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Samedi 12 octobre 2019
Agir ici et maintenant. Penser l’écologie de Murray Bookchin de Floréal Romero. Martin Eden de Pietro Marcello. Warrior Women de Elisabeth Castle et Christina D. King. La Bonne réputation d’Alejandra Marquez Abella. 41e CINEMED…
Article mis en ligne le 13 octobre 2019
dernière modification le 16 octobre 2019

par CP

Agir ici et maintenant
Penser l’écologie sociale de Murray Bookchin

Floréal Romero (éditions du commun)
Entretien avec Floréal Romero

Martin Eden
Film de Pietro Marcello (16 octobre 2019)

Warrior Women
Film de Elisabeth Castle et Christina D. King (16 octobre 2019)

La Bonne réputation
Film d’Alejandra Marquez Abella (16 octobre 2019)

41e Festival international du cinéma méditerranéen.

Agir ici et maintenant
Penser l’écologie sociale de Murray Bookchin

Floréal Romero (éditions du commun)

L’intérêt actuel pour les critiques et propositions de Murray Bookchin n’est pas un hasard. Il y a plusieurs raisons sociopolitiques. Mais d’abord écologiques. Le monde brûle par le réchauffement climatique, par la capacité de destruction et de contrôle des nouvelles technologies utilisées par les dominants, utilisées sans pitié, tous les jours, toutes les minutes. Le navire prend l’eau : la catastrophe écologique, annoncée par Bookchin il y a plus de 50 ans, se rapproche à grands pas : "Cette réalité exige une inversion totale" selon Floréal Romero. La crise permanente du système capitaliste, au niveau mondial, détruit tout ce qui est en dehors du marché : le ciel s’assombrit chaque jour un peu plus. Même en France, un des pays parmi les plus riches de la planète, nous assistons à une déclaration de guerre sociale et politique. Celles et ceux qui veulent sortir de ce jeu se confrontent à une brutalité grossière de l’État.

La destruction violente des communs de la Zad de Notre-Dame-des-Landes n’est qu’un exemple parmi d’autres. Pourtant les tentatives de création nourries par les débats continuent, et cela, malgré les violences économiques et politiques. Il faut souligner que ces créations sont liées aux questionnements radicaux renforcés par la déception des révolutions. Les graines semées dans les luttes incessantes, depuis de longues années, ont germées. Fleuries. Celles et ceux qui luttent pour un monde joyeux, libre et juste, ont donc beaucoup plus de ressources par rapport aux années 1980. Fini l’époque des doctrines, des prophètes, des théories parfaites. Les sources d’influences théoriques de l’espace des luttes sociales se sont multipliées. Le murissement des analyses critiques découle également des expériences de luttes contre les multiples facettes des systèmes de domination, mais aussi des recherches qui, en outrepassant l’universalisme, adoptent une approche multisituée, pour contextualiser et historiser les structures de pouvoir, les expériences d’oppression et d’exploitation ainsi que les pratiques de résistance.

Cette intelligence collective nous permet de voir que la frontière entre volonté d’intégrité théorique et dogmatisme inflexible est étroite ; elle permet également de mieux comprendre les logiques communes, les liens idéologiques et conceptuels de différents systèmes de domination. La civilisation humaine fonctionne avec le postulat de rationalité qui lui donne la légitimité de remettre en « ordre » tout ce qui serait chaotique, marginal et extérieur à elle-même : le désordre, la marginalité et l’altérité doivent être normalisés. La domination de l’Orient par l’Occident, le racisme, l’intervention dans les cultures dites “primitives”, le contrôle de la folie, l’homophobie, l’exclusion des enfants de toute sorte de décision, les rapports sociaux de classe, s’appuient sur le même postulat. La psychiatrie et la psychologie servent à contrôler l’ingouvernable “nature intérieure” de l’humanité. Le mâle qui s’est approprié cette mission a réduit la nature en servante de l’être masculin. Dans le système patriarcal, tous les êtres dominés sont assimilés à la nature et tout ce qui se rapporte à la nature se dote de caractéristiques féminines. C’est là que la théorie de l’écologie sociale devient intéressante, car elle interroge toute la civilisation humaine qui imagine une nature dans la limite de sa pensée et ce faisant catégorise le monde par ce modèle. En France, cette interrogation se propage de plus en plus, dans une période de revitalisation politique des luttes antihiérarchiques qui portent les liens forts et transnationaux des pensées utopiques.

En suivant cette interrogation, Floréal Romero, qui écrit, intervient et milite depuis longtemps autour de cette cause, va un peu plus loin : il essaie de repenser l’histoire sous le prisme de l’écologie sociale et de faire dialoguer la pensée de Murray Bookchin avec d’autres analyses et expériences libertaires. Il pose, de façon très honnête, la question : est-ce que cette pensée peut être utile ?
Pour ce faire, il questionne ses sources d’influences théoriques et pratiques. Il constate que c’est le caractère anarchiste et antiautoritaire de Bookchin qui le rend intéressant aujourd’hui.

