Chroniques rebelles
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Samedi 16 Février 2019
Manifeste rien : Rappel à l’ordre ! « Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares » de Radu Jude. Baghdad Station de Mohamed Jabarah Al-Daradji. Chabrol, l’anticonformiste de Cécile Maistre-Chabrol.
Article mis en ligne le 17 février 2019

par CP

Par le collectif Manifeste rien :
Rappel à l’ordre
D’après Gérard Noiriel — Immigration et racisme et en France
et Michelle Zancarini-Fournel

Entretien avec le metteur en scène, Jérémy Beschon.

Rappel à l’ordre ! d’après Gérard Noiriel et Michelle Zancarini-Fournel
Un spectacle de la compagnie Manifeste rien suivi d’un débat
Histoire et actualité : des questions sociales, médiatiques et judiciaires...

Au théâtre Comédie Nation, Paris 11ème, ce lundi 18 février à 20h

Rappel à l’ordre ! C’est un one Man show, durant lequel le comédien, Olivier Boudrand, se fait historien pour révéler les rouages de la presse et de l’influence médiatique — il y a pas mal de choses à dire dans le contexte politique actuel —, notamment sur la porosité existant entre les médias de masse, leurs dirigeants et les autorités. Il est donc question de l’information et des patrons de presse à propos des conflits sociaux — et l’on peut faire le lien aujourd’hui avec les gilets jaunes par exemple —, question aussi de la stigmatisation de certaines populations, de « l’oubli » ou carrément du déni des violences policières, enfin de la justice à deux vitesses et du rôle de l’État...

« Hier comme aujourd’hui, les élites condamnent le bras qui frappe, mais jamais celui qui l’arme, et quand la main vengeresse frappe l’innocent, elles crient au scandale : regardez donc ces vandales ! »

Rappel à l’ordre ! C’est une enquête depuis les origines de la Première Guerre mondiale, et même avant, jusqu’à aujourd’hui. Ça parle de foot, de pogroms, du poids de l’histoire coloniale et des migrants. Parce que les « crises » comme c’est ressassé dans les médias de masse, les « crises » concernant la Nation n’ont absolument rien de nouveau. Un des événements du genre s’est tenu à Marseille, en 1881. Des travailleurs d’origine italienne ont sifflé la Marseillaise — ils devaient en avoir gros sur la patate —, et pour cela certains ont été lynchés. Bilan : trois morts et des condamnations au bagne. C’est à partir de cette époque que des idéologues, journalistes ou politiciens, prétendent que les immigrés forment une « nation dans la nation et qu’ils refusent de s’intégrer dans la société française »... Et oui, on connaît la chanson, elle n’est pas nouvelle et elle pue le nationalisme.

Rappel à l’ordre ! est un spectacle monté d’après Gérard Noiriel — auteur de Immigration et Racisme en France —, et de Michelle Zancarini-Fournel — auteure d’une Histoire populaire de la France. À voir lundi 18 février.
+ d’info sur la pièce : http://manifesterien.over-blog.com/rappel-a-l-ordre.html

Baghdad Station de Mohamed Jabarah Al-Daradji (20 février 2019)

Le film se déroule en 2006 dans la gare de Baghdad et autour de celle-ci. Une jeune femme marche rapidement le long des rails de chemins de fer, elle porte un foulard qu’elle retire aux abords de la gare centrale. C’est le matin, Sara regarde autour d’elle, la gare grouille de monde, quadrillée par des patrouilles de soldats états-uniens… En effet, des personnages officiels sont attendus pour inaugurer la réouverture de la gare.

Une journée de la vie d’une femme au milieu d’une gare de voyageurs/ses en attente d’un train, de partir ailleurs… C’est un microcosme de la société irakienne avec les stigmates des guerres subies depuis quinze ans. Le regard de Sara passe d’un groupe à l’autre, un vieil homme avec le cercueil de son fils étudiant, tué à l’université dans un attentat, des musiciens, une femme qui reproche à l’un d’eux de ne pas l’avoir épousée, une jeune fille en robe nuptiale qui refuse un mariage arrangé et se révolte, des enfants, vendeurs de fleurs et de cigarettes à la sauvette, cireurs pour gagner de quoi survivre…

À l’annonce du retard de l’inauguration officielle, Sara s’assoit sur un banc, repérée par Salam, un baratineur qui cherche à la charmer… Elle se lève, de plus en plus crispée, mais il la suit jusqu’à ce qu’elle lui fasse comprendre qu’elle est là pour une mission, un attentat-suicide à l’arrivée des officiels. D’abord incrédule, Salam est interloqué en voyant le détonateur relié à une charge d’explosifs que Sara peut activer à tout moment, avec le carnage que cela représente s’il tente de réagir. Médusé, Salam argumente, pose la question : en quoi les personnes civiles présentes sont-elles responsables de la situation ? Pourquoi devraient-elles payer de leur vie le fait d’être là, simplement au mauvais moment ?

