Chroniques rebelles
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Samedi 9 février 2019
Prenez garde à la peinture … Et à Francis Picabia de Rémy Ricordeau. Le Silence des autres
Article mis en ligne le 9 février 2019

par CP

Troisième volet des chroniques reportages sur l’île de Minorque. Il y en aura d’autres sur différents thèmes libertaires, sur les luttes et les résistances…

Le Silence des autres
Un film documentaire d’Almudena Carracedo et Robert Bahar (13 février 2019)

Le Silence des autres revient sur le vote de la loi d’amnistie générale, en 1977, qui garantissait dans la foulée l’impunité des pires tortionnaires du régime franquiste.

De nombreux cas évoquent la mémoire escamotée des exactions de la dictature, les charniers disséminés dans le pays, les noms de franquistes donnés aux rues dans les villes et les villages, vivre dans la même rue que celui qui vous a torturé et le croiser à l’occasion, ou encore les mères qui tentent de retrouver la trace de leur enfant volé à la naissance…

Et c’est pour rompre le « pacte de l’oubli » que des hommes et des femmes ont saisi la justice en Argentine — puisque cela est impossible en Espagne du fait de la loi — pour la reconnaissance des crimes et faire condamner les coupables. Le gouvernement espagnol est jusqu’ici peu coopératif, escomptant la mort des derniers témoins pour « tourner la page ». Une page très dérangeante pour beaucoup. Et comme le dit un des témoins : « On nous demande d’oublier des crimes d’État et de pardonner à ceux qui les ont perpétrés… Mais qui nous a demandé pardon ? »
Le déni historique en Espagne en compagnie de Miguel Chueca et Daniel Pinos.
Avant-première le 10 février, au cinéma l’Escurial, avec une présentation et un débat animé par Daniel Pinos.
Le Silence des autres de Almudena Carracedo et Robert Bahar

Sorties DVD/BRD :

Donbass de Sergei Loznitza (5 février 2019)

Le film se situe dans l’est de l’Ukraine, dans la région du Donbass où une guerre sans fin, qui ne dit pas son nom, oppose des camps ennemis, sur fond de crimes et de saccages perpétrés par des gangs séparatistes.
On se souvient de son précédent film, Une femme douce (2017), où l’arbitraire des autorités pénitentiaires et la violence de la société s’acharnaient contre une femme ayant traversé le pays pour rendre visite à son mari en prison.

Dans Donbass, la même violence s’exerce. Le film est également un périple à travers le pays, mais différent cette fois puisqu’il met en scène plusieurs personnages dans diverses situations. Les récits s’enchaînent en treize séquences qui narrent le conflit directement ou indirectement, mettant en présence les forces gouvernementales, soutenues par des mafias locales, et les séparatistes aidés par les soldats de Poutine et d’autres gangs. Dans ces histoires incroyables, les conséquences sont terribles, mêlant le grotesque au tragique. Il est en effet difficile d’imaginer et de croire des récits qui tiennent plus d’une farce à la Ubu que de la réalité. La violence et l’hystérie semblent la norme, tandis que les bandes mafieuses ont le pouvoir, sinon se l’octroient, et en profitent.

Le film de Sergei Loznitza développe un humour au vitriol en même temps qu’il est la démonstration du dérapage d’une situation désespérément absurde. Un cauchemar qui n’en finit pas. Le réalisateur renvoie d’ailleurs dos à dos les deux camps, aussi corrompus l’un que l’autre : « Dans le Donbass, dit-il, la guerre s’appelle la paix, la propagande est érigée en vérité et la haine prétend être l’amour. »
À découvrir en DVD et Blue Ray depuis le 5 février.

Burning de Lee Chang-Dong (5 février 2019)

En rencontrant par hasard une ancienne connaissance, Haemi, alors qu’elle participe à la promotion d’une boutique, Jongsu, qui est coursier, tombe sous le charme de la jeune fille. Une histoire amoureuse s’amorce rapidement et, lorsqu’elle part en voyage à l’étranger, Haemi lui demande de nourrir son chat, que d’ailleurs on ne voit jamais. À son retour, elle lui présente Ben, un garçon qu’elle vient de rencontrer dans l’avion et part en voiture avec lui sans plus d’explications. Ben fait partie de la jeunesse dorée, possède une voiture luxueuse, un bel appartement et dégage un mystère tantôt condescendant, tantôt inquiétant. S’instaure alors entre les trois jeunes gens une relation trouble dans laquelle la séduction, l’attirance, la jalousie et les allusions énigmatiques déstabilisent Jongsu, distraient Ben, amusent Haemi, qui rêve d’être actrice et fait du mime. Ben révèle à Jongsu son étrange secret et, peu de temps après, la jeune fille disparaît.

