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Samedi 19 octobre 2015
Le Cinéma des surréalistes. Alain Joubert. L’Âcre parfum des immortelles de Jean-Pierre Thorn. Braquer Poitiers de Claude Schmitz. Au bout du monde de Kiyoshi Kurosawa. Festival international du cinéma méditerranéen, 41e CINEMED de Montpellier…
Article mis en ligne le 16 octobre 2019
dernière modification le 3 novembre 2019

par CP

Le cinéma des surréalistes
Alain Joubert (Maurice Nadeau et Cinémathèque de Toulouse)

Conversation avec Alain Joubert (1ère partie)

L’Âcre parfum des immortelles
Film de Jean-Pierre Thorn (23 octobre)

Braquer Poitiers
Film de Claude Schmitz (23 octobre)

Au bout du monde
Film de Kiyoshi Kurosawa (23 octobre)

Le festival international du cinéma méditerranéen,
41e CINEMED de Montpellier commence…

Dans son prélude en forme de «  bande-annonce », Alain Joubert rappelle qu’il n’y a pas à proprement parler de cinéma surréaliste, mais certainement un cinéma des surréalistes. D’où le titre de son livre, passionnant et superbe, Le Cinéma des surréalistes. « Il n’existe pas de forme surréaliste de référence en matière de création, quelle qu’en soit la nature, cinéma compris. Le surréalisme n’étant pas une esthétique, il traverse toutes les formes et c’est l’état d’esprit de ceux [et celles] qui s’expriment qui crée la différence ».

C’est la raison pour laquelle j’ai désiré poursuivre la présentation du Cinéma des surréalistes, sous forme de conversation informelle avec Alain, en suivant cependant la construction de son livre.

Voici donc la première partie d’un « panorama » du Cinéma des surréalistes, un échange auquel Alain Joubert s’est amicalement prêté pour Radio Libertaire.

Trois films à l’affiche le 23 octobre, L’Âcre parfum des immortelles de Jean-Pierre Thorn, Braquer Poitiers de Claude Schmitz et Au bout du monde de Kiyoshi Kurosawa.

L’Âcre parfum des immortelles de Jean-Pierre Thorn
« Pour liquider les peuples on commence par leur enlever la mémoire. On détruit leurs livres, leur culture, leur histoire. Et quelqu’un d’autre leur écrit d’autres livres, leur donne une autre culture et leur invente une autre Histoire... » ( Milan Kundera, Le Livre du rire et de l’oubli).

« Que reste-t-il de nos rêves, de notre rage, de nos utopies ? » C’est le questionnement qui court tout au long du film, en même temps que l’idée de changer le monde. Car les questions posées et la remontée dans le temps des luttes qu’opère Jean-Pierre Thorn sont une façon de dire aussi que lutter, ne jamais baisser les bras ni renoncer sont autant de signes que la révolte est toujours là. Jean-Pierre Thorn le sait, lui qui n’a jamais cessé de filmer, de se faire l’écho des révoltes jusqu’à aujourd’hui, lorsqu’il découvre, sur un rond point, la solidarité et la colère de Gilets jaunes.

L’Âcre parfum des immortelles mêle au parcours d’un cinéaste engagé la part intime, le souvenir de son amante disparue, et c’est ce qui donne encore plus de force au récit du film. Les premiers pas dans la forêt de pins, la naissance du désir amoureux et celui de changer le monde, l’osmose d’un couple.

C’est une longue lettre filmée adressée à Joëlle, l’échange de paroles écrites de deux amants, ponctué à chaque instant par l’idée d’engagement, incontournable. « Je te cherche » dit Jean-Pierre en mettant à l’évidence un itinéraire qui n’a jamais dévié depuis Oser lutter, oser vaincre, Flins 68, Le Dos au mur (1980) ou encore Je t’ai dans la peau (1990), jusqu’à Faire kiffer les anges (1996), On n’est pas des marques de vélo (2002) ou 93 La Belle rebelle (2007-2010), sur la résistance musicale. Je t’ai dans la peau, long métrage de fiction, est peut-être le film le plus poignant, inspiré de la vie d’une syndicaliste, Georgette Vacher, suicidée en 1981.