Otage de Sara et de son plan de plus en plus confus, Salam propose de l’aider, mais elle se durcit, le menace, répète ce qu’on lui a mis dans la tête comme une litanie pour se défendre de fléchir. Le jeune cireur s’approche et se fait rabrouer, tandis que sa sœur, la petite marchande de fleurs à la langue bien pendue, s’en prend à Sara sans deviner ce qui se passe : non, elle ne l’aime pas et la juge mauvaise. Les enfants, livrés à eux-mêmes dans la gare, les parents sont absents, morts peut-être, apprennent la vie dans la rue et se débrouillent comme ils le peuvent. Les mômes, en bandes, se rackettent entre eux et reproduisent la violence des adultes, de la guerre, de la société…

Servi par un excellent casting, la tension va crescendo au fur et à mesure que les heures passent. La très jeune comédienne, incarnant la marchande de fleurs, est impressionnante de naturel et d’agressivité, mais elle n’est pas la seule, car les saynètes, qui se croisent dans Baghdad Station, exigent une interprétation puissante de la part des comédien.nes. Le jeu doit exprimer un milieu social, le drame vécu, le ressenti de tous les personnages attendant dans la gare. Les gosses de rues traînant dans la gare évoquent le merveilleux film de Youssef Chahine, Gare centrale. En revanche, Baghdad Station de Mohamed Jabarah Al-Daradji a cette particularité tragique que la trame du film est la menace d’un attentat, personnifié par Sara de plus en plus mal à l’aise en observant la foule autour d’elle et se récitant l’idéologie classique des attentats aveugles. La fin justifie les moyens et dans une société détruite, si l’attentat provoque des dégâts humains « collatéraux », tant pis ! On peut toujours dissimuler un cas de conscience derrière une volonté divine bien commode pour masquer l’horreur de la situation et n’attacher aucun prix à la vie humaine, à commencer par la sienne propre.

Cela lui devient toutefois difficile de poursuivre un tel raisonnement lorsqu’une femme, poursuivie par sa famille et des marines états-uniens, lui confie un sac de voyage où sommeille un bébé. Sara est arrêtée par une patrouille pour traduire les propos de la mère, et se trouve confrontée à un responsable militaire brusque et complètement déphasé. Sa femme lui parle au téléphone de l’anniversaire de leur fille et, finalement, il relâche tout le monde sans deviner les intentions de Sara ou imaginer la ceinture d’explosifs, cachée sous sa veste. De son côté, Sara ne fait rien, le doute s’immisce dans son esprit, plus encore après avoir appelé sa mère au téléphone. Le personnage de Sara, envoyée en mission terroriste, est très complexe ; son évolution au cours de la journée fait penser aux personnages de Paradise Now réalisé par Hani Abu-Assad (2005).

«  Je n’ai jamais rien fait de mal » dit Sara en réponse à la pression de la décision qu’elle doit prendre. Elle est piégée et les commanditaires de l’attentat attendent… Une fin ouverte, à rebondissement, dans l’idée de « et si c’était à refaire ? ». Une journée sans fin…
Baghdad Station de Mohamed Jabarah Al-Daradji porte une réflexion troublante et grave sur les conséquences de la guerre et de la destruction d’une société. Baghdad Station de Mohamed Jabarah Al-Daradji sort en salles le 20 février 2019)

« Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares » de Radu Jude (20 février 2019)

Troisième long métrage du réalisateur, le film traite du révisionnisme aujourd’hui en Roumanie. Un révisionnisme qui semble la norme en ce qui concerne la responsabilité des autorités et l’acceptation passive d’une grande partie de la population quant aux crimes de masse perpétrés au début de la Seconde Guerre mondiale et durant celle-ci, et dont le roman national a depuis évidemment minoré la portée. Or, une metteuse en scène décide d’apporter un bémol à cette vision de l’histoire officielle, en écho à la résurgence du nationalisme et du racisme. Le propos dépasse de loin le cas de la Roumanie, il s’agit de générer une réflexion au plan universel sur le retour du nationalisme et du racisme décomplexé. Et si le cinéma et le théâtre pouvaient contrer le déni historique, porter une réflexion sur les dérives populistes actuelles et soulever des débats ?