Adaptée de la nouvelle de l’écrivain japonais Haruki Murakami, Les Granges brûlées, le film décrit un quotidien ordinaire, tout en instillant petit à petit des détails déroutants, étranges, des doutes, des charades, des images poétiques qui conduisent le récit dans une dimension de fantastique ordinaire. Jongsu est en quelque sorte notre guide, notre voix off pour comprendre la situation, tenter d’élucider la disparition de la jeune fille alors que Ben joue l’indifférence. Mais joue-t-il une morgue alors qu’il semblait goûter l’idylle naissante avec Haemi ? La jeune fille n’était-elle excitante aux yeux de Ben que dans la mesure où elle provoquait la jalousie de Jongsu ?

Le film déroule un récit dans lequel se mêlent liaisons dangereuses et différences de classes. Après la disparition de Haemi qui marque un tournant dans l’histoire, le film vire au thriller policier et social. À la recherche de la jeune fille, Jonsu est persuadé de la responsabilité de Ben dont il guette les allées et venues. Celui-ci s’en distrait, comme s’il jouissait de l’inquiétude et des sentiments du garçon. La différence de classes donne à Ben une supériorité sur Jongsu, les avantages de l’argent par rapport à quelqu’un qui en manque et par conséquent n’a pas les mêmes droits dans la société. Ben est au-dessus des soupçons et des lois, Jongsu, jeune homme taciturne et passif, subit la société et ses inégalités, tente d’écrire sans y parvenir, son père est en prison.

Les deux hommes sont à l’image de la société coréenne, divisée en pauvres, qui n’ont rien à espérer, et en riches qui se croient tout permis. Un crime pour l’un ne serait qu’une incartade pour l’autre. C’est sans doute cette prise de conscience, après la disparition non élucidée de Haemi, qui libère Jongsu de son sentiment d’infériorité et le pousse vers la scène finale.
Burning de Lee Chang-Dong est découvrir ou à revoir en DVD Blue ray depuis le 5 février.

Girl de Lukas Dhont
 (19 février 2019)

L’héroïne de Girl est transgenre, mais si le sujet a déjà été abordé au cinéma, il n’en soulève pas moins encore des réticences. L’histoire est à la fois simple et bouleversante, Lara est une adolescente dont le rêve est de devenir danseuse étoile. Un rêve auquel elle se consacre à fond, avec le soutien de son père.

Malgré l’amour de ce dernier, les difficultés et la douleur apparaissent au détour d’un plan, dans les rapports de Lara avec ses camarades, mais surtout avec le sentiment d’un corps subi qui d’une certaine manière emprisonne son rêve. Est-elle consciente de la transformation qu’elle recherche et son rêve de danse est-il une forme de métamorphose souhaitée exprimée seulement par le corps et la discipline physique ?

Il faut souligner la performance extraordinaire et la maitrise du jeune comédien au visage d’ange, Victor Polster, qui joue le rôle de Lara avec justesse et une très grande sensibilité. Un film rare qui donne une autre vision de la question transgenre.
Girl de Lukas Dhont
 sortira en DVD et Blue Ray le 19 février.

Prenez garde à la peinture … Et à Francis Picabia de Rémy Ricordeau

Entretien avec le réalisateur

« Le goût est fatigant comme la bonne compagnie ». « La peinture est faite pour les dentistes ». « L’art est un produit pharmaceutique pour imbéciles ». Autant de phrases qui s’inscrivent dans la provocation et, surtout, dans la détermination de passer vraiment à autre chose.

La vie de Francis Picabia est entourée de légendes, que d’ailleurs il a entretenu, la principale demeurant peut-être celle de faussaire. Un faussaire génial, qui pouvait autant jouer de l’imposture critique que de l’humour le plus acerbe. Peintre, écrivain, poète, Picabia est certainement l’un des artistes les plus inventifs de l’art moderne, de même que celui qui se prenait le moins au sérieux. La vitesse, comme « la vie dans tous ses excès était à ses yeux préférable à son œuvre ; et le jeu des passions à la morbidité des dogmatismes. »

Le nouveau film de Rémy Ricordeau, dans la mouvance de la révolution surréaliste, nous fait découvrir, après son film sur Benjamin Péret, un créateur finalement assez méconnu, non seulement en raison des légendes à son encontre, mais aussi pour la diversité des styles qu’il a développés dans une œuvre prolifique. Le DVD du film Prenez garde à la peinture et… À Francis Picabia s’accompagne d’un livret sur son parcours de vie et son œuvre en mouvement.

