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Samedi 8 juin 2019
Ricardo Flores Magon. Une utopie libertaire dans les révolutions du Mexique d’Américo Nunes
Article mis en ligne le 8 juin 2019

par CP

Ricardo Flores Magon.
Une utopie libertaire dans les révolutions du Mexique

Américo Nunes (éditions Ab irato)

En compagnie de l’auteur et de l’équipe des éditions Ab irato

Ricardo Flores Magón (1874-1922) est l’un des grands acteurs de la Révolution mexicaine de 1910-1920. On lui doit le fameux « Tierra y libertad ! » (Terre et Liberté, Land and Freedom, décliné dans toutes les langues…) ainsi que de nombreux textes, par exemple : « L’honnêteté ne vit pas à genoux, prête à ronger l’os que l’on daigne lui jeter. Elle est fière par excellence. Je ne sais si je suis honnête ou non, mais je dois avouer qu’il m’est insupportable de supplier les riches de m’accorder, au nom de Dieu les miettes de tout ce qu’ils nous ont volé. Je viole la loi ? C’est vrai, mais elle n’a rien à voir avec la justice. En violant les lois promulguées par la bourgeoisie, je ne fais que rétablir la justice bafouée par les riches, qui volent les pauvres au nom de la loi. » Voilà un texte dont la formulation a toujours la même force et la même acuité après un siècle.

Comme le soulignent les éditions Ab irato, si l’on peut trouver en français un choix de textes de Ricardo Flores Magon, en revanche il a manqué un ouvrage qui fasse le lien, la synthèse de « sa vie, son œuvre et son action politique ». Avec cet ouvrage, Ricardo Flores Magon. Une utopie libertaire dans les révolutions du Mexique, Américo Nunes offre une approche large et complète de l’engagement politique de Ricardo Flores Magon, de ses combats, de son œuvre militante qui animé toute sa vie. On y découvre aussi sa détermination, car, comme le dit la chanson, Ricardo Flores Magon ne lâchait rien de sa lutte, malgré l’acharnement des autorités à le faire taire, tant mexicaines qu’états-uniennes.

Il est vrai que défendre les idées anarchistes, se revendiquer anticapitaliste, antiautoritaire, pour l’autogestion, l’abolition du salariat et contre toute forme d’endoctrinement religieux, est apparue alors comme une menace du système capitaliste et, dans la foulée, de ses dirigeants. Dans l’essai très complet d’Américo Nunes, il est question de son journal, Regeneración, de son combat auprès de Zapata, de sa participation au mouvement agraire d’inspiration communautaire, de son long exil où il côtoie les IWW et le syndicalisme révolutionnaire, fondé en 1905, également de ses rencontres avec Emma Goldman, Alexandre Berkman, Voltairine de Cleyre… Est abordé aussi son enthousiasme pour la révolution russe de 1917, dans laquelle il voit tout d’abord une avancée vers la révolution mondiale, mais sa déception est très rapide.

Ses lettres — bonne idée de les placer au début du livre — sont passionnantes pour ce qu’elles révèlent de son idée de l’action révolutionnaire. « En tant qu’anarchistes, nous devons faire tout notre possible pour que la révolution qui est en train d’éclater puisse accorder au peuple tout ce à quoi il a droit. […] même si on court le risque d’être écrasés par ceux qui nous prennent pour des agitateurs. » Il n’abandonne pas pour autant son analyse lucide de l’après révolution : «  aucune révolution ne réussit, après son triomphe, à faire valoir et à rendre pratiques les idéaux qui l’ont enflammée, et cela arrive parce qu’on confie au nouveau gouvernement ce qu’aurait dû faire le peuple durant la révolution. […] On réunit un congrès, qui réduira à des lois les idéaux qui ont fait prendre les armes et pour lesquels le peuple s’est battu. »

Ricardo Flores Magon milite au sein des IWW et rêve d’une révolution prolétarienne mondiale, la révolution mexicaine constituant, selon lui, « le premier pas de la lutte universelle contre le capitalisme et l’autoritarisme étatique ». En exil aux Etats-Unis, de 1904 jusqu’à sa mort — incarcéré et malade —, en 1922, il refuse toute compromission et déclare : « je suis anarchiste.[…] Je ne crois pas en l’État : je lutte pour l’abolition des frontières internationales ; je lutte pour la fraternité universelle de l’homme. Je considère l’État comme une institution crée par le capitalisme pour garantir l’exploitation et la domination des masses. »

Un Havre de paix
Film de Yona Rozenkier (12 juin 2019)

Dans un kibboutz près de la frontière libanaise au Nord d’Israël, une alerte à la bombe. C’est le début du film, un Havre de paix, qui replace au quotidien la centralité de l’armée et de la politique sécuritaire de l’État.

