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Samedi 4 février 2017
Pax neoliberalia. Perspectives féministes sur (la réorganisation de) la violence de Jules Falquet. Un Paese Di Calabria. Film documentaire de Shu Aiello et Catherine Catella
Article mis en ligne le 4 février 2017
dernière modification le 24 juin 2017

par CP

Pax neoliberalia. Perspectives féministes sur (la réorganisation de) la violence

Jules Falquet (IXE)

Un Paese Di Calabria Film documentaire de Shu Aiello et Catherine Catella

Pax neoliberalia. Perspectives féministes sur (la réorganisation de) la violence. Le titre lui-même de cet essai de Jules Falquet donne déjà des pistes de questionnements et de réflexion. D’autant que trois des quatre parties reprennent certains des thèmes traités dans des études précédentes ou des articles de l’auteure. Le premier chapitre — « “Guerre de basse intensité” contre les femmes ? La violence domestique comme torture : réflexions à partir du Salvador  » —, est paru dans Nouvelles questions féministes en 1997. Le second chapitre, sur « l’institution du service militaire en Turquie », est une nouvelle version de la préface au livre de Pinar Selek, Devenir homme en rampant (paru en 2014). Le troisième chapitre — Les féminicides de Ciudad Juarez et la recomposition de la violence — est également une nouvelle version d’un texte publié en 2014.

Le quatrième chapitre — Luttes (dé)coloniales autour « du territoire-corps » : de la guerre à l’extractivisme néolibéral au Guatemala — est inédit et apparaît comme un prélude à un prochain essai sur Le genre globalisé : mobilisations, cadres d’actions, savoirs. On peut dès lors se poser la question du but de ce croisement des quatre textes proposés qui, tout à la fois, se complètent et forment un fil rouge dans l’analyse de l’évolution des formes de violences contre les femmes pour en déceler les motivations.

En effet, si l’on considère que l’analyse « transversale de la violence — physique, sexuelle, émotionnelle, économique, idéelle — [met] en évidence son caractère de continuum », il est clair que son utilisation est « éminemment instrumentale », d’où son importance sociale, politique et économique. Dans le contexte des politiques néolibérales, la régression des droits des femmes, que l’on constate depuis le fameux backlash des années 1980, et les nouvelles violences à leur encontre paraissent donc faire partie d’une stratégie globale pour (re)mettre au pas celles qui auraient eu quelques velléités d’émancipation et de revendications. On peut également anticiper, et voir, dans ce que l’on peut appeler pour certains pays un terrorisme d’État aux dépens des femmes, un test qui préfigure une violence généralisée, banalisée, par exemple à Cuidad Juarez depuis l’impunité des crimes de jeunes femmes, une violence qui serait un « nouveau modèle de coercition néolibéral. »

La violence comme système est abordée dès les premières pages du livre et Jules Falquet y soulève des questions essentielles : « Quel rapport existe-t-il entre l’exercice collectif et institutionnalisé de la violence et le maintien, le renforcement ou même la création des groupes sociaux, voire des différentes classes (de sexe, de race et sociales) ? Quel est le statut de la violence et quel rôle joue-t-elle à côté des dynamiques économiques, souvent seules convoquées pour penser la division du travail et, partant, les différentes classes sociales ? »

Tout en soulignant le caractère de classe, de race et de sexe de « la réorganisation de la violence », Jules Falquet montre combien l’utilisation de la terreur sur des populations civiles, en priorité sur les femmes, avec les assassinats, la torture issue de la colonisation, que cette utilisation de la terreur est un enjeu politique lié au néolibéralisme, et au service des multinationales, des États, des complexes militaro industriels…

Elle décrit cependant la résistance de femmes, notamment au Guatemala, « parvenues à peser sur leur réalité quotidienne comme sur le système politique national, mais aussi à (re)politiser la lutte contre les violences faites aux femmes en l’inscrivant dans une analyse globale qui prend en compte les logiques sexistes, racistes et néolibérales-capitalistes dominantes. […] Si dures que soient les conditions, la résistance est à nouveau à l’ordre du jour, cinq cent vingt-quatre ans après. »

Un Paese Di Calabria Film documentaire de Shu Aiello et Catherine Catella

Sur les écrans le 8 février

Riace est un joli village du sud de l’Italie, au bord de la mer, mais ce n’est pas un village comme les autres. C’est ce que montre le film de Shu Aiello et Catherine Catella qui ont l’ambition d’explorer, au-delà d’une belle rencontre humaine dans un décor antique, la question de l’exil, de l’émigration, de l’apport de ceux et celles qui viennent d’ailleurs.

La Calabre a connu un exode rural massif et s’est, peu a peu, vidée de sa population. Au début du film, il y a l’histoire d’un village ordinaire et la voix de cette femme, l’ancêtre qui, comme des milliers d’autres, a dû quitter le village et la misère voilà quelques décennies à la recherche d’une vie meilleure. Hé oui, les migrations sont humaines et éternelles.

Mais voilà qu’un jour l’histoire de ce village, quelque peu déserté, tourne au conte, une belle histoire de solidarité : un conte contemporain. Or donc, un bateau échoue sur la plage transportant à son bord deux cents Kurdes et, spontanément, des habitants du village leur viennent en aide et les accueillent. Petit à petit, les migrant.es et les gens du village réhabilitent les maisons abandonnées, ce qui relance les commerces, et l’école est à nouveau ouverte. Le village de Riace renaît.

C’est ainsi que chaque jour, depuis 20 ans, le futur de Riace se réinvente.

L’expérience de Riace, on aimerait la voir se multiplier plutôt que d’entendre la litanie tragique des morts ou la propagande alarmiste qui use d’un vocabulaire douteux et scandaleux contre l’immigration. Les mots comme « flux de migrants, débarquement, pression migratoire » entre autres propos, Shu Aiello et Catherine Catella en ont eu assez de les entendre et elles sont parties pour réaliser ce film, Un Paese di Calabria, pour aller ainsi à la rencontre des autres, de cette magnifique diversité de cultures et d’échanges. Et puis « accueillir de nouveaux habitant.es n’empêche pas de garder son identité. Nous avons pu filmer [disent-elles] des gens simples, plutôt pauvres, qui ont l’intelligence du coeur mais aussi le pragmatisme de penser que l’étranger peut être une chance dans un village désertifié et vieillissant. Ce sont des gens qui ont la mémoire de l’exil des leurs, et qui ont l’habitude de regarder la mer. »