(Extrait de la préface par Pinar Selek)

Martin Eden
Film de Pietro Marcello (16 octobre 2019)

Librement adapté du roman de Jack London Martin Eden.

Le roman de London est transposé à Naples, au cours du XXe siècle, sans que cela soit plus précis, pourtant, parmi les images d’archives, on reconnaît Errico Malatesta le 1er mai 1920. Il est vrai que les repères historiques se mélangent à dessein dans le film et le réalisateur s’en explique : « Nous avons imaginé que notre Martin traverserait le vingtième siècle, une transposition onirique du vingtième siècle, dépourvue de coordonnées temporelles, ne se situant plus dans la Californie du roman mais dans un Naples qui pourrait être n’importe quelle ville portuaire ». Martin Eden est donc un jeune marin, qui joue du coup de poing, lit beaucoup et s’exerce à écrire. Autour de lui, la misère, l’exploitation, les logements insalubres, la montée brutale de mouvements politiques et c’est cela qu’il veut raconter dans ce qu’il écrit, dans son style à lui, direct, cash, sans se soucier des règles pour plaire. Martin Eden, « c’est le roman de l’autodidacte, de celui qui croit en la culture comme instrument d’émancipation et qui est resté en partie déçu. Un livre d’une grande pertinence politique, qui révèle la capacité de Jack London à percevoir les nuances ternes de l’avenir, les perversions et les tourments du XXe siècle. »

Un jour, sur le port, une brute malmène un jeune homme auquel Martin vient en aide, celui-ci l’invite chez lui et l’introduit dans un autre monde, une autre partie de la ville, celle des gens lettrés et aisés. Impressionné par le décor, les livres, les tableaux, Martin rencontre Elena et tombe amoureux de la jolie et jeune bourgeoise. Mais la différence de classes, le décalage entre classes sociales le trouble et lui donne le sentiment de trahir ses origines. Cette impression de naviguer entre deux milieux, Jack London l’évoque aussi dans une nouvelle, publiée comme le roman en 1909, Au Sud de la fente.

Pietro Marcello démarre le récit du film par un constat en forme de dénouement. Une image gros plan, Martin Eden parle et écrit : « Le monde est plus fort que moi ». Et à partir de là se déroule sa vie, par ellipses pour remonter le temps, les images de l’enfance, notamment lorsqu’il danse avec sa sœur, des images qui reviennent de manière récurrente. Puis il y a les disputes avec son beau-frère, le refus d’être comme son entourage, sa soif de connaissance et de liberté, sa fascination pour Elena et la classe bourgeoise — « je veux devenir comme vous », lui dit-il —, et bien sûr son amitié pour Russ Brissenden, qui fait partie de la classe privilégiée mais la méprise.

Pietro Marcello a écrit le scénario de Martin Eden avec Maurizio Braucci avec lequel il a travaillé pour son précédent film, Bella e Perduta. « Le roman de Jack London a été pour chacun de nous un “roman de formation”, un livre qui plus qu’aucun autre a influencé notre jeunesse et nos rêves, en déterminant notre vision du monde. J’ai pensé à ce film pendant très longtemps, et finalement nous avons commencé à travailler à sa concrétisation, en développant un sujet à partir duquel nous avons écrit un scénario, en état de grâce. Avec Martin Eden, j’ai eu l’ambition de franchir une frontière nouvelle et dépasser mes frontières créatives par la fiction. Dans la réalisation de ce projet ambitieux, je n’ai jamais voulu perdre le contact avec le réel, mais tout au contraire repartir de celui-ci. » L’univers filmique mêle parfois des touches de couleurs variées, joue sur l’étalonnage et les qualités de supports, correspondant aux différentes phases du récit, imaginées par le réalisateur « à travers les références à la peinture et à la photographie de la fin du XIXe siècle, [pour] restituer le même type de densité et de réflexion historique.  »

Martin Eden est une réussite passionnante de libre adaptation d’un roman par le cinéma, le film parvient en effet à transcrire l’ambiance de doute, de candeur, de désenchantement, de violence du livre de London… Beaucoup de questions, après le film, reviennent sur l’individualisme, sur la situation contemporaine, car sur la plage, que l’on peut considérer comme celle du destin, se côtoient un groupe de chemises noires, des migrants et un homme qui crie « la guerre est déclarée ! »
Martin Eden de Pietro Marcello est en salles à partir du 16 octobre 2019

Warrior Women
Film de Elisabeth Castle et Christina D. King (16 octobre 2019)

Il faut garder à l’esprit que la création des Etats-Unis s’est réalisée sur le génocide des Amérindiens. Tous les gouvernements états-uniens ont considéré, plus ou moins ouvertement, que le règlement de la question indienne était d’éradiquer les différentes tribus amérindiennes et de les déposséder de leurs terres. Une dépossession qui s’accompagne de sociocide. Il est ainsi plus facile de justifier la spoliation d’un peuple, qui sans société, sans cultures, n’existe pas.