Mai 68, le travail en usine, la lutte syndicale, l’autogestion et le mouvement hip hop tracent un lien constant dans son désir de comprendre les classes populaires et leur force de création résistante. Sans doute est-ce pour cela que Jean-Pierre Thorn choisit de s’exprimer par le truchement de plusieurs formes cinématographiques, les films militants, longs et courts métrages, fiction et documentaires qui finalement se rejoignent dans une même démarche : donner la parole à celles et ceux qui doivent la boucler.

La rage est toujours présente, d’ailleurs en retrouvant celles et ceux qui ont témoigné dans ses films, Jean-Pierre Thorn en fait la démonstration. Les paroles s’enchaînent dans toute leur diversité : « le capitalisme gagne parce qu’il a la panoplie pour nous faire plier » ; «  Ici les privilégiés s’installent » ; « Faut éviter de penser à tout ça. Ils n’ont plus la mentalité que nous avions… » ; « Y’en a qui ont du s’en mettre du pognon dans les poches ! » ; « J’y crois plus beaucoup… » Liberté de penser, de circuler, droit à la différence… On ne changera peut-être rien avec un livre ou un film, mais ajoute Nacera : « Merci d’être là au mauvais endroit ! »
Une rage qui s’amplifie, qui se cherche aussi, qui analyse… Et qui refuse de penser que tout est foutu.

Le film de Jean-Pierre Thorn se construit d’une séquence à l’autre, du passé au présent, de l’intime au collectif. La lecture des lettres de Joëlle, par Mélissa Laveaux en voix off, résonne à la fois proche et lointaine. À l’image, les très belles photos de Joëlle, souriante, photos d’un geste, d’un mouvement de bras ou de nuque… « Rien de ce qui a existé ne peut mourir ».

Si un golf a remplacé l’usine rasée, il faut croire que les gens d’en bas prenant des initiatives sans consignes syndicales, ont fortement dérangé ! Il faut résister à l’éradication de l’histoire ouvrière, arrêter de subir et d’être asservi.es.

« Je ne supporte plus les campagnes de dénigrements systématiques dont ce soulèvement populaire est victime de la part du gouvernement et des médias qui défendent les intérêts d’une élite corrompue. Je ne supporte plus que ce soulèvement soit systématiquement qualifié de “factieux”, “antisémite”, “raciste”, “violent” etc... etc... Pour mieux justifier la répression brutale et sans précédent dont il est victime... D’où pour moi la nécessité absolue de rendre leur fierté et respecter l’intelligence collective de ses acteurs. Inscrire ce soulèvement dans la continuité des utopies de 68 et de l’insurrection des banlieues de l’automne 2005. […] J’ai le sentiment que s’inventent aujourd’hui de nouvelles formes de représentations du peuple. »
Merci pour ce film poétique, personnel et politique… Alors à bientôt pour le prochain !?
L’Âcre parfum des immortelles de Jean-Pierre Thorn est sur les écrans le 23 octobre.

Braquer Poitiers de Claude Schmitz (23 octobre)
Un délire d’été et une histoire d’amitié, qui se construit à partir d’une arnaque. Wilfrid est propriétaire d’une chaîne de station de lavage de voitures du côté de Poitiers, mais bon cela ne l’intéresse guère, c’est plutôt son jardin qui le branche. Alors quand deux Belges magouilleurs, Thomas et Francis, décident de le braquer sans violence — « c’est les vacances » —, il s’en amuse et les autorise à piquer dans la caisse. Et, pense-t-il, cela occupera sa solitude. Débarquent par la suite des copines du sud, genre « cagoles », étonnées par l’attitude de Wilfrid, mais pourquoi pas ? Voici donc cette bande atypique installée chez Wilfrid et se baladant dans la région, au gré des fêtes et des baignades.

Braquer Poitiers est né de la rencontre avec Wilfrid et de l’idée de rassembler des personnes qui n’ont rien en commun, sinon l’étonnement et la curiosité qui en naît. « Le tournage a duré neuf jours. Ce sont les arrivées et les départs des acteurs qui ont provoqué les rebondissements du récit [explique le réalisateur]. Il fallait tourner les scènes selon les disponibilités des uns et des autres. Si leurs emplois du temps avaient été différents, le film l’aurait été également. Nous tournions donc chronologiquement et, d’une certaine manière, je jouais le rôle de script : je m’efforçais de mémoriser les détails de chaque scène pour tourner la scène suivante, mais sans prendre de notes. »

Cette improvisation volontaire apporte au récit une impression de surprises selon les rencontres, parfois aussi d’indécision des personnages qui se cherchent, changent d’attitudes, ce qui marque le film d’un côté foutraque assumé. Le choix de faire jouer des professionnels et des amateurs, dans une liberté de jeu, est une autre caractéristique du film qui produit des rebondissements inattendus. En fait toute l’équipe semble s’être impliquée pour raconter une histoire de rencontres improbables, dans un cadre en otage comme d’ailleurs le propriétaire des lieux, Wilfrid.

