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Samedi 24 décembre 2016
La Bataille de Florange, film documentaire de Jean-Claude Poirson. Habitat participatif à Soubes. Diamond Island de Davy Chou. Timgad de Fabrice Benchaouche. Harmonium de Koji Fukada
Article mis en ligne le 27 décembre 2016
dernière modification le 26 décembre 2016

par CP

La Bataille de Florange

Film documentaire de Jean-Claude Poirson

Entretien avec le réalisateur

Habitat participatif à Soubès (Hérault)

Reportage de Sylvie Maugis

Et trois films, dont deux sont à l’affiche le 28 décembre 2016

Diamond Island
Film de Davy Chou

Timgad
Film de Fabrice Benchaouche

Harmonium
Film de Koji Fukada

La Bataille de Florange

Film documentaire de Jean-Claude Poirson

La Bataille de Florange de Jean-Claude Poirson pourrait se résumer par la parole d’un ouvrier gréviste : « Les promesses, c’est terminé ! On va prendre notre avenir en main !  » Cela résume bien la détermination des ouvriers et des ouvrières de Florange dans la lutte menée contre un capitalisme que les sidérurgistes qualifient de « féodal ». Une lutte qui s’inscrit dans la durée et traversent deux mandats présidentiels sans que les discours des politiques et les promesses officielles soient suivies de résultats, sinon en ce qui concerne l’effet d’annonce destiné au service de communication des présidents Sarkozy et Hollande.

Lakshmi Mittal, pdg du groupe mondial Arcelor-Mittal et prédateur financier qui a fait fortune en bourse, possède en France trois des plus importantes usines de production, à Florange, Dunkerque et Fos-sur-mer. Premier producteur mondial de l’acier, le groupe se distingue pour avoir été condamné à plusieurs reprises pour discrimination envers des salarié.es ayant une activité syndicale. Sans jamais investir dans la modernisation des usines, Mital est libre de délocaliser la production, de procéder à l’arrêt des derniers hauts-fourneaux, même si le secteur affiche des bénéfices. Ainsi, ce qui reste de l’industrie sidérurgique en France est sous la menace d’une stratégie du profit à court terme, avec pour conséquences le licenciement de milliers de personnes et, de facto, la dégradation sinon la disparition des services publics de la région.

Ce désastre social pousse Jean-Claude Poirson, cinéaste, militant et ancien ouvrier, à prendre sa caméra et suivre pendant trois ans le combat pour l’emploi des sidérurgistes de Florange.

Filmée de l’intérieur, la Bataille de Florange est donc le journal d’une lutte ouvrière, de son évolution, des moments de colère, de doute, d’enthousiasme et de détermination. Il s’agit pour le réalisateur de témoigner de la réalité d’un combat contre la logique financière, soutenu par la population de la dernière grande ville ouvrière de la vallée, mais généralement traité en fait divers par les médias.

« On n’est pas des criminels. On veut juste du travail » disent les sidérurgistes qui occupent les voies ferrées, bloquent l’usine, organisent une marche sur Paris. En réponse, les CRS débarquent… De victimes, ils et elles deviennent des coupables, mais la résistance ne fléchit pas. On lâche rien chantent les sidérurgiques face au mépris et aux mensonges des politiques.

La Bataille de Florange est un film engagé qui donne la parole à cette classe ouvrière soit disant disparue et c’est aussi le récit de valeurs comme la solidarité.

HUMAN DOORS, 51 rue de la Carpe haute. 67000 Strasbourg
Téléphone 05 88 50 18 72
humandoors@yahoo.fr

Habitat participatif à Soubès (Hérault)

Depuis 2008, un groupe d’une dizaine de retraité.es, femmes et hommes, travaillent à la réalisation d’un habitat participatif à Soubes, dans l’Hérault, près de Lodève.

