Chroniques rebelles
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Samedi 15 octobre 2016
Pour en finir avec l’usine de Jean-Pierre Levaray. Festival Cinemed 2016. En 2015 : Maintenant ils peuvent venir de Salem Brahimi
Article mis en ligne le 16 octobre 2016

par CP

Pour en finir avec l’usine

Jean-Pierre Levaray (éditions libertaires)

« Je quitte l’usine et ne me retourne pas. Pas par peur d’être transformé en statue de sel, mais parce que c’est devenu mon passé et que j’ai tant d’autres choses à faire. »

Jean-Pierre Levaray, depuis Putain d’usine, combien de bouquins, de bandes dessinées, de films (dernièrement encore dans Nous ouvriers), une pièce de théâtre, les articles dans Le Monde libertaire et CQFD, et je n’oublie pas la musique…

Jean-Pierre le militant, ouvrier depuis 42 ans, libertaire et syndicaliste, nous a fait entrer dans l’usine, a décrit les conditions de travail, les effets sur ceux qui y travaillent
et ceux qui sont virés. Tant de portraits, de moments dramatiques, mais aussi de blagues, un journal de l’usine en quelque sorte avec parfois l’histoire d’un collègue…

Pour en finir avec l’usine, c’est comme tourner une page. Après avoir flingué le patron, on passe à autre chose…

« À la fin de Putain d’usine, je racontais cette lettre que je gardais dans ma poche. Une lettre de démission. Il me restait à faire la démarche de l’envoyer. Sauf que plus de dix années après, il s’est passé beaucoup de choses à l’usine et j’y suis toujours. Je n’ai jamais envoyé ce courrier. »

Alors pourquoi finalement ? Pas évident de partir comme ça, froidement, sans regarder en arrière, à la Bab Allah — on dirait en arabe —, sans plan de restructuration, donc sans chèque pour voir venir… Et c’est ainsi qu’on dépasse l’âge fixé pour partir à la retraite… Pourquoi ? Parce que l’usine, on s’y attache ? Parce que finalement c’est un observatoire et un terreau pour écrire, parce que les copains, le syndicat, les bagarres avec la direction ? C’est vrai, pas si évident de partir, de lever le camp et d’aller ailleurs… Pour en finir avec l’usine !

Pourtant l’état des lieux n’est guère réjouissant, les conditions de travail s’aggravent et sont lamentables —« Du coup, ces dernières années au travail deviennent les pires. Une abomination. » —, le « dialogue social » est brandi à tour de bras par patrons et DRH qui n’en ont pas la moindre idée, la Novlangue s’enrichit d’un franglais managérial vide et creux mais ronflant, les différences de classes s’accentuent alors que la lutte de classes n’est, paraît-il, plus de mise… Bref la morosité le dispute à la médiocratie.

Et voilà qu’un collègue de Jean-Pierre lui fait cette remarque : « Tu te rends compte ? À mon âge, mon père était déjà à la retraite. Et moi non. La situation se dégrade. C’est la première fois que je vois qu’un fils à de moins bonnes conditions que son père. »
Échapper au travail… Le droit à la paresse ?

« Je quitte l’usine et ne me retourne pas sur elle. Pas par peur d’être transformé en statue de sel, mais parce que c’est devenu mon passé et que j’ai tant d’autres choses à faire. […]

Juste le silence et le soleil pour quitter l’usine. Comme la fin d’un film. (30 septembre 2015) »

Cinemed, le festival international du cinéma méditerranéen, du 21 au 29 octobre 2016.

Le 38ème festival international du cinéma méditerranéen, CINEMED, reste fidèle à sa volonté de diversité et son choix de la découverte. L’ouverture des écrans est faite à des films qui, sans le travail d’équipe du festival, demeureraient non accessibles au public. Mais les films présentés ne sont pas tous distribués, pourtant ils donnent à voir des réalités différentes des pays de la Méditerranée.

Du 21 au 29 octobre 2016, Montpellier devient la capitale d’un cinéma méditerranéen qui génère la réflexion, le plaisir, l’enthousiasme et parfois l’éblouissement. Cette année, sont faites notamment deux belles rétrospectives à Imanol Uribe, réalisateur de la Muerte de Mikel, et à Mauro Bolognini, réalisateur du Bel Antonio.

À suivre donc…

Le 37ème Cinemed a présenté en 2015 un film algérien remarquable qui n’a pas été encore distribué, Maintenant ils peuvent venir de Salem Brahimi.

Adapté du roman d’Areski Mellal, le film de Salem Brahimi décrit avec une justesse sidérante la montée islamiste dans l’Algérie des années 1990, la barbarie et les massacres perpétrés durant dix ans de guerre aux civil.es. Dix années d’un climat de terreur au quotidien, de basculement dans la violence orchestrée, de résistance aussi qui a coûté la vie à nombre de celles et ceux qui ont refusé de plier devant l’instauration de la peur. Le chiffre officiel est de 200 000 morts, sans parler des blessé.es à vie.

Les premières victimes ciblées étaient évidemment toutes celles et ceux qui ont pour but d’éveiller la conscience, de discuter, d’échanger…

Maintenant ils peuvent venir de Salem Brahimi — Arezki Mellal l’auteur du livre a collaboré pour le scénario —, réussit à rendre l’émergence de la peur dans une société rendue exsangue par les exigences du FMI et par la corruption.

Cet entretien a eu lieu le 29 octobre 2015.