Chroniques rebelles
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Samedi 27 octobre 2018
Ania. Dans le souvenir d’Anna Politkovskaia. La guerre de 1914 dans les toiles de Thérèse Birsch. CINEMED
Article mis en ligne le 11 novembre 2018
dernière modification le 30 octobre 2018

par CP

Ania
Dans le souvenir d’Anna Politkovskaia

Trois personnages en quête d’Anna Politkovskaïa, trois ami.es réuni.es pour faire apparaître au sens fort du mot, cette âme si chère plus que courageuse et habitée, brûlée par un désir de vérité que ne pouvait dissuader la conscience du danger. Par la magie incantatoire de la parole, raconter le combat de cette guerrière de la Paix contre les crimes de Poutine et montrer que le journalisme est d’abord celui qui désarme les oppresseurs.

Une pièce radiophonique de Monique Surel-Tupin, avec Nicolas Sers, Nicolas Mourer et Isabelle Fournier

Dans leur peau
La guerre de 1914 dans les toiles de Thérèse Birsch

Comment peindre les horreurs de la Grande Guerre… ou plutôt la Grande boucherie ? Interrogation à laquelle Thérèse Bisch répond dans ses toiles. Ceux qu’elle peint n’ont pas de visages, anonymes, ils échappent au delirium de la commémoration. Ils se confondent, nous confondent, remettent sur le tapis la conscience de guerre des brutus occidentaux. Est-ce que la peinture peut au moins nous éclairer sur ce qui pourrait être évité ?

40ème Festival international du cinéma méditerranéen, CINEMED
Avant le palmarès :

Cette année le festival a proposé une très belle sélection de films long métrages dont deux exceptionnels, Mafak de Bassam Jarbawi sur l’enfermement et ses conséquences, et Tel Aviv on Fire de Sameh Zoabi qui joue à la fois sur la narration d’un soap opéra à succès situé en 1967, avant la guerre des six jours, la création et l’actualité au quotidien.

Les deux films, dans des genres différents, suscitent une réflexion profonde sur la situation au moyen Orient. Pour Mafak, c’est l’introspection d’une société à travers le regard d’un prisonnier, libéré après quinze ans, qui se débat entre son enfance volée, ses cauchemars et sa vie à des périodes historiques clés : 1992 (les accords d’Oslo), 2002 (la seconde Intifada) et aujourd’hui.

Film puissant, Mafak traite du problème, au plan personnel et universel, de l’incarcération et de la torture. Si, en Palestine, 25 % des individus ont fait l’expérience de la prison et de la torture, l’idée d’enfermement perdure une fois dehors dans un territoire sous occupation. « Nous sommes tous en prison en Palestine. Je l’ai senti en rentrant de New York. La Cisjordanie, Gaza sont une immense prison » souligne Bassam Jarbawi qui a choisi une fin ouverte pour son film renforçant encore la narration. Ziad Bakri — un des très grands comédiens actuels — incarne à la perfection le décalage existentiel et psychologique du prisonnier libéré.

Dans Tel Aviv on Fire, Sameh Zoabi prend le parti de l’humour absurde, caractéristique de cinéastes de la région, pour aborder les problèmes d’une population piégée par l’occupation. Il insiste cependant sur le fait que son humour est sans doute moins urbain que celui d’Elia Suleiman (Intervention divine et le Temps qu’il reste) ou de Maha Haj (Personal Affairs). Les check points jouent un rôle prépondérant dans le récit, mais le film ne se cantonne pas à cette seule réalité physique, il montre également les conséquences de l’occupation au plan psychologique et mental.

De la même manière que dans le film de Bassam Jarbawi, Tel Aviv on Fire fait le constat de l’enfermement des personnages par un système qui finalement domine toute la population. Sameh Zoabi, qui dit s’être inspiré de sa vie pour construire un scénario et des dialogues « ping pong », a merveilleusement dosé l’univers du soap opéra, le processus d’écriture des épisodes et la part de vécu des personnages. Cela donne un montage d’une très grande fluidité et un rythme qui ne se relâche à aucun moment. « Le plus difficile a été de trouver le bon équilibre entre les deux personnages principaux, Salam et Assi », remarque Zoabi qui réussit là un second long métrage utilisant l’humour comme une forme de résistance de même que les repères historiques.
Tel Aviv on Fire sera sur les écrans en février 2019.

Outre ces deux films qui, je l’espère, auront des récompenses ce soir, il faut signaler le film de Jaime Rosales, Petra, qui déstructure le récit pour mieux faire ressentir l’évolution des personnages, Sibel de Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti, mettant en scène une jeune femme parlant le langage sifflé dans un village du nord de la Turquie. La prise d’autonomie des femmes y tient aussi une place essentielle. La Charge de Ognjen Glanovic, road movie et thriller évoquant les charniers et les bombardements de l’ONU sur la Serbie en 1999. Ou encore, le Jour où j’ai perdu mon ombre de Soudade Kaadan, situé en Syrie au début de la guerre civile. Deux films, non pas sur la guerre, mais ancrés dans la guerre. En fait, tous les films de la compétition et du panorama, ou presque, portent un regard acerbe et critique sur les sociétés, la politique, les guerres… En bref sur l’histoire officielle et la construction d’un « roman national ».