Le choix de la phrase, « Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares », prononcée par le maréchal Antonescu au Conseil des ministres en juillet 1941, en même temps qu’il proposait la « purification » du peuple roumain, en dit long sur l’intention du réalisateur. L’intervention du maréchal, considéré alors comme l’homme providentiel, justifiait idéologiquement le massacre de 20 000 Juifs à Odessa par l’armée roumaine pendant l’automne 1941.

Mettre en scène cet épisode, savamment gommé pendant la période communiste, provoque évidemment la controverse dans l’équipe, à commencer par certains comédiens-figurants, car le massacre a marqué le début d’une politique génocidaire, qui a fait des centaines de milliers de victimes parmi les populations juive et rom, bien que peu en parlent aujourd’hui. Le moins que l’on puisse dire, toutefois, c’est que Mariana, la metteuse en scène, n’est pas prête à faire la moindre concession sur son travail. Elle s’appuie sur une recherche élaborée qui n’est pas ébranlée par les arguments négationnistes qu’on lui oppose, davantage par méconnaissance et par effet de répétition d’une propagande savamment distillée pendant des années. Finalement, peut-être est-ce plus confortable de ne pas se poser de questions et de continuer à garder la tête dans le sable.

Le phénomène du déni historique est central dans le film et la détermination de Mariana est d’autant plus forte qu’elle se heurte à des réticences ou à des refus. « Mariana veut faire entendre une voix dissonante face à l’Histoire officielle, brodée de figures héroïques nationales, qui se déploie des sphères politiques à l’homme de la rue en discours stéréotypés, en phrases toutes faites, en citations ressassées qui fonctionnent comme autant de prêt-à-penser qui bâtissent “l’identité nationale roumaine”. »

Pas question pour elle de jouer le jeu de la glorification à travers un spectacle populaire, financé par les deniers publics, supervisé par un représentant de la Ville qui d’abord propose « d’arrondir » la proposition historique de la metteuse en scène, puis la menace de censure avant le coup d’envoi de la représentation publique. Mariana doit faire face à trois difficultés et non des moindres : elle est une femme, elle est artiste et elle avance à contre courant de la pensée commune. Mais pour autant, elle ne renonce pas, elle continue, épaulée par une partie de son équipe, convaincue par l’idée et la nécessité « d’ouvrir une brèche » dans les clichés véhiculés, parfois inconsciemment, parfois à dessein. Et cela jusqu’à la représentation grand spectacle donnée en plein centre de Bucarest, avec reconstitution militaire, drapeaux flottant au vent, pogroms et massacre…

« Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares » est un film sur la façon dont la cinématographie peut parler de l’histoire et quelles sont les limites d’une telle démarche. » C’est toute la question du cinéma engagé…
« Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares » de Radu Jude est à voir dans les salles le 20 février 2019.

Chabrol, l’anticonformiste
Film documentaire de Cécile Maistre-Chabrol

Cinéaste prolifique, figure importante de la Nouvelle vague, Claude Chabrol est d’abord critique de cinéma, puis producteur ; il tourne son premier film, le Beau Serge en 1958, qui, avec les Cousins en 1959, sont les deux films qui marquent les débuts la Nouvelle Vague en France… Peintre acerbe de la bourgeoisie, notamment celle de province, avec son goût des convenances, son hypocrisie et son conformisme, Chabrol filme la comédie humaine et s’essaye à plusieurs genres, dans la continuité d’un parcours cinématographique impressionnant… Ce que traduit parfaitement le film de Cécile Maistre-Chabrol, qui a été sa collaboratrice sur de nombreux films. Alors, Chabrol l’anticonformiste, le bon vivant, l’observateur, l’anarchiste… Anticonformiste à coup sûr. Avec un brin de provoc et beaucoup de bon sens, n’a-t-il pas dit : la connerie est plus intéressante que l’intelligence parce qu’elle est sans limites…

Chabrol, l’anticonformiste de Cécile Maistre-Chabrol
sera diffusé dur ARTE dimanche 17 février à 22.40

