Chroniques rebelles
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Christiane Passevant
On récolte ce que l’on sème
Film documentaire d’Alaa Ashkar
Article mis en ligne le 5 octobre 2015

par CP

On récolte ce que l’on sème. C’est le second film documentaire d’Alaa Ashkar. Après Route 60, d’où émergeait, en filigrane, une prise de conscience de la spécificité des règles auxquelles est soumise la population palestinienne en Israël — estimée aujourd’hui à 20 % —, Alaa Ashkar poursuit ici l’étude d’une "minorité" dont on mesure l’importance à l’aune des mesures discriminatoires mises en place par l’État israélien.

Le réalisateur vit aujourd’hui en France, mais retourne régulièrement en Galilée pour des visites familiales. Il a ainsi constaté les évolutions rapides de l’espace urbain dans cette région et, avec le recul, a mesuré l’influence de celles-ci, notamment sur son entourage proche. D’une caméra discrète, il dresse un portrait intime de sa famille, qui, sans paraître s’en préoccuper, vit les effets d’une colonisation rampante, liés bien évidemment à l’escamotage, voire l’éradication de la mémoire palestinienne. Ce phénomène, qui a suscité en partie le projet du réalisateur, le conduit à mettre en lumière, au fil des observations croisées et des échanges quotidiens, le statut particulier de ces Palestiniens et Palestiniennes ayant la nationalité israélienne, sans toutefois bénéficier de l’égalité des droits à la citoyenneté.

Le synopsis est à la fois simple et complexe. Il renvoie à l’idée de la mémoire manipulée à des fins politiques. Comme le souligne Tamara Erde dans son film, This is Our Country, l’histoire des populations, qui ont vécu en Palestine, dans le Proche et le Moyen Orient avant la création de l’État israélien, est absente des manuels scolaires. Donc, aucun questionnement sur l’existence, les droits, les réalisations des populations présentes dans cette région avant 1948. L’histoire est subversive, on le sait, et l’histoire officielle est écrite par les vainqueurs.

Dans sa note d’intention, le réalisateur part de l’observation de sa nièce, Miral, qui révise un cours sur la citoyenneté en Israël : «  Les Juifs ont vécu en Israël, il y a 2000 ans ; ils ont été expulsés, ont vécu de longues périodes d’exil dans la souffrance et l’oppression. Maintenant, ils sont enfin de retour dans leur patrie. ». Une fois la leçon mémorisée, l’adolescente se plonge immédiatement dans une série états-unienne, sans poser de questions sur la partialité de ce qu’elle vient de répéter.

« Cette scène est à la genèse de mon envie de faire ce film. En tant que Palestinien citoyen d’Israël, j’ai grandi dans une famille traditionnelle chrétienne au sein de laquelle parler de nos origines palestiniennes et du vécu autour de 1948 était réprimé. Parce que cette mémoire était profondément douloureuse, ma famille s’est abstenue de transmettre aux enfants cette histoire de souffrance. C’était peut-être
aussi destiné à faciliter notre assimilation dans le nouvel État d’Israël.
Le terme “palestinien” est ainsi devenu pour moi quelque chose d’extérieur
et d’intime à la fois. J’ai en quelque sorte hérité de la peur de m’identifier
en tant que Palestinien. Très jeune, outre le fait que l’histoire du XXe siècle
au Moyen-Orient est absente des manuels scolaires en Israël, la crainte
que ressentait ma famille s’est transformée chez moi en une inquiétude
que je ne m’explique pas. »

Vivre à l’étranger et découvrir d’autres interprétations historiques de la situation a pour conséquence l’émergence d’une vision différente de ce que Larry Portis qualifiait de sociocide, c’est-à-dire une propagande visant à annexer l’histoire d’une société, à la nier pour ainsi tenter de la faire disparaître. Or le travail cinématographique que poursuit Alaa Ashkar s’inscrit dans une perspective alternative. Ce nouveau projet, On récolte ce que l’on sème, est à la fois une recherche personnelle, intime et historique pour dépasser les barrières imposées depuis l’enfance et les ghettos intérieurs.


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