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Samedi 10 octobre 2015
C’est quoi ce travail ? de Luc Joulé et Sébastien Jousse. 37ème CINEMED, Festival international du cinéma méditerranéen. Même pas peur de Ana Dumistrescu. La fête est finie de Nicolas Burlaud
Cinéma, cinéma documentaire…
Article mis en ligne le 12 octobre 2015
dernière modification le 14 décembre 2015

par CP

C’est quoi ce travail ?

Film documentaire de Luc Joulé et Sébastien Jousse

Sortie le 14 octobre 2015

Programme du 37ème CINEMED

Festival international du cinéma méditerranéen

Du 24 octobre au 1er novembre à Montpellier

Même pas peur

Film documentaire de Ana Dumistrescu

Sur les écrans depuis le 7 octobre 2015

Entretien avec Ana Dumistrescu et Jean-Pierre Garnier

La fête est finie

Film documentaire de Nicolas Burlaud

Sortie le 4 novembre 2015

C’est quoi ce travail ?

Écrit et réalisé par Luc Joulé et Sébastien Jousse

Sortie : 14 octobre 2015

C’est quoi ce travail ? Après leur film, Cheminots, qui rendait compte de la déliquescence d’un service public, phagocyté par la logique libérale et détruit par le profit à court terme, Luc Joulé et Sébastien Jousse reprennent avec leur nouveau film — C’est quoi ce travail ? — le cours d’un questionnement sur le travail, mais aussi sur le filmage du «  travail vivant » et sur la lutte des individus pour préserver une part d’expression personnelle, aussi difficile que cela puisse paraître dans un boulot à la chaîne.

« Donner à regarder et écouter le travail »… Dans le décor d’une usine d’emboutissage, la création musicale s’invite et s’immisce dans le vécu au quotidien des ouvriers et des ouvrières. Le compositeur Nicolas Frize s’imprègne des sons dans les ateliers, « cherche des matières, des paysages sonores » pour pénétrer le réel et, dit-il, « c’est déjà de la musique. » En création sonore, c’est l’interprétation qui compte. Et dans cette création, les paroles d’ouvriers et d’ouvrières sont rythmées par les pulsations des machines, les points d’orgue et se révèlent des parties actives de la recherche artistique sonore.

Des sons, des voix, des notes, des échanges, des textes lus, des chœurs qui se mêlent au vacarme des machines, transcendés en quelque sorte par un chef d’orchestre metteur en scène, attentif à chaque mot, chaque vision, chaque parole… Le croisement des paroles intimes sur l’imaginaire, les rêves, les angoisses, le rapport au travail, dans le bruit assourdissant des machines… C’est un contraste saisissant qui donne à réfléchir sur ce qu’est une usine et les rapports qui s’y construisent.

La perception du son enregistré joue le décalage : « au casque, c’est vraiment étonnant » s’étonne un ouvrier. Une ouvrière évoque les robots : « Quand je suis arrivée le bruit des robots me parlait. En fait, je le transformais un peu en morceaux de musique... mais plus maintenant... Je me suis habituée au bruit agaçant du robot. »

Quant à la machine ajoute un autre : « Je l’entends, je la sens, je la caresse un peu, j’ai été voir les niveaux, tout ça, elle me fait un bruit enchanteur, ça tapote... et je me casse ! Je m’enfuis de l’usine... »

S’enfuir de l’usine, ce lieu qui agresse les oreilles et le corps. Le film de Luc Joulé et Sébastien Jousse allait-il transformer l’usine éprouvante et hostile en lieu mythique ? Les témoignages allaient-ils évacuer sa réalité violente ? D’ailleurs, le travail est-il autre chose qu’un moyen de subsistance, un temps hors du temps, un moment de vie hors de la vie ?

C’est quoi ce travail ? de Luc Joulé et Sébastien Jousse. Le film a été tourné à Saint Ouen, dans une usine qui produit 800 000 pièces de carrosserie automobile par jour. Un compositeur, Nicolas Frize, est à l’écoute sur le terrain et se lance dans une création sonore qui apporte une perspective différente au travail qui s’y déroule, comme si une autre dimension occupait soudain l’usine, comme si l’humain existait à nouveau avec la fierté du travail, la souffrance aussi. L’usine est dans la ville, elle n’est pas dans un de ces espaces perdus, isolés, lointains… Le dehors est là, à portée de main et d’escapades furtives quand on n’en peut plus de la mécanique qui tourne 24h sur 24.