« Picabia est l’inventeur du détournement  » explique Jean-Jacques Lebel, l’un des intervenants dans le film. Quant aux métaphores dans ses peintures, dans ses dessins, elles sont liées à la sexualité. « C’est la peinture du désir, du désir non censuré », disait André Breton.

Saper l’art, saper les habitudes en introduisant les mots dans la peinture, semer du doute dans l’image ; Picabia en est le précurseur au sein du foisonnement de ses idées. Il s’est imprégné de New York, qui a été pour lui un choc architectural, ce qui a par exemple inspiré ses dessins de machines. Picabia avait le sens du subversif, de la publicité, de la communication. C’était aussi un meneur et un mécène qui a financé des salles, des événements, des revues…

Prenez garde à la peinture et… À Francis Picabia de Rémy Ricordeau « propose ainsi de retracer la vie de Francis Picabia en soulignant l’importance de sa singularité dans l’histoire intellectuelle et artistique du XXe siècle. » S’il a décrété, avec Marcel Duchamp, la mort de l’art, Francis Picabia n’en est pas moins une référence importante pour qui s’intéresse à l’art moderne et à son influence essentielle. Mais pas question de se prendre au sérieux, il vaut mieux encore le citer :

« Messieurs les artistes
Foutez nous donc la paix
Vous êtes une bande de curés
qui voulez encore nous faire croire à dieu.
 »

Vous êtes sur Radio Libertaire, la radio sans dieu ni maître.
https://www.youtube.com/watch?v=wJSzENiD8Zc
Le DVD : Publico, 145 rue Amelot. 75011 Paris.
01 48 05 34 08

We the Animals
Film de Jeremiah Zagar (6 février 2019)

Inspiré du roman éponyme de Justin Torres, We the Animals, le film se déroule dans le Nord des Etats-Unis, dans une famille marginale et pauvre. Jonah est le plus jeune de trois frères, qui sont plus ou moins livrés à eux-mêmes, à l’écart de la ville. Les parents, totalement immatures, ne s’occupent en effet guère des trois garçons, le couple vit une passion destructrice dans les schémas habituels de la société patriarcale.

Les deux frères aînés de Jonah reproduisent le comportement de leur père, mais Jonah est différent. Il tente de jouer le jeu, mais n’y arrive pas vraiment et ne sait trop comment l’exprimer. Alors il dessine le monde secret qu’il s’invente à partir de sa vision personnelle, des scènes familiales, de sa propre compréhension de la réalité.

Tout cet univers recréé par Jonah représente la trame du récit, comme en écho de la différence… Une autre facette de la réalité dissimulée dans un cahier. Les dessins sont intégrés au film, s’animent ou sont fixes, illustrant l’évolution des personnages à partir de la perception de l’enfant. Le film décrit avec justesse une population marginale de la société états-unienne, des laissés-pour-compte paumés, piégés par les slogans publicitaires et le mythe illusoire du Do it Yourself.
We the Animals de Jeremiah Zagar est sur les écrans depuis le 6 février.

Rencontrer mon père
Film d’Alassane Diago (20 février 2019)

Rencontrer mon père est un film très personnel, entre le désir de comprendre les motivations d’un père, parti depuis 20 ans, abandonnant sa famille sans donner aucune nouvelle, et le besoin de construire sa propre maturité. C’est aussi une chronique sur l’émigration nécessaire pour survivre : « À un moment donné dans les années 70-80, une sécheresse a, entre autres, décimé le bétail et poussé les hommes à partir pour subvenir aux besoins de leurs familles. Mon père faisait partie de cette génération. Cette émigration massive, on a tendance à l’oublier, on en parle peu [explique le réalisateur]. C’est une émigration subrégionale, au sein de l’Afrique. Parmi ces émigrés, très peu réussissent à faire fortune et quand ils n’y parviennent pas, ils préfèrent mourir que de rentrer. […] Le sentiment de honte les ronge. »

« Je suis devenu un homme, comme mon père. Alors je décide d’aller à sa rencontre pour savoir ce qui le retient à l’étranger depuis plus de vingt ans, sans donner de nouvelles, sans revenir, sans subvenir aux besoins de ses enfants ni de sa femme. » Lorsque Alassane Diago décide de faire ce film, sa motivation est donc tout à fait personnelle, mais, peu à peu, elle évolue, notamment avec la rencontre de cet homme qu’il ne connaît pas.