Ma Chère Cécile,
Figure toi qu’Augustin m’a appelé hier matin pour me dire qu’il était vraiment navré de ne pas avoir pu te recevoir dans Boomerang cette semaine.
Aussi, il m’a chargé de te lire le portrait qu’il avait préparé pour toi.
Portrait dans lequel j’ai mis mon grain de sel bien sûr.
Alors voilà :
Cécile, c’est la fille du grand Chabrol !
On ne sait pas trop quoi penser de son petit air sérieux… Concentrée et décontractée, elle vous regarde droit dans les yeux, aimable, bienveillante.
Rendez-vous compte, elle a tout de même travaillé 25 ans sur les plateaux de tournage avec les plus grands techniciens et techniciennes, acteurs et actrices du cinéma français. En bonne héritière de Chabrol elle en a la gentillesse ! Gentillesse que tous ceux qui ont travaillé avec lui s’accordent à louer, lui qui disait vouloir comprendre sans juger ! Un homme profondément bon.
Mais attention, il ne faut pas trop s’y fier, quand elle vous raconte sa période punk, on devine qu’elle n’en a pas déposé toutes les armes !
Elle qui m’a dit un jour que Chabrol avait un détecteur de cons et qu’il lui avait appris à elle aussi, à les détecter... Les cons. Alors elle pourrait bien vous mordre sans crier gare ! En punk ou en bourgeoise, on s’en fout, on aimerait être sa copine et aller boire un verre de rouge dans un bistrot de son quartier et lui raconter notre vie.
Derrière son look vintage, bourgeoise branchée, on ne sait plus, avec les cheveux ébouriffés en ce début d’après-midi.
Je suis sûr qu’elle va nous faire croire qu’elle n’est pas la première de la classe, mais nous, on le sait déjà qu’elle est bien plus intelligente que ça !
Elle vient nous présenter son documentaire qui passe demain soir sur ARTE, elle vient dans les chroniques rebelles sur Radio libertaire, se laisser interroger par deux anars qui aiment le cinéma de Chabrol et qui, comme lui, attendent la révolution deux fois par an.
Pas vrai Christiane ? Pas vrai Daniel ?
Un documentaire pour nous rappeler que ce fainéant de Chabrol a tout de même fait 58 films en 50 ans !
Merde alors 50 ans, il nous aura accompagné toute notre vie !
Nous, dans ce studio, derrière les micros, qui ne sommes plus des petits cons nés de la dernière averse, n’est-ce pas Lulu ?
On est rassuré quand elle nous dit que, comme son père, elle non plus n’aime pas l’autorité, et qu’elle préfère le ridicule à la méchanceté.
Tant mieux !
Le jour de ton anniversaire, à Montreuil, Aurore, ta maman, m’a dit que sur les plateaux de tournage, il n’y avait pas de place pour les gros egos ou pour les grosses têtes.
Et que Chabrol savait les faire dégonfler très vite.
On s’en rend bien compte dans ton documentaire qu’il n’y a pas de place pour les melons.
On y voit Michel Piccoli éplucher des patates, avec une dizaine d’autres membres de l’équipe, pour les faire cuire dans la soupe du soir ou les faire sauter avec le rôti du midi. Il faut savoir tout faire pour travailler avec Chabrol !
Lui, l’autodidacte du cinéma qui nous explique qu’apprendre la technique ça prend 2 heures. Ah bon ! Et que l’on peut passer sa vie à ne pas savoir placer sa caméra.
On ne se prend pas au sérieux chez les Chabrol ! 
Mais on prend tout au sérieux !
Jacques Gamblin avait tenu à dire dans la lettre qu’il t’a demandé de lire lors de l’hommage que tu as rendu à ton père en 2010 à la cinémathèque française, que s’il déteste le mot famille au cinéma, il avait été heureux d’avoir eu cette petite impression de faire partie de la tienne, au point de s’y sentir chez lui. Daniel et moi, qui avons eu la chance d’être invité à l’avant-première au Luminor à partager ce beau moment d’intimité avec ta famille, on le comprend.
Cécile, ton documentaire est jubilatoire tendre et pudique, intelligent et juste, et nous rappelle à quel point Chabrol nous a accompagné tout le long de nos vies. Tu nous racontes avec ta superbe voix ton Chabrol, le tien, mais aussi le nôtre, celui qui nous aide à regarder l’humanité avec lucidité et générosité, et cet humour indispensable à la vie.
Et qui d’autre que toi aurait pu nous le rendre si vivant, si présent, si joyeux ?
Merci Cécile d’être venue faire un tour dans les chroniques rebelles...Merci d’être là... (Mireille)

Entretien avec la réalisatrice