Un Havre de paix… Peut-être, mais transcendé dans les souvenirs d’enfance de trois frères qui se retrouvent dans le kibboutz familial pour les funérailles de leur père. Le plus jeune, Avishaï, doit partir deux jours plus tard au front, sur la frontière libanaise, et il aimerait poser des questions à ses deux frères sur le sens de la guerre permanente menée par Israël et de son rôle dans ce contexte. Il y a aussi le message étrange du père, venu comme volontaire s’établir dans ce kibboutz. Les deux frères ont des positions totalement opposées sur leur expérience de l’armée, le plus âgé pousse Avishai à partir au front pour atteindre l’âge adulte, quant au second, il ne songe qu’à l’en empêcher.

Entre les alertes à la bombe, l’exhortation du frère aîné à faire son devoir et le pastiche de combat dans la séquence de paintball, la question incontournable est celle du bien fondé de la violence et de ses conséquences. « Quand tu joues la violence, tu finis par ne plus la contrôler et par devenir réellement violent. En Israël [explique le réalisateur], tu fais ton service militaire entre 18 et 21 ans. Nous sommes des gamins qui jouent à la guerre, mais cette guerre redevient sans cesse une réalité, parce que des gens meurent vraiment. [Et] quand tu sors de la guerre, tu as du mal à te souvenir de comment tu étais avant, avant que l’armée ne te vole ta naïveté. Tu ne sais même plus si cette naïveté a vraiment existé. Rien ne sera plus jamais comme avant, le paradis et la naïveté de l’enfance sont définitivement perdus. »

Un Havre de paix est un film critique sur la militarisation de toute une société, qui vit sous l’injonction de la « masculinité de plus en plus toxique qui se transmet de père en fils ». De fait, l’alternative semble quasi impossible dans le cadre d’une pression sociale basée sur un mélange de machisme, de nationalisme et de peur, instillée depuis le plus jeune âge. Il faut donc impérativement correspondre à la représentation virile du combattant, blindé, armé et conscient du devoir, sans le moindre doute sur la légitimité du combat et de la violence exercée. Pourtant, dans la réalité, on peut s’inquiéter des traces, la plupart du temps inavouées, laissées dans l’inconscient des jeunes soldats et soldates, de même que de la gravité des troubles post-traumatiques et des conséquences inéluctables sur toute une société. Des études de féministes israéliennes soulignent en effet les liens entre militarisme, violence et sexisme en analysant leur complexité. Si l’on considère l’armée comme un passage obligé et son fonctionnement comme agent de socialisation, avec mise en avant de comportements et d’attitudes masculines, on en vient à aborder la question de la masculinité comme construction sociale et même celle du masculinisme, qui cherche à promouvoir le caractère et les intérêts des hommes.

Le testament du père est, de ce point de vue, très ambigu et contradictoire, il intime l’oubli à ses fils tout en leur demandant de prouver leur « courage » dans un acte symbolique. Ce qui, en quelque sorte, est à l’image des oppositions familiales et de l’attachement des trois garçons.

Dans son film, Yona Rozenkier évoque aussi la question de la laïcité et l’utilisation croissante de la religion à des fins politiques : « Le droit d’existence d’Israël ne doit pas devenir un droit religieux mais rester le droit laïc d’un peuple qui a été persécuté et qui, comme les Palestiniens, a droit à une terre. »

On pourrait finalement en conclure que le véritable courage, c’est « oser dire que ce n’est pas la bonne direction et se donner la liberté d’emprunter un autre chemin. »
Un Havre de paix de Yona Rozenkier est sur les écrans le 12 juin.

Buñuel.
Après l’âge d’or

Film de Salvador Simo (19 juin 2019)

Buñuel dans le labyrinthe des tortues — titre du roman graphique original de Fermin Solis — , L’histoire vraie du tournage de Terre sans pain, et finalement, en français, le titre retenu, Buñuel. Après l’âge d’or. On ne sait quel titre choisir, et à dire vrai, chacun colle en écho au film d’animation de Salvador Simo.