Le début du film est émouvant par les silences de sa mère, qui ne veut pas exprimer une quelconque rancœur, et dissimule sa tristesse derrière une retenue et une timidité bouleversantes. C’est sans doute le moment le plus fort du film, car l’on ressent les liens qui existent entre le lui et sa mère, dont il comprend la souffrance, et qui attend toujours ce mari, dont elle garde la photo accrochée au mur, malgré la longue absence.

La rencontre avec le père et la famille, qu’il a reconstitué au Gabon, sera tout d’abord assez distante, puis cela prend un ton plus amer, son père lui reproche de l’avoir humilié dans son film, Les larmes de l’émigration. Le film, diffusé à la télévision, avait créé une polémique dans l’entourage du père, sur la question de l’abandon. Puis, finalement, le fils demande des explications qui, devant le mutisme embarrassé du père, prennent le ton du réglage de comptes.

Rencontrer mon père d’Alassane Diago est une plongée dans la culture familiale et l’intimité africaines, de manière simple et spontanée. « J’ai conscience que la caméra est une arme » déclare Diago, une caméra intransigeante pour un cinéma féministe.
Rencontrer mon père d’Alassane Diago sort le 20 février prochain.

La Chute de l’empire américain
Film de Denys Arcand (20 février 2019)

« J’suis trop intelligent pour une Succes Story » dit Pierre-Paul, largué brusquement par sa petite amie ; « les imbéciles adorent des crétins », y’a qu’a voir la présidence de Trump !

À 36 ans, avec un doctorat en philosophie, Pierre-Paul est plutôt maladroit, naïf, et travaille comme chauffeur pour une compagnie de livraison. Or, au cours d’une livraison, il est témoin d’un hold-up qui tourne mal, faisant deux morts, l’un des gangsters et un garde du corps de la mafia. Ahuri et totalement à côté de la plaque, notre Candide philosophe a tout de même le réflexe de planquer deux sacs de sport bourrés de billets dans sa fourgonnette, juste avant l’arrivée des flics. Ça fait des millions de dollars !
Ouais, mais voilà il n’est pas habitué à de telles sommes et il ne sait pas quoi en faire, d’autant que la police est à la recherche du magot pour empocher une partie du fric, ainsi que la mafia qui veut récupérer son bien.

Cela donne l’occasion de plusieurs chassés croisés cocasses… Et l’affaire se corse lorsque Pierre-Paul recrute un ex-taulard, spécialiste en économie et en évasions fiscales, et qu’une escort girl irrésistible se greffe sur le coup avec, en sous-main, un avocat d’affaires de ses amis. Évidemment, il ne s’agit pas seulement de le dissimuler ce fric, faut-il encore pouvoir les écouler, sans risques, les millions de dollars.

Après le déclin de l’Empire américain — sur le thème du sexe — les Invasions barbares — sur celui de la mort —, la Chute de l’Empire américain est le troisième film d’une trilogie — cette fois sur l’argent —, de Denys Arcand.

L’argent est omniprésent dans nos sociétés et avale toutes les valeurs ; alors cette histoire est aussi le prétexte réjouissant de voir comment un idéaliste, comme Pierre-Paul, trouve des pistes, avec son copain ex-taulard, pour doubler le monde des magouilles financières… De même que l’État. Le film fait au passage le portrait hilarant de quelques profiteurs, prêts à faire de bonnes affaires… en toute légalité bien entendu. Drôle et critique de la société du fric et de l’individualisme, la Chute de l’Empire américain de Denys Arcand sort le 20 février.

Le choc des utopies.
Porto Rico contre les capitalistes du désastre

Le nouveau livre de Naomi Klein (LUX)
Préface de Jade Lindgaard

Dans les décombres laissés par les tempêtes meurtrières de 2017, les habitants de Porto Rico rebâtissent leur monde et se mesurent à de puissants adversaires dans une lutte pour l’avenir : pour qui reconstruira-t-on l’île ? Pour ceux qui y vivent ou pour ceux qui veulent y faire fortune ?

Après un désastre écologique comme ceux qui promettent de frapper partout et de plus en plus souvent, deux visions du monde s’affrontent : celle d’ultrariches libertariens, déterminés à transformer l’île en un paradis où ils pourraient vivre à l’abri des tumultes d’un monde dont ils ont su tirer profit, et celle d’une population déterminée à reconstruire ses communautés autrement, pour mieux vivre ensemble, et mieux vivre dans le monde.

Naomi Klein reprend ici la grille d’analyse de La stratégie du choc pour décrire le pillage en cours, mais elle raconte surtout l’histoire de femmes et d’hommes qui s’organisent pour subvenir à leurs besoins et pour bâtir une société durable et démocratique.
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