Chroniques rebelles
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Christiane Passevant
Ich Bin Eine Terroristin
Film de Valérie Gaudissart
Article mis en ligne le 23 décembre 2014

par CP

« Alors, aujourd’hui 24 mai, ça fait

1000 jours que Mamie est morte

1 quinquénat que Papa ne vote plus communiste

87 ans que Rosa Luxemburg a été assassinée

et 2 jours que je chausse du 35 »

C’est l’histoire d’une gamine, d’une môme à la langue bien pendue et à la répartie facile. Ich Bin Eine Terroristin de Valérie Gaudissart [1] est un film dont le personnage serait une Alice du XXIe siècle avec le regard acerbe d’une Zazie, plutôt mature pour son âge.

Un conte moderne ? Peut-être. Un conte moderne en forme de road movie… Mais le trajet n’est pas pour autant laissé au hasard, car Violette, c’est le nom de la jeune héroïne, suit l’itinéraire de Rosa Luxemburg, assassinée en 1919, qui disait «  Je mourrai un jour à mon poste, en une bataille de rue ou en prison. » Ou encore « Nous sommes tous soumis au destin aveugle, seule me console la pensée affreuse que malgré tout, bientôt peut-être, je serai envoyée dans l’autre monde par une balle de la contre-révolution ».

Violette est fascinée par Rosa l’intransigeante, l’intellectuelle engagée qui soulève encore des polémiques, la femme « gênante » comme l’écrit Claudie Weill dans son livre Rosa Luxemburg. Ombre et lumière. Violette est fascinée au point de fuguer pour aller à la rencontre des lieux où la révolutionnaire a vécu. La prison aussi, à Breslau, où Rosa fut enfermée pendant la Première Guerre mondiale pour ses prises de position contre la guerre. Déterminée, elle l’est Violette du haut de ses 11 ans. Elle discute, elle argumente avec une belle logique et semble souvent plus adulte que ses parents. Il faut dire que sa grand-mère y est pour quelque chose et la filiation radicale paraît avoir sauté une génération. C’est d’ailleurs sans doute sa grand-mère qui a passé à Violette sa passion de Rosa Luxemburg qui, comme elle, aimait la vie, les animaux, l’humanité.

Et puis, il y a un secret entre Violette et sa grand-mère, un secret comme une promesse qu’elle emporte avec elle.

Alors Violette, les Lettres de prison de Rosa Luxemburg sous le bras, prend le train, part à l’aventure et fait de nombreuses rencontres, Karl Marx, par exemple. « Karl Marx n’est pas mort. Je le savais ! » s’écrit l’adolescente et de trinquer avec ce dernier, enfin, juste avec son sosie. Commence alors un périple au-delà des frontières que notre Violette met à contribution pour en savoir plus sur celle qu’elle admire et qu’elle se réapproprie. Le voyage, rien de mieux pour comprendre et apprendre sur les autres et sur soi-même.

Ich Bin Eine Terroristin de Valérie Gaudissart porte un regard facétieux, poétique, musical, atypique sur la prise de conscience et la volonté de savoir d’une presque adolescente bien décidée à ne pas s’en laisser conter. On pourrait dire de Violette ce que Rosa Luxemburg écrivit : « La liberté est toujours la liberté de celui [ou de celle] qui pense autrement. »

Valérie Gaudissart  : Il y a beaucoup de chansons dans le film parce que les gamines adorent bien chanter et je voulais garder cette fraicheur de l’enfance. Les chansons sont aussi la voix intérieure de Violette. C’est son secret et en même temps les chansons donnent des indications sur son état d’âme et sur ce qu’elle vit. C’était très important pour moi que cela soit musical, qu’il y ait un contraste entre la réalité, le voyage, et cette voix intérieure qui perdure. Les chansons sont différentes, les instruments sont différents… Les chansons ont été composées bien avant le tournage parce que je voulais qu’on les entende lors du tournage et que ma jeune actrice arrive à incarner le personnage. Donc elle l’a travaillé par des chansons. On chantait beaucoup sur le tournage et cela donnait une ambiance particulière.

Christiane Passevant : Violette est une Alice très politisée au pays des réalités, même si le film est poétique. Elle ne lâche rien, on l’imagine par avance devant un patron. Violette est un peu le moteur de la famille…

Valérie Gaudissart  : Le père a renoncé depuis longtemps, la mère est assez démissionnaire bien qu’assez intéressante et il y a la grand-mère avec qui Violette avait une grande connivence, mais qui est morte. Violette est en quelque sorte chargée de famille, comme une batterie.

Christiane Passevant : Et la rencontre avec Marx ?