Pour ce qui concerne la question du déni historique en Espagne, le Silence des autres de Almudena Carracedo et Robert Bahar revient sur le vote de la loi d’amnistie générale, en 1977, qui garantissait aussi l’impunité des tortionnaires du régime franquiste. De nombreux cas évoquent la mémoire escamotée des exactions de la dictature, les charniers disséminés dans le pays, les noms de franquistes donnés aux rues dans les villes et les villages, vivre dans la même rue que celui qui vous a torturé et le croiser, ou encore les mères qui tentent de retrouver la trace de leur enfant volé à la naissance… Et c’est pour rompre le « pacte de l’oubli » que des hommes et des femmes saisissent la justice en Argentine — puisque cela est impossible en Espagne du fait de la loi — pour la reconnaissance des crimes et faire condamner les coupables. Le gouvernement espagnol est jusqu’ici peu coopératif, escomptant sur la mort des derniers témoins pour « tourner la page ». Une page très dérangeante pour beaucoup. Et comme le dit un des témoins : « On nous demande d’oublier des crimes d’État et de pardonner à ceux qui les ont perpétrés… Mais qui nous a demandé pardon ? »

Un mot sur les avant premières du festival, deux films soutenus par Radio Libertaire, Samouni Road de Stefano Savona et Carmen y Lola de Arantxa Etchevarria, qui a remporté plusieurs prix, notamment au festival Cinespaña à Toulouse. Nous en parlerons dans l’émission du 10 novembre autour d’un entretien avec Arantxa Etchevarria, en compagnie de Valérie Mitteaux et Anna Pitoun, réalisatrices de 8 avenue Lénine. L’intégration d’une femme rom en France. Ces deux films seront sur les écrans le 14 novembre prochain.

Pour revenir au film documentaire et d’animation de Stefano Savona, Samouni Road, dont le travail de réalisation est très original, le choix d’une animation en place des images « manquantes » fait partager au public une situation tragique certes, mais aussi leur vie au quotidien.

Sans doute l’imagination tient-elle une place importante dans ce film, car au lieu de voir des images dont l’horreur devient presque banale, le public pénètre, après les bombardements israéliens de « Plomb durci » dans une famille gazaouie de paysans « jusque-là épargnée par soixante ans de conflits et d’occupation, et confrontée pour la première fois à une tragédie sans précédent. Vingt-neuf de ses membres, femmes et enfants pour la plupart, avaient été tués par une unité d’élite de l’armée israélienne. Leurs maisons et leurs champs avaient été complètement détruits. J’ai commencé à filmer les Samouni immédiatement, [explique Stefano Savona], mais dès le début, je n’ai eu aucun doute : je devais faire un autre film sur leur histoire, qui n’aurait pas la même forme que Plomb Durci. Un film qui ne pouvait pas se réduire à un compte-rendu du massacre ou au constat du deuil poignant d’une famille entière. J’ai compris qu’il fallait construire une autre position, un autre point de vue : sortir de cette situation où on arrive toujours juste après, quand l’événement a déjà eu lieu et que les gens n’existent plus que comme victimes, ou en tout cas sous le signe de cette horreur qui s’est abattue sur eux. Ils disparaissent comme personnes dans leurs singularités et leur diversité. Tout ce qu’ils sont par ailleurs, tout ce qu’ils étaient avant et que dans une certaine mesure ils seront après, disparaît. Je voulais redonner aux Samouni une existence longue, cesser de les ensevelir tous, les vivants et les morts, sous le poids de l’événement fatal. »

Redonner la vie, retranscrire la mémoire de toute une famille, c’est ce que produit le travail d’animation de Simone Massi, à la fois onirique et très réaliste. Tout est véridique, l’animation étant inspirée des récits et des témoignages des Samouni. «  J’ai voulu poursuivre la même démarche à l’image [souligne Savona] : les séquences d’animation font revivre un quartier qui a réellement existé et aussi les membres charismatiques de la famille qui ont péri dans le massacre. Il était donc essentiel pour moi que le film reconstitue précisément et presque “archéologiquement“ les maisons, la mosquée, les vergers, ce paradis perdu dont parlent les protagonistes du film. »
Un travail remarquable et un film absolument bouleversant qui sort le 7 novembre.

N’oublions pas un film qui sort le 31 octobre, Black Indians de Jo Béranger, Hugues Poulain et Édith Patrouilleau.

D’emblée, on est séduit par le titre du film qui associe les deux groupes raciaux les plus discriminés aux Etats-Unis. Fondés à l’origine sur le génocide des populations natives indiennes et le commerce des Africain.es mis.es en esclavage, les États-Unis d’Amérique ont « gommé » ces épisodes de l’histoire officielle. D’où l’intérêt et l’importance de films comme Black Indians de Jo Béranger, Hugues Poulain et Édith Patrouilleau ou The Ride. La chevauchée de Stéphanie Gillard, film documentaire sur la longue chevauchée des Indiens Sioux pour la mémoire de ceux et celles qui ont été massacrées à Wounded Knee (janvier 2018), pour ne citer que quelques films récents, dressant le portrait des opprimé.es et des massacré.es.

Les Black Indians sont des habitant.es des quartiers de la Nouvelle Orléans, qui fabriquent les plus beaux costumes et défilent dans les rues dans des tenues inimaginables pour montrer la fierté et la beauté de leurs communautés. Les traditions allient à la fois résistance, créativité et rendent hommage aux esprits indiens. De la musique, de la danse… Black Indians nous entraîne jusqu’aux racines du « call and response », forme musicale issue de la culture africaine et l’une des sources du jazz.

Présentation par Nicolas Mourer