L’histoire commence en 1930 avec le scandale déclenché par la projection de L’Âge d’or à Paris, un film authentiquement surréaliste, en accord avec le côté provocateur et subversif du mouvement. Financé en partie par sa mère et co-écrit par Salvador Dali, L’Âge d’or, après un échec commercial retentissant et son interdiction, laisse Luis Buñuel complètement déprimé, sur la défensive et sans un sou. L’Âge d’or, satire dérangeante pour le moins, dont les cibles principales sont l’État et l’Église, restera censuré en France jusqu’en 1980.

En 1932, son ami, Ramon Acin, sculpteur, peintre et journaliste anarchiste, gagne à la loterie et décide de produire le projet de Buñuel, filmer un documentaire dans l’une des régions les plus isolées et les plus pauvres, Las Hurdes, située dans les montagnes de l’Estrémadure. L’équipe de tournage part sur place, Ramon Acin, Eli Lotar, cinéaste et photographe français proche du mouvement surréaliste, Pierre Unik, coscénariste qui a assisté Buñuel sur le tournage de l’Âge d’or. Ce dernier est très ému par la misère de la population.

Une étude de Maurice Legendre, publiée en 1927 sur Las Hurdes, est une source d’inspiration pour le script de Buñuel, le constat était très dur : « isolement et communication pauvre, rudes contrastes climatiques, malnutrition étendue, omniprésence de la mort et particulièrement de la mortalité infantile, résistance aux réformes médicales et légales, mauvaises installations sanitaires, […] conservatisme ancré dans le fatalisme ».
Si l’idée de l’équipe était de filmer une réalité parfois insupportable, afin d’impulser un changement de la situation misérable de la population, on peut toutefois se demander si, avant tout, cela devait permettre à Buñuel de réaliser un film très fort et à hauteur de son talent.

Ce film d’animation, qui mêle des plans du tournage réel aux images animées, sans passer sous silence certaines péripéties du tournage, amène à la question : quelle est la fonction du film documentaire ? Et concernant le film de Buñuel, Terre sans pain, faut-il le qualifier de film documentaire ou de docu-fiction ? En effet, les séquences sont mises en scène avec soin pour obtenir des images fortes, par la suite on dira des images choc. Notamment par rapport aux images les plus crues : la petite fille allongée dans la rue, souffrant sans doute de malaria et attendant la mort, abandonnée sur place après le tournage du plan, les chèvres jetées de la falaise parce qu’elles ne tombaient pas d’elles-mêmes des pentes escarpées, le coq décapité en gros plan, ou encore, et peut-être l’image la plus insoutenable, celle de l’âne attaqué par les abeilles dont on a sciemment bousculé les ruches qu’il transportait pour filmer la très lente agonie de la bête.

C’est d’ailleurs un point très intéressant du film d’animation de Salvador Simo, il ne cède en rien à l’adulation du grand cinéaste qu’est Buñuel. Il montre l’ambiguïté de sa relation avec Dali, comme les désaccords au sein de l’équipe de tournage et les décalages de communication entre lui, sa vision personnelle du film, et la population du village. Il fait figure de privilégié, ce qu’il est, de par son milieu familial.

La question du rôle du film documentaire revient donc, prégnante, tout au long du film, lorsque que l’on voit le réalisateur mettre en scène la vie et la mort, de même que ne pas s’arrêter à une quelconque considération de l’autre pour forcer le réalisme d’un plan… L’apport des images originales du film de Buñuel en binôme avec les images animées offre une perspective différente pour la redécouverte d’un film mythique et en renforce la portée. Quant à la musique originale de Arturo Cardelus, elle fait corps avec les images.

Tourné en 1932, après le Chien andalou et l’Âge d’or, Terre sans pain revu par Salvador Simo permet également un regard sur une période de la filmographie de Luis Buñuel, de même que sur l’histoire de l’époque… Le film est interdit en 1933 par la Seconde République espagnole et ne sera vu en Espagne qu’après la mort de Franco. Le 6 août 1936, le producteur du film et ami de Buñuel, Ramon Acin, également enseignant, sculpteur, peintre, journaliste et militant anarchiste, est fusillé à Huesca par les franquistes avec sa compagne Conchita Monras.