D’où l’importance de l’American Indian Movement, AIM, dont Madonna Thunder Hawk a été l’une des premières militantes. « Reprendre notre pouvoir en tant que femmes et reprendre notre sacralité est nécessaire si nous voulons survivre en tant qu’espèce » dit Madonna Thunder Hawk, dont le film Warrior Women retrace l’itinéraire et les luttes. Elle est l’une des fondatrices de l’AIM et n’a jamais cessé de combattre pour les droits des Amérindien.nes, depuis l’occupation de la prison d’Alcatraz en 1969 jusquà la lutte contre le pipe-line de Standing Rock en 2016. À ses côtés, sa fille Marcy poursuit l’engagement de sa mère, mais explique également dans le film, avec une grande sincérité, les difficultés à être la fille d’une activiste au moment de l’adolescence.

Warrior Women montre comment l’héritage militant se transmet et se transforme de génération en génération dans un contexte agressif, où le gouvernement colonial réprime violemment la résistance autochtone.
Après Incident à Oglala de Michael Apted (1991), Thunderheart de Michael Apted (1992), The Ride de Stéphanie Gillard (2016), Warrior Women d’Elisabeth Castle et Christina D. King est un film essentiel pour comprendre la résistance amérindienne à une suite de spoliations étatiques qui n’a jamais cessé.

Il ne faut pas oublier que Leonard Peltier est toujours injustement emprisonné dans des conditions horribles. Et que les Amérindiennes sont au premier rang pour revendiquer leurs droits et ceux des populations dans le monde. « J’aimerais que ce film soit vu par toutes les femmes, de toutes les couleurs, qui font le boulot… » On ne peut dire mieux que Madonna Thunder Hawk.
Warrior Women d’Elisabeth Castle et Christina D. King, à ne pas manquer à partir du 16 octobre.

La Bonne réputation
Film d’Alejandra Marquez Abella (16 octobre 2019)

La Bonne réputation est basé sur Las Niñas bien ("les filles bien nées"), un recueil de chroniques mondaines de Guadalupe Loaeza. On peut regretter la traduction car « les filles bien nées » cible parfaitement le personnage de Sofia, grande bourgeoise et monstre d’égoïsme, préoccupée uniquement de l’admiration et de l’envie qu’elle suscite chez les autres. Sa raison d’exister : être le centre des regards de la caste privilégiée mexicaine.

Alors, lorsque la crise économique frappe le pays et occupe les informations de manière récurrente, que son mari lui avoue sa ruine, elle se retranche d’abord dans un déni et continue à vaquer à ses occupations habituelles, faire les magasins, les salons de beauté, le club de tennis et les ragots, les fêtes où chacune des femmes riches rivalise de futilité.

Chronique d’un déclin. Sofia fait tout ce qu’elle peut pour masquer la réalité, pas question d’avouer la ruine de sa famille, même quand les domestiques s’en vont, faute d’être payés, quand les magasins refusent sa carte de crédit et que, peu à peu, ses « amies » se détournent d’elle pour se rapprocher d’une nouvelle venue, issue de la classe populaire, mais dont le mari, parvenu notoire, dépense sans compter. Sofia se ferme à la réalité et à défaut d’une prise de conscience, elle est prête à sacrifier sa dignité, à voler… Tout en conservant les apparences bien évidemment.

La jeune femme, nouvelle coqueluche du groupe, lui fait d’ailleurs remarquer qu’elle a beau se démener et tricher sur son mode de vie, elle ne trompe personne : Sofia n’a plus la supériorité de sa classe sociale. Il ne lui reste plus qu’à s’adapter et oublier quelque peu son orgueil. Une interprétation remarquable pour un film sans concessions.
La Bonne réputation d’Alejandra Marquez Abella sort le 16 octobre 2019

41ème Festival international du cinéma méditerranéen
CINEMED à Montpellier du 18 au 26 octobre.

Ça commence… avec en ouverture Adults in the Room de Costa-Gavras (sortie 6 novembre)

À lire : La Révolution prolétarienne (N° 806. Revue fondée en 1925 par Pierre Monatte).
Jef Klak (N° 6).
CQFD (N° 180 - On pollue bien les pauvres).
Mathématiques et "Gilets jaunes". Déterminisme et relativisme de Henri Simon (Échanges et Mouvement).