Pour pouvoir vieillir autrement, à leur convenance, ils et elles ont pensé et imaginé leur projet, réfléchit aux possibilités et évalué les problèmes, discuté collectivement, enfin se sont battus pour le faire exister… Huit ans après, en juin 2017, le groupe emménagera dans des habitations sur mesure et écologiques…

Pour Radio Libertaire, Sylvie Maugis est allée à la rencontre de trois femmes déterminées, Maryvonne, Françoise et Monique, trois des protagonistes de ce projet pour recueillir leurs témoignages sur cette expérience étonnante.

Et Cinéma…

Diamond Island Film de Davy Chou

Diamond Island est une île sur les rives de Phnom Penh, transformée par des promoteurs immobiliers en mégapole ultra moderne et paradisiaque réservée aux riches, et censée représenter le Cambodge de demain. Welcome to Diamond Island City. Vous traversez un pont et entrez dans le futur du Cambodge. Une qualité de vie luxueuse réunissant l’essence du monde. Investir à Diamond Island vous assurera valeur éternelle et croissance illimitée… assure la publicité. Rien que ça ! «  Il y a [explique le réalisateur] une espèce de surgissement brutal de la modernité dans un pays qui n’a pas du tout été habitué à ça. Le pays est comme précipité dans le futur, et la jeunesse qui est née pendant une période de privation conséquente à une Histoire excessivement tragique y perd ses repères. Le film s’articule autour du désir, à la fois naïf, violent et sans recul, qu’engendre ce surgissement, et ce à tous les niveaux de la société. »

Du filmage publicitaire de la maquette de rêve, Davy Chou fait basculer soudainement son film à l’entrée du bidonville, au pied des tours, juste en face d’Elite Town, où demeurent les travailleurs dans des baraquements de tôle et de planches. La transition est rude et les différences de classes bien marquées.

Le symbole de vie paradisiaque n’est certainement pas destiné à la main d’œuvre payée 150 dollars qui, durant la journée, s’active sur le perpétuel chantier et ses carcasses monumentales, plus ou moins délirantes. La ville du futur est donc occupée le jour par des jeunes venant des campagnes et vivant dans les baraques du chantier. Mais la nuit, le chantier se transforme en décor onirique, un décor de cinéma, avec les néons, la fête foraine, les boîtes, les concerts, les affiches lumineuses vantant cet espace anachronique comme construit dans une « architecture européenne », avec des « produits de fabrication multinationale ». Cet aspect artificiel de Diamond Island, qui figure une sorte de Las Vegas, attire la jeunesse, tant celle qui y travaille dans des conditions difficiles que la jeunesse dorée.

Davy Chou décrit à merveille ce décor, notamment avec l’utilisation de plans larges qui soulignent le côté factice de l’implantation architecturale dans un pays pauvre, avec les errements à motos que suit une caméra parfois aérienne dans le quartier fantomatique. Un décor d’autant plus irréel si on le compare aux images nocturnes de ville de Phnom Penh qui a gardé des traces de son histoire, ou aux premiers plans du film à la campagne, où Bora, 18 ans, fait ses adieux à sa mère et à son frère. Comme de nombreux jeunes, il quitte son village natal pour travailler sur le vaste chantier de Diamond Island, demandeur de main-d’œuvre. Avec son ami Dy, il s’installe dans une baraque, travaille en équipe et se lie rapidement d’amitié avec d’autres ouvriers qui rêvent de réussite, de motos, de conquêtes féminines, de fringues cool, de voyages et de meilleurs emplois, mais comme le dit l’un d’eux, Virak, « vigile ou ouvrier, tu restes un esclave ! »

Un soir qu’il traîne sur Diamond Island avec ses amis, Bora croise son frère aîné, Solei, parti du village cinq ans auparavant et qui n’a jamais donné de nouvelles. Ce dernier fréquente une jeunesse dorée et semble y être intégré ; il dit à Bora être étudiant, aidé par un mécène. On n’en saura pas plus. En faisant promettre à Bora de ne rien révéler de leur rencontre, Solei le fait entrer dans son groupe, lui offre un portable, lui prête sa moto et lui fait miroiter un éventuel départ aux États-Unis. Bora s’éloigne alors d’Aza, la jeune fille dont il s’est épris, et de ses amis ouvriers pour découvrir un monde totalement décalé du sien, celui d’une jeunesse favorisée, avec les filles, les fêtes nocturnes et les illusions… L’ennui désabusé aussi.