C’est quoi ce travail ? un film écrit et réalisé par Luc Joulé et Sébastien Jousse.
La réalité sociale transparaît au fil des témoignages, la souffrance physique, psychique des personnes rappelle « le désespoir [déjà] perceptible dans Cheminots », le précédent film des réalisateurs : «  En tentant de parler de l’intime de la personne dans son travail, en révélant cette nécessité de créer quelque chose de soi dans le cadre d’un travail très standardisé, très contraint par les impératifs de production, il était évident que nous allions rencontrer cette souffrance. Les différents témoignages l’expriment à chaque fois de manière très singulière. Pour certains directement ; pour d’autres on la devine en creux. » Il en ressort une lutte entre le travail et la volonté d’exister, entre le travail et la vie…

S’échapper… « Des fois, je suis ailleurs, je suis partie pendant quelques temps... Où ? J’en sais rien… Et puis à un moment donné, hop ! Je reviens. Ben oui, ce sont mes mains qui travaillent toutes seules. Je suis là ! Je suis revenue ! »

Ce témoignage d’une ouvrière fait écho à ce que déclarent les réalisateurs :
« Film après film, nous constatons une organisation du travail qui nie délibérément cette part vivante. Une fiction totalitaire qui, sous couvert de rationalité et d’impératifs de production, vide le travail de sa substance véritable. Aucune catégorie professionnelle n’y échappe. En nous focalisant sur cette lutte, nous ne cherchons pas à éluder d’autres combats. Pendant les trois années de notre séjour, nous avons beaucoup discuté avec les salariés de l’usine. Malgré leurs efforts, les concessions, les résistances, leur inquiétude est grande sur la pérennité de l’activité. »

L’inquiétude de ceux et celles qui ont connu le chômage et vivent l’usine comme une fatalité nécessaire pour survivre : « Alors on se dit, il faut mentalement tenir et peut être habituer le corps... C’est vrai ça, c’est un truc... l’homme, il s’habitue à n’importe quoi quand il est condamné... ».
Mais ils et elles disent aussi des revendications pour s’exprimer par exemple :
« Depuis 35 ans que je fais ce boulot oui, y’a un peu de moi !... Alors si je peux apporter une petite touche personnelle... pourquoi pas ? », et parlent même de velléités d’autonomie : « Je modifie pas mal la "partition". Oui... C’est pas bien, mais si je veux que le "morceau" me plaise, je "l’arrange" à ma sauce... »

Avec C’est quoi ce travail ?, Luc Joulé et Sébastien Jousse réalisent un film original et passionnant qui pose de multiples questions sur le travail, sur l’expression, sur l’art, sur la vie, sur le devenir de la société. Rarement un
film documentaire replace la classe ouvrière dans le contexte actuel avec autant de justesse et de profondeur. Et la citation d’Italo Calvino trouve ici
tout son sens : «  L’enfer des vivants n’est pas chose à venir ; s’il y en a un, c’est celui qui est déjà là, l’enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d’être ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart : accepter l’enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui faire de la place. »

Le parcours cinématographique de Luc Joulé et Sébastien Jousse semble les ramener « à cette obstination de plus en plus affirmée : filmer le travail vivant », mais également à la recherche d’espaces de liberté et de lutte malgré le constat lucide qu’ils font au fil de leurs réalisations.

C’est quoi ce travail ? écrit et réalisé par Luc Joulé et Sébastien Jousse, un film fascinant, touchant et splendide !

CINEMED 2015

37ème festival international du cinéma méditerranéen

du 24 octobre au 1er novembre, à Montpellier

Neuf jours de cinéma méditerranéen, plus de 100 films inédits, des copies restaurées, des longs et des courts métrages, des films documentaires, mais aussi des rencontres… De découvertes en redécouvertes, ce sont neuf jours d’effervescence cinématographique avec, en prime, une diversité et une richesse remarquables, comme à l’habitude de ce festival pas comme les autres.

Le 37ème festival international du cinéma méditerranéen accueillera à Montpellier des cinéastes prestigieux, Carlos Saura et son nouveau film, Argentina, Tony Gatlif qui présentera Geronimo. Des rétrospectives de ces deux cinéastes auront lieu durant le festival. Une bonne raison de redécouvrir des merveilles dans la continuité des œuvres. Enfi sera présent Miguel Gomez, réalisateur de Tabou et, plus récemment, des Mille et une nuits — 3 films, L’Inquiet, Le Désolé et L’Enchanté — qui évoquera la création cinématographique au Portugal et la nouvelle génération de cinéastes qui y travaillent.

L’année dernière, hormis le film magnifique de George Ovashvili, La Terre éphémère, qui avait raflé quasiment tous les prix de la compétition des longs métrages, le festival international du cinéma méditerranéen avait programmé deux films documentaires syriens : la Chambre syrienne d’Hazem Alhamwi qui décrit la résistance à la dictature à travers l’œuvre d’un peintre, et Our Terrible Country de Mohammad Ali Atassi et Ziad Homsi.

Dégradé des frères Arab et Tarzan Nasser

Cette année réserve bien des surprises, notamment avec Dégradé des frères Arab et Tarzan Nasser, dont le court métrage — Condom Lead — a été applaudi au Cinemed et sélectionné au Festival de Cannes. Humour et personnages haut en couleur pour ce film gazaoui. https://youtu.be/Nt6pHgmt8Es

Maintenant ils peuvent venir de Salem Brahimi

Une belle palette de films algériens ou filmés en Algérie, Maintenant ils peuvent venir de Salem Brahimi qui se déroule au début des années noires. Amama de Asier Altuna… À signaler aussi un documentaire remarquable, Toto et ses sœurs d"Alexander Nanau.

