Chroniques rebelles
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Samedi 27 février 2016
Je vous écris de l’usine de Jean-Pierre Levaray. Nahid, film de Ida Panahandeh. Un nouveau Dreyfus ? Jamal Zougam, bouc émissaire des attentats de Madrid ? film documentaire de Cyrille Martin
Article mis en ligne le 27 février 2016

par CP

Je vous écris de l’usine Jean-Pierre Levaray (Libertalia)

Pendant dix ans (2005-2015), chaque mois, Jean-Pierre Levaray a animé la chronique Je vous écris de l’usine dans le mensuel CQFD. Il a raconté les heurs et malheurs de la classe ouvrière, sa classe. Les luttes et les espoirs, les joies et les peines, les travers et la résignation, parfois. Ce texte vient d’en bas. Il en a le goût et l’odeur. Ode à l’écriture prolétarienne.

Nahid Film de Ida Panahandeh

Sur les écrans depuis le 24 février 2016

Le combat d’une femme iranienne. Première partie d’une rencontre…

Un nouveau Dreyfus ? Jamal Zougam, bouc émissaire des attentats de Madrid ?

Film documentaire-enquête de Cyrille Martin

Une affaire non résolue…

Ça fait un bail que je lis Jean-Pierre Levaray et c’est toujours avec autant d’intérêt, d’émotions, de découvertes. Il est rare de rencontrer un style aussi juste, aussi sensible et direct qui décrive le monde du travail, la classe ouvrière — mais oui, elle existe toujours malgré les circonvolutions verbales des experts professionnels qui, depuis leur bulle, nous bassinent avec des théories fumeuses. L’exploitation est le fondement même des sociétés capitalistes, alors classe ouvrière, classe salariale… Les termes changent, mais il s’agit toujours d’une majorité exploitée au profit d’une minorité qui a le pouvoir.

Les différences de classes sont plus fortes que jamais, les différences de salaires aussi, vu le brouillage de pistes déployée par la COM et la Novlangue en charge de faire croire à un soi-disant dialogue social. On avait coutume de dire « trop d’informations tuent l’information », on constate à présent que la sacro-sainte communication et le dialogue social s’illustrent surtout par la réalité de leur absence. Dans cette vacuité médiocre faite de faux-semblants, d’artifices, Je vous écris de l’usine de Jean-Pierre Levaray parle de la vie, sans frime et remet les pendules à l’heure des inégalités. Des chroniques en direct de son lieu de travail, avec de vraies personnes, des saynètes dont les protagonistes vivent un quotidien ordinaire, des personnes qu’on ne regarde pas, qu’on n’écoute pas, qui sont considérées comme des pions dans un univers factice cadré par le fric et les flics.

Je vous écris de l’usine raconte la fatigue, l’aliénation, l’angoisse, le pétage de plombs, l’allégeance, mais aussi la solidarité. « La véritable histoire des ouvriers ne peut être mieux racontée que par les ouvriers eux-mêmes. Pour écrire sur l’usine, il faut la vivre de l’intérieur, la renifler avec ses tripes. » Jean-Pierre Levaray nous fait vivre cet univers avec force, une force condensée que peut-être n’avaient pas, avec la même intensité, les chroniques publiées mensuellement. Fini l’effet feuilleton, on peut tout lire d’un coup, rencontrer tous ces personnages, les croiser, les côtoyer un moment, être à l’intérieur de l’usine, imaginer les nuits, comprendre les risques encourus au nom du profit… Parce que le libéralisme est vécu là, à l’état brut, avec le danger permanent d’une explosion, d’un jet d’acide, d’un incendie, d’un licenciement, d’un plan social…

Je vous écris de l’usine, c’est dix ans de galères… Les accidents de travail, les morts, les menaces, les humiliations, les envies de meurtres parfois ou bien de se foutre en l’air, mais il y a aussi les bagarres, les grèves, les bravades futiles peut-être, mais ça fait du bien quand même de pouvoir se moquer du chefaillon qui se la joue contrôleur modèle histoire de faire de la lèche et justifier sa promo… Jean-Pierre Levaray décrit une putain d’usine et il est « plutôt du genre à mordre la main qui tient [la] chaîne. »

Prochain livre de Jean-Pierre Levaray, Pour en finir avec l’usine

Première rencontre avec la jeune réalisatrice, Ida Panahandeh, dont Nahid, son premier long métrage, est sur les écrans depuis le 24 février.

Nahid

Film de Ida Panahandeh

Nahid est un film tout en finesse, qui montre par petites touches les problèmes de la société iranienne, dont on ne connaît finalement pas grand-chose s’agissant de la vie quotidienne.

Nahid, jeune femme divorcée, a obtenu la garde de son enfant et aspire, sans en être totalement consciente, à s’émanciper des contraintes familiales et sociales. Prise entre son fils adolescent, Amir Reza, qui joue déjà les petits mecs, ses difficultés financières et son ex-mari junkie qui reprendrait bien la vie commune, elle tombe amoureuse. Or selon la loi, si une femme divorcée se remarie, la garde de l’enfant revient au père. Et là commence le dilemme de Nahid, qui tente d’échapper à la situation par des mensonges.

Le film de Ida Panahandeh aborde les problèmes de la femme divorcée, de la garde des enfants, le problème des mariages convenus et du mariage temporaire, qui s’il est légal, est absolument tabou. C’est une des premières fois où ces problèmes sont évoqués dans un film iranien et que des questions essentielles concernant les droits des femmes sont ainsi abordées.

Un film inédit, présenté à Publico

Un nouveau Dreyfus ?

Jamal Zougam, bouc émissaire des attentats de Madrid ?

Film documentaire-enquête de Cyrille Martin

Dans cette affaire dramatique, il semble que le dossier ait été classé pour mettre un point final à l’émotion et à la peur suscitées par les attentats de Madrid en 2004. Un suspect marocain désigné d’avance par une accumulation de preuves aléatoires, d’empreintes suspectes ou fabriquées, de témoignages à retardement… Bref un procès qui soulève au final plus de doute et de questions que d’explications… Tout porte à croire en effet que le procès de Jamal Zougam, accusé par les services de police marocains d’appartenir à un réseau terroriste, a été bâclé et qu’il en est le bouc émissaire idéal.

La condamnation de Jamal Zougam, emprisonné depuis 11 ans dans les prisons espagnoles, est-elle une nouvelle affaire Dreyfus ? On peut également se demander pourquoi Cyrille Martin a choisi de souligner un lien avec une affaire qui s’est déroulée à la fin du XIXe siècle ? Autrement dit quelles sont les similitudes entre l’affaire Zougam et celle du capitaine Dreyfus ? L’accusation, il est vrai, repose dans les deux cas sur des a priori, c’est-à-dire une « appartenance ethnique et religieuse, correspondant aux clichés racistes de leur époque. »

À la fin du XIXe siècle, Dreyfus fut accusé sur des critères racistes d’être un traître, et aujourd’hui les « musulmans », les Arabes — amalgame récurrent entre appartenance territoriale et religieuse… — sont considérés comme des terroristes potentiels.

Pour ce documentaire, Cyrille Martin a mené une longue enquête sur les attentats de Madrid, le procès de Jamal Zougam et le traitement médiatique de l’événement. C’est un premier documentaire qui tente d’apporter des éléments de réflexion et de débat sur l’instrumentalisation du racisme et de la peur de « l’autre  ».