Chroniques rebelles
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Samedi 21 novembre 2015
Mater la meute, Lesley J. Wood. Le marché global de la violence, Mathieu Rigouste. Tournée du Théâtre de la Liberté de Jénine
Article mis en ligne le 22 novembre 2015
dernière modification le 6 décembre 2015

par CP

Mater la meute. La militarisation de la gestion policière des manifestations,
Lesley J. Wood suivi de La restructuration néolibérale des institutions économiques et politiques entraîne une militarisation progressive des forces policières et de leurs tactiques de maintien de l’ordre. Surveillance, infiltration, brigades spéciales, armes sublétales, arrestations préventives... en Amérique du Nord comme en Europe, il semble que tous les moyens soient bons pour neutraliser la contestation sociale.

Refusant de céder au schématisme habituel qui fait des forces de l’ordre un simple instrument des élites politiques, la sociologue Lesley J. Wood revient sur l’histoire récente de la police nord-américaine pour mettre au jour les dynamiques complexes qui la traversent. S’appuyant sur des sources directes, ainsi que sur les travaux de Bourdieu, Boltanski, Wacquant, et d’autres, elle étudie l’influence croissante du secteur privé – multinationales et consultants en sécurité –, de l’armée et des grandes associations professionnelles sur les pratiques policières et leur diffusion. Car mieux comprendre les raisons de l’escalade de la violence dans les réponses policières, c’est se donner les moyens, collectivement, de mieux y résister.

Dans Le marché global de la violence en fin d’ouvrage, Mathieu Rigouste revient sur les mutations du maintien de l’ordre en France.

Entretien avec Mathieu Rigouste

Et

Tournée du Freedom Theatre

Théâtre de la Liberté de Jénine

Le théâtre de la Liberté de Jénine présentera L’Ile (The Island) les vendredi 27 et samedi 28 novembre au théâtre Berthelot de Montreuil et le mardi 1er décembre à l’espace Jean Vilar d’Arcueil.

Entretien avec Sonia Fayman

Mater la meute

Militarisation de la gestion policière des manifestations

Lesley J. Wood

suivi de

Le marché global de la violence

Mathieu Rigouste (LUX)

Face aux attentats ignobles du 13 novembre contre des civils, attentats destinés à provoquer la terreur et la haine, perpétrés par des djihadistes de Daesh, les discours guerriers du gouvernement enjoignent à mettre en sourdine les droits à la liberté au nom de la « guerre contre le terrorisme ». L’état d’urgence, déclaré par décret en conseil des ministres, a été prolongé de trois mois à partir du 26 novembre par un vote de la quasi totalité des députés de l’Assemblée nationale — avec seulement 6 voix contre.

Selon la définition, « l’état d’urgence est une situation spéciale, une forme d’état d’exception qui restreint les libertés et “confère aux autorités civiles, dans l’aire géographique à laquelle il s’applique, des pouvoirs de police exceptionnels portant sur la réglementation de la circulation et du séjour des personnes, sur la fermeture des lieux ouverts au public et sur la réquisition des armes”. »

Pleins pouvoirs, état de siège, état d’urgence, on essaie de comprendre ce que cela signifie au quotidien, hors de l’argument fréquemment asséné sur la sécurité. Le terrorisme, dont la définition reste floue, n’est pas la guerre, donc comment définir le ou les terrorismes actuels et à venir ? L’état d’urgence, qui remplace l’état de droit, sera-t-il un état d’exception permanent ? Comment sera évaluée l’efficacité des mesures mises en place par l’état d’urgence pour assurer la sécurité de la population ?

Ce que l’on constate, c’est que le pouvoir judiciaire n’est plus dans la boucle ; un blanc-seing est ainsi donné au président qui « estime en conscience » que les attentats sont du « terrorisme de guerre », blanc-seing également donné à son non moins martial premier ministre. Alors évidemment toute cette offensive au pas de charge pose des questions sur les possibles dérives sécuritaires d’une situation sans contre-pouvoirs exprimés… Par exemple, quels seront les critères pour estimer une provocation au « désordre » et quelle est sa définition ? Ou encore à quoi correspond le « caractère de calamité publique » ?