Toto et ses sœurs d’Alexander Nanau

Même pas peur

Film documentaire de Ana Dumistrescu

Sur les écrans depuis le 7 octobre 2015

Sorti le 7 octobre, comme le film documentaire de Luc Decaster, Qui a tué Ali Ziri ?, Même pas peur d’Ana Dumistrescu analyse les conséquences des attentats de janvier 2015, de même que l’utilisation politicienne qui a été faite des événements en instrumentalisant la mobilisation populaire.

Lors du défilé-grand messe du 11 janvier, marchaient en tête du cortège — assez loin quand même —, des femmes et des hommes politiques dont certains étaient responsables de massacres, par exemple Benjamin Netanyahou qui, pour la circonstance en pleine campagne électorale, se déclarait défenseur de la liberté d’expression, et s’empressait dès le lendemain de lancer un appel à la « communauté juive » pour venir se réfugier en Israël… Actuellement, des civils palestinien-nes se font descendre à bout portant par la police israélienne, des colons, soutenus par l’armée, agressent quotidiennement les Palestinien-nes en Cisjordanie et à Jérusalem, les bombardements reprennent sur Gaza, enfin l’occupation militaire israélienne est soutenue par les gouvernements européens et en particulier états-unien. Ce qui prouve encore, si cela était nécessaire, que la mascarade de janvier symbolise le cynisme des politiques et leur cécité vis-à-vis d’un terrorisme d’État.

L’élan consensuel pour la défense de la liberté d’expression a été pour les classes dirigeantes internationales un moyen de se refaire une image d’humanistes « démocratiques » et de remonter dans les sondages, la
politique se bornant aujourd’hui à faire de la COM et à avoir un œil sur
«  l’audimat »… La spontanéité des manifestants et des manifestantes qui brandissaient le petit panneau sur fond noir — belle réalisation de pub ! — a été récupérée sans vergogne par les politiques qui, malgré leurs simagrées, se fichent pas mal des vies humaines sacrifiées et de la banalisation de la barbarie.
Il faut, à ce propos, signaler la publication, par les éditions de l’Insomniaque, d’une compilation des réactions aux attentats dans la presse et sur Internet, qui a pour titre : Janvier 2015. La France éteint les Lumières. Une épiphanie à l’envers. [1]

L’attentat du 7 janvier 2015 contre Charlie Hebdo a tué des caricaturistes
et c’est inacceptable. Il n’est pas moins inacceptable que ceux et celles qui
ont critiqué la médiatisation autour de meurtres délibérés soient accusés de
« terrorisme intellectuel ». En juillet 1987, le caricaturiste palestinien Naji
Al-Ali, créateur du personnage de Handala et ancien président de la Ligue des caricaturistes arabes, était tué d’une balle en pleine tête à la sortie de son bureau, à Londres. Ses dessins, très populaires, critiquaient l’occupation israélienne et les régimes arabes. L’enquête sur son assassinat a vite été abandonnée. Sont parus dernièrement, avec une préface de Siné (Scribest), Les dessins de résistance de Naji Al-Ali. Une autre histoire de la Palestine.

Les attentats à Paris des 7 et 8 janvier 2015 ont permis d’instiller l’idée de deux camps et d’un ennemi intérieur, de développer encore le racisme, la peur et la suspicion de l’autre pour faciliter l’acception de dérives sécuritaires.

Extrait d’un communiqué de la fédération anarchiste. « Cet attentat intervient dans une période de stigmatisation vis-à-vis des musulmans ou assimilés comme tels. Il faut rappeler que l’islamophobie est un outil du pouvoir visant à diviser notre classe et ses luttes. Elle ne se développe pas en réaction à un soi disant “problème musulman”. »

Le film documentaire d’Ana Dumitrescu, Même pas peur !, dont le thème est principalement la peur de l’autre et dont le tournage a démarré après les événements de janvier, est construit autour de témoignages et de perceptions variées de la réalité sociale. Pas moins de vingt intervenant-es s’expriment sur la question de la peur et de son emploi à des fins politiques.

Même pas peur ! est une base pour des débats sans clichés, des réflexions à plusieurs niveaux et pose de très nombreuses questions sur l’utilisation par une minorité de la « communication » pour assurer le contrôle de la population, notamment avec la construction sociale d’un problème religieux destinée à faire oublier l’évacuation de la question sociale.

La fête est finie

Film documentaire de Nicolas Burlaud

Sortie le 4 novembre 2015

Le film aurait pu s’intituler « Main basse sur la ville ». À preuve les paroles d’Alèssi Dell’Umbria dans le film :

« À partir du moment où Marseille a commencé à être à la mode, on a compris que la mairie et la chambre de commerce voulaient transformer la
ville en marchandise dans une logique de rente de situation. On savait qu’on allait s’acheminer vers la multiplication de méga-événements livrés clefs en main.
 »

La fête est finie sera sur les écrans le 4 novembre. C’est un film enquête absolument passionnant sur, pour citer Jean-Pierre Garnier, « les différentes facettes d’un processus global de dé-civilisation urbaine fait de dislocation territoriale, de désintégration sociale et d’aliénation culturelle. »

La fête est finie est un brûlot sans fard ni concessions et une réalisation superbe !