Chroniques rebelles
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Les êtres humaines
Valérie Gaudissart
Article mis en ligne le 23 décembre 2014

par CP

Une être humaine,

c’est une porteuse de baluchon rempli de trois fois rien,
une trimballeuse de sales quarts d’heure.

C’est une femme qui s’est retrouvée un jour dans la rue, avec dans une main un sac poubelles rempli de vêtements d’enfants, et dans l’autre, ses gamins, en train de fuir un domicile conjugal violent, nocif, mortifère, emprisonnant.

C’est une femme qui tente de garder la tête hors de l’eau.
C’est une femme qui va changer de statut, dans son propre regard et dans celui des autres et que l’on ne considèrera plus uniquement comme une victime ou comme un paillasson mais tout simplement comme
une être humaine.

Les êtres humaines [1] est le fruit d’un atelier d’une année à la Résidence de l’Ecluse qui accueille des femmes et leurs enfants victimes de violences familiales et/ou de grande précarité à Chalon sur Saône. Cet atelier a réunit une comédienne, une scénographe, une metteure de scène, un musicien, les résidentes du foyer (celles d’aujourd’hui et celles d’hier), et les éducatrices et assistantes sociales qui les accompagnent dans ce chemin de la reconstruction, qui mêne du statut de victimes à celui d’êtres humaines.
L’idée était de faire ensemble, avec les femmes résidentes, et les femmes qui y travaillent, un travail créatif autour des expériences vécues.
Devenir créative, qui plus est autour de sa propre histoire, permet de la regarder, de prendre de la distance, de la dire, de ne plus la taire, de la transmettre, de ne plus en avoir honte, et de réclamer sa place dans le monde, si petite soit- elle. Je voulais par le biais de la création, participer à cette reconstruction aussi bien sociale que psychologique de ces femmes traumatisées, en faisant appel à leur vitalité, leur fantaisie, leur imaginaire, toutes ces qualités restées enfouies, du fait de la violence et aussi du combat à mener aujourd’hui au quotidien pour retrouver une autonomie.

Cette création et le spectacle sont le résultat de ces rencontres, de ces entretiens, de ces témoignages, de ces écritures collectés au fil des mois. Les êtres humaines aborde de manière intime, la complexité de la violence conjugale, la réalité du travail social et met en scène des paroles fortes, souvent bouleversantes, et nécessaires à entendre.

Les êtres humaines avait d’emblée une fonction artistique et une fonction sociale. Mon idée était de témoigner et de faire comprendre quelque de chose de l’intimité et de la complexité de la violence conjugale (bien plus complexe que « si elles se font taper dessus, elles n’ont qu’à partir ») et de donner une reconnaissance aux travailleuses sociales (je le dis au féminin car dans ce métier, il y a une énorme majorité de femmes, ce qui est bien dommage, mais c’est un autre problème) dont les paroles clairvoyantes vont totalement à l’encontre des discours dominants (sur les profiteurs du RSA par exemple...).

La pièce a une visée de public très large (du public des salles de spectacle, au public des écoles de travailleurs sociaux, d’écoles de police, aux lycéens, etc...) et il obéit à une nécessité sociale et contemporaine : en transmettant quelque chose de l’intimité de la violence familiale, il en rend plus compréhensible le fonctionnement, il libère une parole et une prise de conscience. Et en s’attachant à des figures féminines qui se sortent de longues années de souffrance, il propose des modèles encourageants. Le spectacle a été joué en novembre 2011 dans la maison de quartier du Plateau Saint Jean à Chalon devant un public local et au Colysée devant un public de 600 travailleurs sociaux venus de toute la Bourgogne. Ce spectacle, qui au départ était modeste dans sa diffusion, a reçu un tel accueil qu’il partira en tournée en 2012 en Bourgogne.

Le spectacle dure 55 minutes, et met en scène 11 personnes : 6 résidentes de l’Écluse et/ou adhérentes de l’Association Orfee (Origines Femmes et Emploi), 2 comédiennes professionnelles, 1 musiciens, 1 scénographe et 1 metteuse en scène qui viennent aussi chanter sur scène. Sur un rythme soutenu, le spectacle alterne la gravité et la joie, le réalisme et la fantaisie, la parole et des chansons. Le décor est simple et facile à installer : des baluchons faits de draps noués, qui petit à petit se transforment, et sont tendus sur des fils à linge.

Les êtres humaines est un vrai plaisir de théâtre et en même temps, a vocation de faire éclore des paroles chez ses spectateurs et peut très bien servir de point de départ à un débat. Il serait bon aussi d’effectuer un travail en amont pour amener le public jusqu’à la salle sur un sujet qui pourrait le rebuter. Il faut donc mener des actions de sensibilisation du public sur le terrain avant les représentations.

Les êtres humaines a reçu en 2011 le soutien de la Délégation Régionale aux Droits des Femmes, l’Acsé/CCUS, le REAPP (Conseil Général de Saône et Loire et la CAF) et du Conseil Régional de Bourgogne, de la Mairie de Chalon sur Saône, et de la Résidence de l’Écluse. Le projet a obtenu pour 2012 une aide du Conseil Régional de Bourgogne au titre de la cohésion sociale, pour permettre des représentations dans les quartiers.

Pour conclure, il nous est apparu dans les retours du public que nous avons reçus en novembre, qu’il y avait une adéquation entre la pièce, les messages qu’elle contient, la façon dont elle a été écrite, montée et jouée, et une attente, une sensibilité des spectateurs ou des institutions qui recherchent des projets proches de leur préoccupation de terrain.

Les êtres Humaines est une pièce qui transmet une vérité de la violence conjugale, et qui a l’ambition, par le biais de cette transmission, de travailler pour l’avenir, de toucher un public, tout en offrant un beau moment de théâtre. Les mois passés en compagnie de ces femmes, leur transformation au cours du temps, les réactions du public m’ont définitivement convaincue de la nécessité et du sens de cette entreprise.