Trois mois sans manifestations autorisées ? On a en tête les déclarations grandiloquentes du premier ministre sur les chemises déchirées des directeurs pendant la grève d’Air France, sans une seule allusion aux 3000 licenciements prévus. De même que le procès du 2 décembre prochain où cinq salariés d’Air France comparaissent pour « violences en réunion ».
Alors plus de réunions publiques ? Elles s’annulent les unes après les autres pour raison de
«  sécurité ». Et cela en plein projet de réforme du code du travail ! Intéressant pour un gouvernement qui aurait là l’opportunité de « transformer l’exception en ordinaire ».
Cet état d’urgence ressemble fort au PATRIOT ACT états-unien — institué par George Bush junior après les attentats du 11 septembre 2001 —, loi d’exception la plus autoritaire, et permanente, de l’histoire des États-Unis. Cette loi donne en effet l’autorité au président de désigner des « ennemis combattants », exclus de la protection des conventions de Genève. Et grâce à des ambiguïtés de langage, ce traitement peut être appliqué à des citoyennes et des citoyens états-uniens.

Les conséquences sont la légalisation des arrestations arbitraires, de la détention préventive et même de la torture. Les « ennemis combattants », jugés par des tribunaux militaires, n’ont pas le choix d’avocats civils, hormis la liste homologuée par les autorités. Cette loi change également le statut des sanctions appliquées aux militaires et aux membres du gouvernement. Ce qui rend désormais difficile, voire impossible, la poursuite des personnes accusées de crimes de guerre et de torture.

Dans ce climat de tension, l’ouvrage de Lesley J. Wood, Mater la meute. La militarisation de la gestion policière des manifestations, est d’autant plus intéressant qu’il met en lumière l’évolution des pratiques policières durant les deux dernières décennies en Amérique du Nord.
« Aujourd’hui, la police opère dans un contexte de nettoyage social continu au sein duquel l’espace de dissension juridique, culturel et politique s’est rétréci sous la pression des outils législatifs tels le Patriot Act, les nouvelles lois sur le crime organisé, les interdictions de manifester, les lois antiterroristes et les capacités accrues de l’État en matière de surveillance et de contrôle des frontières. »

Lesley J. Wood analyse les raisons qui, depuis le milieu des années 1990, ont justifié l’adoption par les polices états-unienne et canadienne d’armes sublétales comme les pistolets Taser, les gaz lacrymogènes, les vaporisateurs de gaz poivre, ou encore le recours aux barrières et aux unités antiémeute. L’auteure introduit son essai avec un témoignage personnel de la manifestation pacifique à Toronto, en 2010, pendant la réunion du G 20. Les revendications,
« Justice for our communities » vont de la justice environnementale, de la justice pour les immigrants, de la fin des violences de genre à l’accès pour les services publics comme la garde des enfants. La manifestation pacifique se heurte alors à la violence policière, ordres, contre-ordres… Le centre ville est bunkerisé : les dépenses pour « sécuriser » les participant-es aux G8 et G20 sont chifrées autour du milliard de dollars. Bilan : 1100 personnes arrêtées et instauration de méthodes militaires dans la police. « À mesure que le filet social disparaissait sous la restructuration néolibérale, la police voyait son rôle évoluer. » Il est évident que pour contenir la contestation sociale face à la mondialisation et au néolibéralisme, il fallait d’abord criminaliser les vagues de manifestations, puis adopter des méthodes, une stratégie « tributaire de la transformation néolibérale des systèmes politique, social et économique, et de l’influence que ces derniers exercent sur les organisations policières et leurs processus décisionnels. »

Si la restructuration néolibérale et l’évolution du rôle de la police se font en quelque sorte écho, qui est, en premier lieu, visé ? Les plus pauvres et les marginaux… La meute qu’il est nécessaire de mater, mais là aussi, il y a évolution, notamment avec les mouvements OCCUPY au sein desquels d’autres classes sociales ont remis en question la paix sociale.

