Chroniques rebelles
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Philomène le Bastard
Holy motors
Film de Leos Carax
Article mis en ligne le 22 décembre 2014

par CP

Surprise et bonheur du cinéma. Holy motors [1] est un film éblouissant d’inventivité, de connivence cinématographique [2], de créativité à l’état brut…

Surtout ne cherchez pas une logique primaire, laissez vous porter par l’émotion, la beauté du jeu des comédien-nes, le flux d’idées qui coulent comme autant d’histoires vécues, imaginées, transposées, personnelles
et universelles… Une vie en un jour, une vie sublimée sur grand écran.

Un homme, le cinéaste lui-même, s’éveille dans une pièce nue, une cellule à la Paul Delvaux dont il s’échappe pour se retrouver, comme dans un rêve, dans une salle de cinéma qu’il surplombe. Le public est immobile, rien ne bouge, seul un très jeune enfant marche dans l’allée, au milieu de spectateurs et de spectatrices lobotomisé-es (?) par un spectacle convenu. Prologue du film, début d’une réflexion sur la création cinématographique, Holy motors en incarne la richesse et la magie, l’émotion et la futilité, la profondeur et les fantasmes…Le cinéma de Carax [3] est halluciné et au sommet de l’expression libre.

Léo Carax nous offre avec Holy motors [4] une merveille, un passage à travers le miroir de nos propres fantasmes par le biais de son récit, de
sa mise en scène portée par un comédien, Denis Lavant, qui est
sans doute l’un des plus exceptionnels de sa génération, entouré de
comédien-nes tout aussi remarquables. Edith Scob [5] est la
passeuse sublime, « conductrice » du récit qui s’enchaîne à la manière d’une saga qui rebondit chaque fois dans un autre univers.

« Bonjour Monsieur Oscar. »

Oscar danse comme autant d’étoiles qui vacillent et, avec l’arrivée de sa partenaire, peu à peu se transforme en nébuleuse, en animation érotique devenant figure allégorique d’un Kama Soutra céleste. C’est son deuxième rendez-vous ou seconde transformation après avoir été mendiante handicapée sur le Pont Neuf, maugréant en roumain contre la vieillesse et le monde.

Au volant d’une limousine blanche, Édith Scob conduit Denis Lavant, Monsieur Oscar, d’un rendez-vous, d’une métamorphose à l’autre.

Monsieur Oscar est un homme riche, brassant des affaires à la bourse et vivant dans une villa monumentale comme la limousine d’ailleurs.

Ou bien Monsieur Oscar vivant dans les égouts, relooké en Merde et enlevant un top model lors d’une séance photo au Père Lachaise, où les pierres tombales indiquent l’adresse du site Internet du défunt ou de la défunte. Oscar/Merde entraîne la belle dans son antre souterrain, joue au styliste pour la rhabiller — du déshabillé au haïk il n’y a qu’un pas — pour finalement s’endormir sur ses genoux. Séquence la Belle et la bête.

Avant la séquence étourdissante de la chorale d’accordéon dans l’église, entraînée par Monsieur Oscar devenu musicien rom et saltimbanque (la sixième), il est passé par le rôle de père de famille raccompagnant sa fille ado après une fête et, histoire de lui donner confiance en elle, la laissant au bas de l’immeuble en lui disant « Ta punition, c’est d’être toi ». Et il assassine son double dans une entrepôt. Double piège pour le public qui ne sait plus qui est qui, mais qu’importe ?

« — Pourquoi continuez-vous Oscar ? demande Michel Piccoli, l’homme à la tache de vin apparu soudain dans l’habitacle de la limousine, parabole du voyage, de la vie, et l’espace du passage à d’autres épisodes.

— Je continue comme j’ai commencé, pour la beauté du geste. » répond Denis Lavant, incroyable de présence à l’écran.

Oscar brusquement demande à Céline d’arrêter la voiture, enfile un masque rouge de bourreau et se précipite à la terrasse du Fouquets pour exécuter une homme, un autre double de lui-même avant d’être exécuté par les gardes du corps de l’homme d’affaires (celui du début de la saga). Céline intervient alors dans la scène et murmure au cadavre : « Monsieur Oscar, nous allons nous mettre en retard. »

Séquence du vieil homme agonisant, nouvel avatar d’Oscar, entre une jeune femme et un énorme chien couché près de lui. Dialogue sur l’amour et la vie. La fin, non. La farandole continue dont Céline et la limousine deviennent sujets. Deux limousines se heurtent et Oscar rencontre un ancien amour. Souvenirs, chorégraphie dans les escaliers de la Samaritaine, chanson [6], mélancolie d’un amour fini, perdu. La séquence est musicale par les images aussi et par l’arrivée sur la terrasse, de nuit. Découverte du Pont Neuf et drame.

Monsieur Oscar remonte dans la limousine et repart vers son dernier rendez-vous, dans une banlieue presque concentrationnaire, « petite maison dans la prairie » moderne, rentre chez lui et retrouve sa famille, sa femme et ses deux filles… des singes.

« À demain Monsieur Oscar ! »

Départ de Céline vers le garage à l’enseigne Holy Motors, dortoirs des limousines. Épilogue du film, allusion aux Yeux sans visage de Franju
quand Céline revêt un masque, « je rentre à la maison », dit-elle. End of the story ? Non, pas du tout. Les limousines entame une conversation en clignotant des phares. « Amen ».

Léo Carax offre une oeuvre universelle, inspirée, entre rêve et réalité, entre cinéma et monde, un voyage dans un Paris mythique, bondissant de séquence et personnage, chacun, chacune laissant une trace étonnante de surprise, d’accidents merveilleux.

Un film unique, qui se fout des codes habituels, les bouscule, qui vous emporte… D’une liberté absolue. Un film anarchiste !

Rencontre avec Denis Lavant après la présentation du film :

« — Denis Lavant, vous jouez dans un film anarchiste

— Je ne sais pas. Je vois le film pour la troisième fois et je découvre encore d’autres choses… »


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