — encore elle — arrive fort à propos pour faire avaler qu’il est nécessaire de revenir sur des acquis pendant que les banques — responsables de la crise — vont très bien après les aides faramineuses qu’elles ont engrangé pour leurs malversations ! Alors, souriez, c’est le bonheur dans l’allégeance au capitalisme.

Baraque de foire de Jérémy Beschon, c’est la mise en scène du processus de formatage des esprits des futurs consommateurs et consommatrices, bien dans le moule et dans le rang, autrement dit des citoyens et des citoyennes responsables ! Le grand mot est lâché, celui qui fait florès : citoyens, citoyennes !

Donc citoyennes, citoyens, ne vous posez plus de questions, penser est inutile, la COM le fait pour vous, vous faîtes partie d’un pays, d’un État, alors répétez avec moi : « la solidarité, [c’est] le sentiment d’appartenir à un groupe de personnes qui sont d’accord entre elles. » Vive la hiérarchie et l’ordre qui en découle !

Baraque de foire, de la parodie ? De l’anticipation ? À peine, et même pas du tout, mais une critique acerbe et sans concession très certainement.

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Au dernier festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier, le film de Mohamed Malas, Ladder to Damascus, a été présenté en compétition. Dans ce film, qui était l’un de mes préférés de la sélection par sa richesse et son originalité, il est question de révolution, de répression passée et présente, de prison, de torture, de poésie et beaucoup de cinéma.

Mohamed Malas est un très grand réalisateur syrien et il avait en octobre dernier répondu à nos questions. Dans ce film, Il avait voulu, à l’échelle d’une maison, montrer la diversité et l’entente des communautés du pays : Ghalia la comédienne qui vient du Nord, Fouad le cinéaste, Rena la sculptrice, Lara, Zarzour l’écrivain, Nawara, Hussein et enfin Oum Sami, qui garde la maison.

Mohamed Malas a été arrêté, il y a quelques jours, à la frontière libanaise par les services secrets syriens.

J’ai repensé à ce que l’un des jeunes dit dans le film : « si tu sors dans la rue pour filmer, tu te fais tuer. » Mohamed Malas avait choisi, lui, de ne pas se taire et de tourner l’intrigue de son film dans une maison de la vieille ville de Damas en y mêlant des images de la télévision et des réseaux sociaux. Ladder to Damascus est une métaphore de la guerre civile, ou plutôt de la guerre faite aux civils. C’est aussi une réflexion ouverte sur la portée des images, sur leur perception et leur instrumentalisation, jusqu’à la scène finale, magnifique, sur la terrasse qui domine les toits de Damas. Hussein, entouré de ses ami-es, grimpe sur une échelle pour hurler « Oriye ! » (liberté).

Mohamed Malas a été arrêté, il y a quelques jours, à la frontière libanaise par les services secrets syriens.

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L’égalité des droits pour les femmes

8 mars, journée des femmes… Une seule journée pour toutes ces revendications dont certaines restent lettre morte. Si l’on mesure le travail qu’il reste à faire sinon pour parvenir à des rapports égalitaires entre les hommes et les femmes, du moins s’en rapprocher, c’est une journée importante, mais c’est un peu court. Surtout si les discours grandiloquents sont rangés au placard à la fin de la journée jusqu’à l’année prochaine.

L’un des points graves est évidemment les violences exercées sur les femmes et là les chiffres sont terribles. Les inégalités salariales en est un autre point. Les mentalités ont du mal à évoluer et la « galanterie » en est encore à remplacer, dans les esprits, le respect de l’autre. Les différences de genre sont un fait de société, acceptées parce qu’intériorisées, et il faudra encore bien des années de lutte pour l’égalité des droits et beaucoup de vigilance contre une régression récurrente, mais imperceptible pour les jeunes générations qui jugent pour acquis les droits obtenus quelques décennies auparavant. Il faut garder à l’esprit que la division des rôles sexués fait partie des conditions nécessaires à la domination et à l’exploitation.

La marchandisation des corps en est l’un des aspects les plus banalisés. L’image imposée dès l’enfance, notamment grâce aux jouets, à la pub, à la télé, au cinéma, formate les esprits, dessine les désirs et les fantasmes, forge les rapports en conformité avec les règles sociales en vigueur et annihile peu à peu toute ébauche d’autonomie ou de volonté d’altérité.

On comprend mieux alors que se réapproprier son corps passe également par la réappropriation de son image. Et c’est ce qui est survenu dans les années 1970, lorsque les femmes se sont emparé de la caméra. Les femmes qui, traditionnellement, ont toujours été devant l’objectif, en décor, sont passées derrière la caméra pour montrer, témoigner, diriger, choisir un cadre, une lumière, une mise en scène et un espace. Du statut d’objets, les femmes sont devenues sujets grâce à la réalisation et à la prise en main des outils de captation de l’image.

Carole Roussopoulos est l’une de ces réalisatrices de cinéma militant des années 1970, cinéma qui a marqué un tournant décisif dans cette réappropriation de l’image, car « depuis 40 ans, puissant outil de contre-pouvoir, la caméra accompagne aussi les femmes dans leur quête d’identité individuelle et collective. »

Alors : Debout !