Chroniques rebelles
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Samedi 20 mai 2017
L’Échaudée n° 6. Quartier en guerre. New York années 1980 de Seth Tobocman (CMDE)
Article mis en ligne le 20 mai 2017

par CP

L’Échaudée

n° 6

Quartier en guerre

New York années 1980

Seth Tobocman

(éditions CMDE, traduction Julien Besse)

L’Échaudée est une revue qui se partage entre des textes de critique sociale, des dessins, des peintures, des sculptures, de la littérature avec des récits, des nouvelles, des contes, de la poésie… L’Échaudée est une manière d’aborder l’utopie, l’en dehors des idées et des images, la pensée alternative… Et c’est aussi un espace de rencontres.

Pour en parler, nous sommes en compagnie de Barthélémy Schwartz et Ève Mairot, qui animent L’Échaudée et les éditions Ab Irato, Yves Labbé (auteur de « Pierre Leroux : la voix étroite d’un socialisme humanitaire et fraternel »), Anne Van der Linden (dont les peintures sont à découvrir dans plusieurs numéros de L’Échaudée), Manuel Anceau (auteur de « Lieuve »), Julien Bal (auteur de « Enverssoi »), qui nous lira des extraits pris dans la revue, et Olivia Tangring.

En ouverture du numéro 6 de l’Échaudée un dessin d’Anne Van der Linden et le constat que fait Paul Mattick à propos du « dépérissement de l’État » aux Etats-Unis, de l’incapacité de ses dirigeants successifs à gérer une dette gigantesque et le désastre annoncé de la première puissance mondiale.

Autre sujet important, celui de l’archivage des traces historiques de la mémoire des luttes sociales… Un éclaircissement et une démarche avec le texte du collectif Archives Autonomies « Fragments d’histoire de la gauche radicale » : « Qui sommes-nous ? Difficile de parler d’une forme d’être ensemble dont les limites temporelles, théoriques, ou encore pratiques restent floues y compris pour ceux [et celles] qui y participent, s’y déploient ou ne font que passer. Dire qui nous sommes revient à nous construire comme intermédiaire, comme entremetteur voire comme interprète là où nous aimerions au contraire nous effacer pour laisser tous ceux [et toutes celles] qui le souhaitent et partagent notre intérêt pour ces expériences passées se les approprier de toutes les manières possibles. Cependant, il est nécessaire d’en dire un peu sur ce nous qui se cache tant bien que mal derrrière le collectif Archives Autonomies afin de tenter d’expliquer d’où nous venons et vers où nous entendons aller. »

La question de l’archivage des traces historiques de la mémoire des luttes sociales — témoignages, textes, revues, groupes, itinéraires individuels ou parcours collectifs — est un enjeu majeur pour toutes celles et ceux qui s’intéressent à la critique sociale et à sa transmission. Trop souvent, les acteur.es des mouvements sociaux abandonnent volontiers leurs archives aux universitaires qui les contactent pour écrire une histoire qui ne sera la plupart du temps pas celle des luttes dans une perspective utopique.

Écrire l’histoire officielle, celle autorisée par le monde académique, ne laisse guère de traces historiques des luttes sociales. Le collectif Archives autonomies se donnent pour objectif de diffuser des documents de la gauche radicale en vue de rendre possible toute réappropriation de ces productions écrites, orales, audiovisuelles et graphiques par des individus ou des collectifs intéressés.

Dans le nouveau numéro de la revue l’Échaudée :
Yves Labbé, auteur de « Pierre Leroux : la voix étroite d’un socialisme humanitaire et fraternel ». Il a également écrit un texte sur Étienne Cabet dans le n°3 de l’Échaudée, et un autre sur le parcours de Proudhon dans le n°5.
> Projet d’éditer les textes d’Yves Labbé sous forme de petit livre présentant le parcours d’un auteur avec un choix de textes.

Anne Van der Linden, peintre. Auteure des magnifiques peintures que l’on découvre dans plusieurs numéros de L’Échaudée. Voir son site : http://www.annevanderlinden.net/

Manuel Anceau, auteur de nouvelles qu’il préfère nommer contes, dont « Lieuve », publiée dans le n° 6. Des « contes » également publiés dans le n° 5 de l’Échaudée. Manuel Anceau est passionné d’art brut. Un recueil de « contes » sera publié à la rentrée par les éditions Ab Irato : Livaine.

Quartier en guerre

New York années 1980

Seth Tobocman

(éditions CMDE, traduction Julien Besse)

Ronald Reagan arrive au pouvoir fin janvier 1981, la politique sécuritaire règne et les spéculations immobilières vont bon train dans le quartier populaire du Lower East Side, en plein cœur de New York. La gentrification ou comment chasser une population modeste, ou marginale, du centre ville pour installer des super marchés et des logements pour yuppies. Wall Street et la haute finance n’est pas loin. Profit, not People !

Enough is enough ! dénonçait la population lors de manifestations contre les violences policières. Le profit avant tout et qu’importe le peuple, c’est la doctrine qui, avec la dérégulation de l’économie, prend un essor particulier dans les années Reagan qui marquent la renaissance de la droite états-unienne. La gentrification a depuis fait des émules et s’est exportée un peu partout dans le monde.

Quartier en guerre est un roman graphique magistral, tant par le dessin, les angles et les cadres choisis, le texte, les témoignages, les portraits d’hommes et de femmes que l’auteur a croisé, ou connu, dans une succession de récits qui représentent une décennie de lutte de la population pour défendre son quartier, son parc, son squat. Seth Tobocman joue avec le rythme des images et des textes qui s’y imbriquent, en mouvement, comme avec une caméra de l’intérieur. Quartier en guerre, c’est de la résistance à l’état brut, exprimée par un dessin, un graphisme puissant, une évocation brutale à l’image des violences que vivaient les protagonistes des récits. Seth en faisait partie et ce roman est aussi un journal des luttes qu’il conclue ainsi : « les circonstances changent et exigent de nouvelles réponses. J’espère que vous pourrez vous servir de tout ça pour construire quelque chose de nouveau et de meilleur. »

En écho, Mumia Abu-Jamal lui répond depuis sa taule : « Il est grand temps d’avancer une nouvelle vision, plus radieuse et plus positive, et de parier sur la libération des pauvres, qui sont quand même la vaste majorité des habitants de cette planète, plutôt que sur la répression. Il n’y a rien à attendre des pratiques politiques tortueuses et des théories économiques stériles qui traitent les gens comme de simples unités de compte. Car ce sont les mêmes politiciens pour lesquels ils ont voté qui leur crachent à la figure, tandis que les économistes les effacent d’un trait de plume.

C’est une véritable rébellion de l’esprit qui doit venir des pauvres eux-mêmes et réaffirmer la valeur intrinsèque de leur humanité, laquelle repose sur ce qu’ils sont plus que sur ce qu’ils possèdent. »

La postface de Quartier en guerre — à la manière d’un bilan des luttes dans lesquelles Seth Tobocman était impliqué — est remarquable pour sa lucidité critique et autocritique, le sens même de cette BD engagée. Cela donne envie de poursuivre les luttes, « de foncer », autrement peut-être… C’est bien « de tenter des trucs insensés juste pour voir. De rencontrer toutes sortes de gens. Il n’y a rien de mal à associer art et politique. L’art s’en trouve amélioré et la politique plus pertinente. »

Avec Paulin, Suzanne et Celio du collectif des éditions du CMDE.