Chroniques rebelles
Slogan du site
Descriptif du site
Samedi 30 décembre 2017
A fabrica de nada (l’Usine de rien). Flm de Pedro Pinho. La société autophage. Capitalisme, démesure et autodestruction de Anselm Jappe
Article mis en ligne le 29 décembre 2017
dernière modification le 25 décembre 2017

par CP

L’Usine de rien (A Fabrica de nada) Film de Pedro Pinho (13 décembre 2017)

La société autophage
Capitalisme, démesure et autodestruction

de Anselm Jappe (la Découverte)
Entretien avec Thierry

L’Usine de rien (A Fabrica de nada) Film de Pedro Pinho ( sur les écrans le 13 décembre)

L’Usine de rien, interprétée par des acteurs professionnels et non professionnels, suit un groupe d’ouvriers qui tentent de sauver leurs emplois en empêchant la délocalisation de l’usine, et pour cela expérimente l’autogestion collective.

Dans L’Usine de rien sont abordées plusieurs problématiques et se croisent plusieurs genres. Dans le désordre, la forme documentaire pour la désindustrialisation et les délocalisations ; une analyse de la logique du capitalisme ; le contexte de la crise ; l’intimité d’un couple ; le désarroi et la révolte des ouvriers manipulés et menacés, afin de les isoler et casser leur détermination ; mais aussi leurs contradictions et les questions pratiques et philosophiques soulevées par l’émancipation et l’autogestion ; le rôle des syndicats ; l’organisation du travail ; la musique ; la mémoire… Un film dense et totalement passionnant.

Cet entretien avec Pedro Pinho ressemble plus à une conversation qui aurait pu se prolonger des heures, tant son propos est sujet à rebondissements et discussions, et tant l’idée de Pedro Pinho est intéressante sur le rôle du cinéma … D’ailleurs son écriture cinématographique suscite elle-même le désir de langages différents et l’expérimentation de nouvelles formes sociales et politiques.

Pedro Pinho, proche du punk, est à la fois, comme il le dit lui-même, « pessimiste dans la théorie et optimiste dans la pratique »…

L’Usine de rien (A Fabrica de nada) de Pedro Pinho est en salles depuis le13 décembre.

Cette rencontre avec Pedro Pinho précède un entretien avec Anselm Jappe, que l’on retrouve dans le film de Pedro Pinho, l’Usine de rien.
Thierry est à l’initiative de cet entretien.

La société autophage Capitalisme, démesure et autodestruction de Anselm Jappe (la Découverte) Entretien avec Thierry

Anselm Jappe est un théoricien lié au courant de la « critique de la valeur » connu en France grâce à la publication en 2003 de son ouvrage : Les aventures de la marchandise, Pour une critique de la valeur, réédité récemment en poche aux éditions de La découverte. En s’appuyant sur une lecture marxienne des catégories fondamentales du capitalisme, que sont la marchandise, l’argent, le travail abstrait et la valeur, Anselm Jappe y insistait sur la nécessité de la critique du fétichisme de la marchandise. En effet, puisque ces catégories forment l’essence même du mode de production capitaliste, elles sont devenues notre réalité, et l’on ne saurait sortir du capitalisme sans les soumettre à une critique radicale.

Dans son nouvel ouvrage intitulé : La société auto-phage, capitalisme, démesure et autodestruction, Anselm Jappe s’intéresse cette fois au sujet contemporain.
Il s’interroge sur les conséquences que subissent les individus vivants dans une société où l’économie a colonisé toutes les sphères de la vie et soumis l’existence entière à l’exigence de rentabilité. Sur la base de la critique de la valeur et du fétichisme marchand, Anselm Jappe en arrive à définir un paradigme fétichiste-narcissique qui caractériserait le sujet post-moderne.

En effet, avec le passage de l’économie du désir à l’économie de la jouissance directe, consubstantiel à l’extension du libéralisme, dont le seul but est de vendre plus de marchandises, l’individu contemporain est bloqué au stade du narcissisme et dressé à devenir le futur consommateur absolu structuré mentalement pour cherché sans cesse à satisfaire son seul désir. Ainsi, cette crise du sujet constitue une véritable rupture anthropologique dont les récents massacres de masse perpétrés par des tueurs isolés, illustrent tragiquement les manifestations particulièrement prégnantes du déferlement de haine développée contre les autres individus, considérés uniquement comme des adversaires dans une société marchande qui a aboli toutes les limites et mets tous les êtres humains en concurrence les uns avec les autres.

Dans la société marchande, l’économie a colonisé toutes les sphères de la vie et soumis l’existence entière à l’exigence de rentabilité. Dans cette société, le travail est devenu le médiateur universel, ce qui fait de chaque individu un membre de la société qui partage avec les autres individus une essence commune lui permettant de participer à la circulation des produits : c’est le travail.

Dans les sociétés précapitalistes, le travail était subordonné aux décisions prises dans d’autres sphères sociales, selon la hiérarchie féodale par exemple, qui n’était pas liée à la productivité ou au travail. C’est pourquoi, il faut distinguer deux niveaux de domination : d’un côté la domination de certains groupes sociaux sur d’autres (lutte des classes) et de l’autre la domination impersonnelle exercée par la valeur, le travail, l’argent et la marchandise. Le travail abstrait c’est le temps de travail dépensé sans considération pour le contenu. C’est la simple quantité de temps nécessaire à la marchandise qui en détermine la valeur. Le travail a une double nature : concret comme production d’un résultat et abstrait comme temps employé.

Le capitalisme n’a pas inventé l’avidité, l’injustice sociale, l’exploitation et la domination, mais la généralisation de la forme marchandise constitue sa particularité historique.
L’argent n’est plus l’auxiliaire de la production de marchandises, mais c’est la production de marchandises qui devient un auxiliaire pour produire de l’argent.

Toutes les formes de production antérieures, pour injustes et absurdes qu’elles aient pu être servaient à quelque chose. Mais lorsque l’argent devient lui-même la finalité de la production, aucun besoin satisfait ne peut jamais constituer un terme. La production devient sa propre finalité. La valeur ne connaît pas de limite naturelle mais elle ne peut avoir lieu sans une croissance, nécessairement plus rapide, de la production matérielle. En consommant les ressources naturelles, elle finit par consommer le monde réel.

Thierry Vandennieu