Davy Chou montre peu à peu la perte de l’innocence du jeune homme, l’acculturation omniprésente, inévitable, et la consommation envahissante dans une société marquée par un génocide culturel auquel il est vaguement fait allusion, notamment lorsque Aza parle de sa grand-mère qui habitait Pnom Penh, près d’un lycée. Ou encore avec la remarque de l’un des jeunes de la bande de Solei : « ça fait chier la Saint Valentin et Halloween, c’est même pas des fêtes khmères. » Mais quels sont les repères pour une jeunesse privée de mémoire, confrontée à l’anachronisme de fêtes artificielles plaquées, comme l’architecture de Diamond Island au milieu du paysage, et à une histoire éradiquée par la tragédie d’un pays ? Quels sont en effet les repères pour une jeunesse dont l’environnement culturel a été détruit ? Entre pauvreté et absence de mémoire, il reste la consommation et la vacuité d’une génération se traduisant par l’amertume et l’ennui qu’exprime finalement le regard de Bora.

Premier long métrage d’un réalisateur très prometteur, Diamond Island sera sur les écrans le 28 décembre prochain.

Timgad Film de Fabrice Benchaouche

Timgad est une comédie qui renoue avec les grandes comédies algériennes. Les jeunes cinéastes méditerranéens ont, il est vrai, préservé ce genre d’humour, un comique spécifique à la fois auto critique, touchant, ironique : le sourire et la dérision s’emparent des traditions et des pratiques ancestrales…

Voici donc Jamel, archéologue français d’origine algérienne, qui vient effectuer des fouilles sur les magnifiques ruines romaines situées près du village de Timgad.
Passionné par son travail et ce qu’il découvre, étonné du manque d’intérêt des villageois et villageoises pour ce site exceptionnel, il est assez vite dépassé par les codes et convenances en cours au village, où d’ailleurs il est un peu considéré comme tombé d’une planète inconnue.

À Timgad, il y a cependant un autre homme qui a lui aussi une passion, c’est l’instituteur qui rêve de former une équipe de foot avec ses élèves, et lorsqu’il apprend que Jamel a joué au football, il le propulse entraîneur de l’équipe de foot locale, « La Juventus de Timgad ». Onze joueurs de 12 ans, des gamins qui jonglent avec un quotidien chiche, qui n’ont ni maillot ni chaussures, mais s’y entendent pour dribbler avec la balle, comme des pros.

L’instituteur ne désarme pas, s’efforce de trouver des sponsors, pendant que l’imagination fait peindre les pieds des joueurs et que la compétition est féroce avec l’équipe du village voisin. C’est que le jeu en vaut la chandelle, il y aura une finale à Alger !

Entre vestiges antiques et plaies des luttes récentes — la mémoire de la décennie noire est toujours présente —, Jamel, archéologue et entraîneur de foot, découvre une Algérie qui lui était inconnue, qui se veut réconciliée… Et surtout championne de foot.

Timgad de Fabrice Benchaouche est un très joli film qui avait reçu une bourse d’aide du festival international du cinéma méditerranéen et qui, cette année, a remporté le prix du public à ce même festival, le CINEMED. Il sort le 28 décembre.

Harmonium Film de Koji Fukada

Les rapports familiaux sont-ils fondés sur une aberration ? C’est ce que semble dire le nouveau film de Koji Fukada, Harmonium, qui décrit une famille ordinaire, un couple qui ne communique quasiment pas vivant dans une banlieue japonaise sans caractère. Seule la fillette, Hitaru, semble enjouée, qui s’exerce à l’harmonium en vue de la prochaine fête de son école. En quelques plans, Koji Fukada dresse le décor d’une histoire assez banale à première vue, celle d’une famille traditionnelle que la visite inopinée d’un homme dans l’atelier de Toshio, le père, va profondément troubler. D’où vient cet homme, Yasaka, présenté de manière succincte comme un vieil ami ? On l’ignore et, sans explication, Toshio lui offre non seulement un travail, mais aussi une chambre dans leur maison.

