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Samedi 15 Juillet 2017
Cinéma à la Une. Entretiens avec trois cinéastes
Article mis en ligne le 4 juillet 2017
dernière modification le 25 juin 2017

par CP

Cinéma à la Une.
Des entretiens avec trois cinéastes :

Hugo Viera Da Silva pour un Avant-poste du progrès

Tarek Saleh pour Le Caire confidentiel

Alex de la Iglesia pour El bar (Pris au piège)

Librement adapté de la nouvelle de Joseph Conrad, un Avant-poste du progrès d’Hugo Vieira Da Silva, explore la nature du colonialisme et la relation à l’autre, impossible sur la base de la domination, qui, même si elle n’est que commerciale en ce qui concerne le Portugal à la fin du XIXe siècle, n’est pas moins basée sur l’exploitation des populations africaines et le pouvoir occidental. À cette époque, l’occupation portugaise de quatre siècles se poursuit avec l’installation de nombreux comptoirs commerciaux, notamment le long du fleuve Congo, censés organiser le trafic principalement de l’ivoire, mais aussi d’autres denrées. Le film a pour cadre l’un de ces comptoirs perdus dans une jungle impénétrable, « un avant-poste du progrès », où sont débarqués par un bateau à vapeur deux colons inexpérimentés, néanmoins convaincus de leur « mission civilisatrice » et de leur supériorité intellectuelle et organisationnelle sur les autochtones.

Le premier plan donne déjà des indications sur le caractère des deux personnages, « des ronds de cuir » pistonnés par le siège de Lisbonne, commente l’un des occupants du bateau qui les amène, en ajoutant, « ils ne feront pas long feu ». D’ailleurs, on apprend que l’équipe de colons qui les a précédés n’a pas survécu. Campés sur le débarcadère de fortune, vêtus du costume colonial, les deux protagonistes sont d’emblée promis à une lente déliquescence dans un paysage splendide, inextricable et empreint d’une magie que les deux arrivants sont bien incapables de percevoir. Et pendant que le bateau s’éloigne, les deux hommes pénètrent dans la forêt tropicale pour atteindre le comptoir, bungalow surélevé et théâtre d’une expérience qu’ils sont loin d’imaginer, sans non plus se douter qu’un piège se referme, celui du passé colonial ignoré, du déni de l’histoire africaine et de l’incommunicabilité avec les populations du lieu.

L’Afrique est comme une drogue qui agit à leur insu et dont ils n’anticipent pas les effets : l’ivresse, la maladie, la folie…

Des récits d’explorateurs de cette époque, explique le réalisateur, il ressort, que les « Européens étaient dans un état d’extase permanente dû à la famine, aux hautes doses de quinine, d’alcool, d’opium et autres drogues. […] Je dirais que la folie de mes personnages est due à la fois à l’incapacité à comprendre l’autre et à l’émergence du refoulé ».

Un Avant poste du progrès d’Hugo Vieira Da Silva soulève des réflexions à multiples ramifications, à la manière de la nature tropicale qui en est le cadre. Plus de quatre siècles de colonisation laissent des traces culturelles, sociales, historiques et font émerger des réflexions sur l’esclavage, la nature du colonialisme, l’exploitation, le déni de l’histoire et des cultures africaines, sur l’altérité, les liens dominants/dominé.es, le racisme et bien sûr le néocolonialisme…

Le Caire confidentiel de Tarik Saleh se déroule dans la ville du Caire à la veille de la révolution de janvier 2011, du moins une ville du Caire entièrement recréée par la magie du cinéma, avec ses bruits, sa langue, ses boutiques, ses vendeurs à la sauvette, son trafic… Et sa police bien sûr puisque celle-ci est au centre des événements et du tout corruption qui règne dans le pays. Le système de corruption s’étend à toutes les couches de la société, qui fonctionne à coup de bakchichs. Les policiers rackettent les marchands, les petits trafiquants et se rackettent même entre eux pour avoir la primeur d’une affaire.

L’inspecteur Nourredine, neveu d’un commissaire, se conforme au système comme les autres. Mais lorsqu’il est appelé à enquêter sur le meurtre d’une chanteuse, égorgée dans une chambre du palace Nile Hilton, il s’oppose à la version donnée par ses collègues sur place, qui, pour étouffer l’affaire, la qualifient de crime passionnel. La jeune femme avait une relation avec un homme d’affaires de l’entourage présidentiel. Le récit, qui jusqu’alors était presque documentaire sur le système de bakchichs, bascule dans une dimension politique, celle de la corruption en haut lieu, mêlant la haute finance, les marchés du BTP et le gouvernement.

Parallèlement, le climat social s’enflamme, la répression s’amplifie, la police tire sur la foule, tabasse et torture… Dans ce climat de violence insurrectionnelle, une jeune Soudanaise est traquée par la police et les services secrets. Le compte à rebours se déclenche jusqu’au 25 janvier 2011… Et soudain Nourredine, qui vient d’avoir une promotion, n’a plus le goût de jouer le jeu et de tenir son rôle du flic pourri… Le Caire confidentiel est un thriller politique haletant, superbement filmé dans une ville qui a capté l’âme du Caire.

El Bar (Pris au piège) d’Álex de la Iglesia. Le film sortira en VOD le 31 août et en DVD le 5 septembre.

Fidèle à son humour féroce et à son talent de la contradiction, La Iglesia ne manque pas, encore une fois, de surprendre et de dérouter le public. El Bar — je préfère le titre espagnol au titre français, Pris au piège — installe peu à peu une angoisse persistante à partir d’un cadre pour le moins banal et quotidien : un bar de quartier dans le centre de Madrid. Un de ces bars du coin où l’on va habituellement prendre un café con leche avec des churros. Il est 9 heures du matin, sur la place des gens vont et viennent, se croisent, une foule anonyme, parmi celle-ci beaucoup sont accroché.es à leur téléphone portable et racontent des bribes de leur vie à la cantonade, comme on peut le voir et l’entendre un peu partout. Bref, une foule ordinaire d’un matin ordinaire… Et le bar, qui est tenu par une propriétaire un peu revêche, connaissant presque tout le monde et à qui il ne faut pas raconter des histoires.

C’est alors que l’un des clients sort du bar et se fait descendre par un sniper devant la porte. Que s’est-il passé ? D’où tire le sniper ? Pourquoi la place est-elle soudain vide et silencieuse ? Pourquoi les secours n’arrivent-ils pas ? Et la télé qui n’en parle pas et déroule ses programmes, ses inepties habituelles… Aucune issue, pas d’échappatoire… Dans le huis clos du bar, c’est la stupeur, la panique, qui engendrent très vite les suspicions alimentées par les fantasmes en cours…

Il reste donc une jolie fille, entrée dans le bar pour cause de panne de batterie de portable, un vendeur de sous vêtements féminins, un ancien flic, un publicitaire avec son casque sur les oreilles, une femme qui s’ennuie et est accro aux machines à sous, un SDF qui parle comme l’ancien testament, la patronne et le garçon de café…
Le piège se referme après que la caméra, comme l’explique la Iglesia, soit allée à la pêche de gens ordinaires pour observer leurs réactions dans une situation extrême. Et voilà que les masques tombent…

Un Avant-poste du progrès d’Hugo Vieira Da Silva est sur les écrans depuis mai dernier, Le Caire confidentiel de Tarik Saleh depuis le 5 juillet et El Bar (Pris au piège) d’Álex de la Iglesia sera disponible en VOD le 31 août et en DVD le 5 septembre.