Chroniques rebelles
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Samedi 22 juillet 2017
Deux livres de John Gibler : Mourir au Mexique. Narcotrafic et terreur d’État. Rendez-les-nous vivants ! Histoire orale des attaques contre les étudiants d’Ayotzinapa
(éditions CMDE)
Article mis en ligne le 4 juillet 2017
dernière modification le 1er juin 2017

par CP

Mourir au Mexique Narcotrafic & terreur d’État

John Gibler (CMDE)

Et

Rendez-les-nous vivants ! Histoire orale des attaques contre les étudiants d’Ayotzinapa John Gibler (CMDE)

En compagnie de John Gibler, Anna Touati (traductrice), Paulin Dardel et Suzanne Cardina du collectif CMDE, et Alain Musset.

Le Mexique, avec deux livres de John Gibler, essentiels si l’on désire comprendre les conséquences de la « guerre contre la drogue », une enquête d’abord, Mourir au Mexique. Narcotrafic et terreur d’État, qui déconstruit les mythes du narcotrafic et démasque ses liens avec l’État et le capitalisme. C’est un essai remarquable publié en 2015 aux éditions CMDE. Et un tout nouvel ouvrage, une Histoire orale des attaques contre les étudiants d’Ayotzinapa. Rendez-les-nous vivants ! Un texte concis, bouleversant qui regroupe des témoignages sur ce qui s’est passé dans la nuit du 26 septembre 2014, à Iguala, dans l’État du Guerrero, quand des dizaines de policiers municipaux ainsi que des hommes armés et cagoulés, sans uniforme, ont attaqué cinq bus où se trouvaient des étudiants d’une école normale rurale, et un sixième bus ramenant une équipe de jeunes footballeurs. Les attaques se sont déroulées pendant quatre heures et dans trois lieux différents. La police et ses acolytes ont assassiné 6 personnes et ont enlevé 43 étudiants de l’école rurale d’Ayotzinapa : six personnes assassinées, un étudiant mutilé, un autre dans le coma, vingt blessés graves et 43 étudiants disparus…

Les événements rapportés par John Gibler dans ces deux livres à la fois d’investigation, d’analyse et donnant la parole aux témoins, rappellent l’ouvrage de Laura Castellanos, Le Mexique en armes. Guérilla et contre-insurrection 1943-1981, sur la permanence de la violence d’État. Pour ce travail de journaliste d’investigation, il a fallu dix ans de recherche à Laura Castellanos pour croiser les informations et les témoignages afin d’éclairer des faits occultés par les autorités, ou revus au filtre de la propagande. Elle souligne la responsabilité des dirigeants mexicains vis-à-vis d’exactions engendrées par la paranoïa et le refus d’accéder aux revendications sociales et politiques de la population, l’utilisation de groupes paramilitaires, les arrestations, les disparitions, la torture à l’encontre des opposant.es, et l’influence des Etats-Unis. « Vers l’extérieur, [écrit-elle] le geste est fraternel. À l’intérieur du pays, des centaines d’hommes et de femmes disparus ont été enlevés, et exécutés ou séquestrés dans des prisons clandestines, accusés d’activités subversives. La majorité d’entre eux étaient des paysans du Guerrero, mais une autre partie importante était issue des rangs des étudiants des villes, anciens militants ou chrétiens radicalisés qui avaient pris les armes après avoir assisté aux massacres de 1968 et 1971 dans la capitale, ou à la répression des mouvements étudiants ».

La « guerre contre la drogue » justifie officiellement depuis quelque temps la pérennisation de la répression pour reconfigurer les pratiques de violence afin de « réagir aux nouvelles situations politiques et sociales et les manipuler. » Dès lors qu’au Mexique des dizaines de milliers de personnes sont portées disparues, que les assassinats se multiplient sans qu’il y ait d’enquêtes, que l’impunité est la règle pour le crime organisé, le constat s’impose d’une fusion entre l’État mexicain et le narcotrafic. Une fusion qui, comme l’explique John Gibler, banalise et institutionnalise les violences perpétrées par la police, les paramilitaires et les narcotrafiquants : « 95 % des crimes liés au narcotrafic ne font l’objet d’aucune enquête. Le pourcentage est trop écrasant pour refléter une incapacité du gouvernement. Il s’agit plutôt d’un incroyable taux de réussite où l’objectif n’est pas la justice, mais l’impunité. »

C’est dans ce contexte que les enquêtes et la recherche que poursuit John Gibler sont particulièrement intéressantes pour comprendre les origines de la terreur d’État « devenue un aspect central non seulement de la domination, mais aussi de l’expansion des marchés ». Si, comme le dit l’ancienne prisonnière politique Gloria Arenas, « sans terreur, il n’y a pas de commerce », il est donc logique que le contrôle social et les stratégies contre-insurrectionnelles aillent de pair avec les activités d’accumulation du capital. « La terreur et l’horreur font à présent partie des formes marchandes des industries reconfigurées de l’enlèvement, de l’extorsion, du travail forcé et du trafic de personnes. »

Mensonges, tortures, mutilations, assassinats, disparitions forcées, faux témoignages, légalisation de la corruption, falsification de scènes criminelles… Toute une structure qui, appuyée par l’État, n’est ni exceptionnelle ni isolée, mais révèle une pratique, un système, une norme : « l’impunité est la libre expression des assassins. »

Rendez-les-nous vivants ! Au Mexique, l’État et le narcotrafic ont fusionné, des dizaines de milliers de personnes sont portées disparues… La banalité de l’horreur. Mais les assassinats du 26 septembre 2014 et les 43 étudiants disparus ont sans doute été la tragédie de trop, d’où les réactions de la population et l’élan de solidarité internationale. Même si le gouvernement s’est empressé de détruire les preuves de sa complicité et de reconstruire un récit des événements, basé sur de faux témoignages et des rumeurs, qui est dupe ?

John Gibler s’est rendu sur les lieux une semaine après les violences policières du 26 septembre pour recueillir les témoignages, pour s’entretenir avec les rescapés, les témoins des attaques et les parents des disparus. Rendez-les-nous vivants ! « est une tentative d’écrire en écoutant ».