L’arrivée de cet étranger, surgi du passé de Toshio, déclenche des sentiments inattendus de la part des personnages. On songe même à Théorème de Pasolini pour la tension palpable qui va crescendo. Par les silences, les regards et les mots couverts s’installe un mystère, pesant, autour de Yasaka. L’épouse, Akye, est protestante et n’a de conversation qu’avec sa fille Hitaru. Pourtant, peu à peu, elle est attirée par cet homme, comme la fillette à qui il enseigne une chanson sur l’harmonium. Jusqu’à Toshio qui, malgré son attitude taciturne, établit une complicité avec cet « ami  » retrouvé : « Ne me gâte pas trop » lui dit-il.

Un jour, Yasaka se confie à Akye, il a tué un homme et a fait de la prison. En parlant, il se souvient de la mère de la victime se frappant la joue au moment du procès, « c’est alors que j’ai regretté d’avoir tué », lui avoue-t-il en reconnaissant avoir commis « quatre erreurs, dont celle de donner la priorité à la parole donnée, et de penser [avoir] raison. » De plus en plus intriguée, Akye questionne son époux sur sa relation passée, mais elle se heurte à son mutisme habituel. Le mutisme et le rapport familial artificiel sont soulignés par le réalisateur. En effet, précise-t-il : « Harmonium pose la question du système familial, il ébranle, montre la solitude originelle et fait apparaître le lien qui perdure, malgré tout. [Le] portrait de la famille du XXIe siècle pourra interpeller le spectateur, dans cette société où l’on commence à se rendre compte que la conception de la famille, qui nous avait protégés tout en nous étouffant, n’était qu’une construction illusoire. »

Au cours d’un week-end, la famille se rend au bord de la rivière, et c’est alors que le vernis se fissure, la tension monte d’un cran et les rapports prennent une autre dimension, Akye et l’homme échangent une étreinte furtive, et durant la partie de pêche, Yasaka dit froidement à Toshio : « tu as si peur de moi ? T’es vraiment une merde. C’est moi qui devrais être à ta place. »

Quelques jours plus tard, avant la fête de l’école, Hitaru a un accident et l’homme disparaît.

Huit ans après, Akye a dédié sa vie à sa fille devenue paraplégique suite à l’accident dont on ignore la raison. Toshio veut retrouver Yasaka et savoir ce qui s’est passé, « cela fait huit ans qu’on le recherche », Akye lui rétorque : «  ça changera quoi ? pense plutôt à Hitaru. C’est une adulte maintenant.  » La seule chose qui unit à présent le couple est le remord. Lorsque Toshio embauche un jeune ouvrier, Takashi, et découvre incidemment qu’il est le fils de Yasaka, son envie de le retrouver devient obsessionnelle, tandis que les visions d’Akyé se multiplient lui faisant voir Yasaka sur la terrasse, sur un pont, sa fille guérie, les larmes de celle-ci qu’elle interprète comme un désir de mort. Le jeune homme n’a jamais connu son père, il sait seulement que les deux hommes étaient des yakusas.

Harmonium tient du thriller psychologique, fantastique aussi, avec la volonté d’approcher dans ce qu’il y a de plus sombre et dissimulé dans l’être humain. Si le thème récurrent évoque le manque de communication, les mensonges, les convenances absurdes, ce portrait des rapports au sein de la société japonaise (et ailleurs) n’échappe pas au vertige devant la violence susceptible d’émerger à tout moment et dans toute personne. Quant au fondu au noir final, avec en bande son une respiration haletante, il n’apportera aucune réponse, mais plutôt une remise en question des rapports humains dans la société.

Harmonium de Koji Fukada sera sur les écrans le 11 janvier 2017.