Le marché global de la violence de Mathieu Rigouste complète l’étude de Lesley J. Wood en analysant le « nouveau stade du développement de l’impérialisme [qui] se caractérise
par la genèse et la globalisation de marchés de la surveillance, de l’encadrement et de la répression.
 » Il compare les conclusions de Lesley J. Wood à la situation en France et, plus largement, en Europe pour « les intégrer à l’analyse des structures transnationales de défense et de sécurité à travers lesquelles la plupart des États […] et leurs sous-traitants coopèrent et se font concurrence. » En soulignant bien évidemment « la logique du modèle de neutralisation stratégique [qui] est clairement un mode de contrôle social. »

Comme l’écrit Mathieu Rigouste, face à «  l’expansion d’un marché global de la violence », la résistance, « les stratégies d’émancipation collective ne peuvent être conçues que par les opprimé-es » et au travers des luttes.

Et

Tournée du Freedom Theatre

Théâtre de la Liberté de Jénine

Dans une prison, deux compagnons de cellule passent leurs journées à un travail physique abrutissant et leurs nuits en répétitions de l’Antigone de Sophocle.

L’Ile est une pièce écrite par trois écrivains sud-africains [1], au temps de l’apartheid.
Le Freedom Theatre s’est emparé de cette pièce qui a une forte résonnance dans la Palestine d’aujourd’hui où la prison fait partie du quotidien de la plupart des familles. Comme l’a dit Gary English, metteur en scène de la version palestinienne, « les thèmes de la pièce sont universels, notamment la tragédie de ceux qui, dans le monde sont, quoi qu’il en soit, emprisonnés pour des raisons purement politiques, des croyances ou simplement parce qu’ils s’expriment contre l’injustice. »

Les Amis du Théâtre de la Liberté de Jénine produisent aujourd’hui l’Ile, en France, en soutien au Théâtre de la Liberté.

Le Théâtre de la Liberté de Jénine a été créé en 2006, dans le camp de réfugié-es de la ville détruit en grande partie en 2002 par l’armée israélienne.
Onze ans après la mort d’Arna Mer Khamis qui avait initié, dès la première Intifada, des écoles et des activités artistiques pour les enfants des camps, Juliano Mer Khamis reprend le projet de sa mère, le Théâtre de la Liberté, avec Zakaria Zubeidi, Jonatan Stanczak et Dror Feiler. « L’objectif de ce théâtre est d’offrir des opportunités aux enfants et aux jeunes du camp de réfugiés de Jénine de développer leurs talents, de se connaître soi-même et d’avoir confiance en soi en utilisant un processus créatif comme modèle de changement social. »

Malgré l’assassinat de Juliano Mer Khamis, en avril 2011, le Freedom Theatre ou Théâtre de la Liberté reste un symbole de la résistance culturelle à l’occupation israélienne. Il offre aux jeunes la possibilité de s’exprimer, de créer et de rêver d’une vie sans violence quotidienne ni oppression.

Comme la semaine dernière, Sonia Fayman revient plus longuement sur l’association ATL Jénine et l’organisation de la tournée du Théâtre de la Liberté de Jénine, mais également sur ses projets.
Et à ce propos, quoi de mieux que rappeler les paroles d’Arna Mer Khamis qui a initié le projet d’un théâtre dans le camp de réfugié-es de Jénine pendant la première Intifada :

« Il n’y a pas de liberté sans savoir
Il n’y a pas de paix sans liberté
La paix et la liberté sont inséparables
 »

« …nous souffrons d’un mal incurable qui s’appelle l’espoir. Espoir de libération et d’indépendance. Espoir d’une vie normale où nous ne serons
ni héros, ni victimes. Espoir de voir nos enfants aller sans danger à l’école. Espoir pour une femme enceinte de donner naissance à un bébé vivant,
dans un hôpital, et pas à un enfant mort devant un poste de contrôle militaire. Espoir que nos poètes verront la beauté de la couleur rouge dans les roses plutôt que dans le sang. Espoir que cette terre retrouvera son nom original : terre d’amour et de paix. Merci de porter avec nous le fardeau de cet espoir.
 » Mahmoud Darwich

http://www.thefreedomtheatre.org/

Musiques :

John Trudell, Shadow Over Sisterland

Steve Earle, The Revolution starts

John Lenon, Imagine

Groupe Karloma, Once Upon a time