Valérie Gaudissart  : C’est un comédien de Berlin que nous avons perruqué et grimé. Je voulais en fait qu’au début de son voyage, elle rencontre comme un personnage de conte de fées qui lui ouvre la porte de tous les possibles. On bascule à partir de là dans une fantaisie ou une réalité, on ne sait plus… Dans un rêve éveillé. Le film joue avec ces mondes, le réel, l’imaginaire, le cauchemar, le monde intérieur. C’est comme dans la vie, le monde intérieur côtoie le monde extérieur.

[…] J’ai voulu un tournage comme un voyage, avec une petite équipe et beaucoup d’imprévus, peu de moyens. Nous étions dans les mêmes conditions que Violette. Nous avons parfois tourné en clandestin, dans le train, à Berlin. Nous avons voyagé également, pendant une année.

Christiane Passevant : Lorsque Violette retrouve la stèle de Rosa Luxemburg à Berlin Est, les personnes qu’elle rencontre alors sont comédien-nes ?

Valérie Gaudissart  : Non. ce sont des personnes qui viennent sur la stèle et sont bien étonnées d’y trouver la fillette. D’ailleurs le monsieur est très ému parce que le souvenir de Rosa est très fort et elle leur manque.
Tout le film repose sur des rencontres fortuites, des rencontres préparées avec des comédien-nes et, en Lorraine par exemple, ce sont de vrais mineurs que j’avais invité à participer au film. C’est donc un mélange de personnages de la vraie vie et de comédien-nes. Ce qui a beaucoup aidé est que je mettais en scène une enfant et c’est elle qui en fait prime sur tout.
Les mineurs, par exemple, nous ont complètement oublié, ils parlaient à l’enfant et voulaient lui transmettre les choses de leur vie en Lorraine et nous, nous n’existions pas, le dispositif de fiction était complètement oublié.
Une autre scène dans laquelle se mêlent réalité et fiction, c’est celle avec les réfugié-es kosovars. J’ai tourné cette scène avec des réfugié-es kosovars qui venaient de récupérer des papiers. On tourne dans le camion avec un dispositif de fiction, puisque la gamine doit tomber à un moment donné, et là je sens monter une émotion qui les submerge totalement. Ils et elles ont vécu la même scène dans la réalité. Je l’ignorais évidemment, ayant écrit la scène des années auparavant. La frontière entre le réel et l’imaginaire n’existe plus dans ces moments-là.

Christiane Passevant : Comment diriger une jeune comédienne et faire passer la détermination qui habite le personnage ?

Valérie Gaudissart  : Je crois qu’elle avait ça en elle. Je l’ai rencontré dans un cours de théâtre à Clermont Ferrand. J’ai vu une trentaine d’adolescentes — dans mon projet de départ, Violette avait 13 ans — et j’avais envoyé un texte assez long parce que film repose sur le personnage de Violette. Mathilde est arrivée, avec ses cheveux longs, un léger cheveu sur la langue et une telle détermination dans sa diction et dans son jeu alors qu’elle n’avait que 10 ans et j’ai compris que le personnage était beaucoup plus touchant et intéressant à 10 qu’à 13 ans.

Christiane Passevant : Le thème de la prison dans le film ? Tu le dis dans la chanson qui ouvre le film : Rosa, j’écrirai ton nom sur les murs des prisons du monde entier.

Valérie Gaudissart  : C’est ce qu’elle ressent. Je me suis en fait rendu compte, assez tardivement, que je me revoyais adolescente à Beauvais où les fenêtres de mon lycée donnaient sur la prison. Et les murs du lycée et ceux de la prison étaient les mêmes. De ma salle de classe, on pouvait voir les prisonniers donc je crois que Violette est née de ces moments-là, de sensations d’enfermement et d’empathie.

Christiane Passevant : Le titre du film n’est pas neutre, il est même tabou puisque le terme est synonyme de peur et de violence. Pourquoi l’as-tu choisi ?

Valérie Gaudissart  : En fait, le titre s’est imposé à Berlin. Sur la Potsdamer Platz, il reste un vestige du mur sur lequel est dessiné au pochoir
le visage de Rosa Luxemburg avec cette phrase, Ich Bin Eine Terroristin. Et c’est aussi sur cette même place que Rosa Luxemburg a prononcé des discours et notamment un grand discours pacifiste au début de la Première Guerre mondiale, ce qui lui a valu beaucoup d’ennuis. Ma Terroristin à moi ne va pas poser de bombe, mais des mots, et ces mots sont sa bombe.
D’ailleurs, il y a un tourisme de masse sur cette place, beaucoup de gens y passent, et c’est là que Violette fait la lecture des lettres de Rosa Luxemburg, et en fait ils ont eu peur de cette enfant de 11 ans. Ils ne nous voyaient pas filmer, nous étions assez loin, et ils ont eu peur. Donc Violette était une Terroristin sur cette place. [2]

http://www.dailymotion.com/video/xclh8k_ich-bin-eine-terroristin_shortfilms


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