Braquer Poitiers développe un autre langage cinématographique, en construction depuis le tournage jusqu’au montage… C’est en quelque sorte l’idée de provoquer des rencontres et de filmer. Braquer Poitiers est accompagné d’un second film, Wilfrid, qui pourrait se voir comme une sorte d’épilogue au rêve non satisfait de communauté de Wilfrid.
Braquer Poitiers et Wilfrid de Claude Schmitz, en salles le 23 octobre.

Au bout du monde de Kiyoshi Kurosawa (23 octobre)
Au bout du monde, l’Ouzbékistan où une équipe japonaise vient tourner un reportage pour la télévision. C’est aussi une coproduction entre le Japon et l’Ouzbékistan proposé à Kiyoshi Kurosawa, avec la liberté de choix du sujet. Cette fois, il prend une toute autre direction que celle du genre où l’horreur et le suspens dominent. Au centre de l’histoire : le voyage et une jeune femme à la recherche d’elle-même, à la rencontre d’une autre culture, d’un autre pays.

Au bout du monde est un film multiple que l’on peut voir à plusieurs niveaux. Dès le début ce qui frappe, c’est la place des femmes dans la société japonaise et, en l’occurrence, au sein de l’équipe de tournage pour la télévision, exclusivement masculine, hormis la présentatrice, Yoko, qui semble avoir complètement intégré la suprématie patriarcale. Aux ordres du réalisateur et du cadreur, elle se prête à toutes les demandes, sans protester, et joue son rôle de reporter télé dans toute sa platitude faussement enjouée. Sous le vernis de la convenance se devine le rêve de la jeune femme, ou plutôt apparaît sa frustration sans qu’elle l’exprime vis-à-vis des autres. Elle soigne les apparences, même lorsque qu’elle échange des messages avec son copain travaillant comme pompier à Tokyo.

Le film commence avec le tournage, au bord d’un lac artificiel, où un poisson étrange aurait été pêché, mais réalité ou mythe, du poisson on ne verra rien, le pêcheur prétextant que la présence de Yoko l’empêche de mettre son bateau à l’eau. Tournage loupé. Même péripétie pour la dégustation du plat traditionnel ouzbèque dont le riz n’est pas cuit. On s’attend à tout moment qu’un événement hostile survienne, impression favorisée par la méfiance de la jeune femme en terre étrangère, surtout lorsqu’elle décide de découvrir seule les villes traversées, Samarkand, puis Tachkent. Elle est à la fois attirée par la découverte de l’inconnu, et craintive, ne comprenant pas la langue ni les coutumes. Et chaque fois, les escapades prennent un caractère de danger, que ce soit dans la traversée de tunnels obscurs, dans un marché, la rencontre de groupes d’hommes, l’intervention de la police, ou bien encore lorsqu’elle s’égare et se retrouve dans une impasse. Cela produit une tension diffuse, d’ailleurs Yoko passe son temps à courir comme si elle tentait d’échapper à une menace qu’elle ignore. À plusieurs reprises, on lui fait remarquer que les coutumes sont différentes de celles de son pays, et l’interprète du tournage, Temur, insiste sur le fait qu’« il est impossible de se connaître si l’on ne parle pas. »

De l’Ouzbékistan traditionnel, on ne voit que la place des médersas de Samarkand, et encore en passant depuis le bus de l’équipe après un tournage, de la ville moderne de Tachkent, on aperçoit surtout les grands hôtels et les supermarchés. Mais lors de ses balades improvisées, Yoko va découvrir des ruelles où elle rencontre un bouc magnifique, dans une partie ancienne de la ville, dont elle proposera la libération pour un sujet à tourner, le réalisateur étant à court d’idée pour étoffer le reportage. Kurosawa a du s’amuser à faire le portrait de ce réalisateur TV imbus de lui-même, qui prétend avec condescendance tout savoir du public japonais.

Le personnage de Yoko est très complexe, tout en contradictions, entre sa détermination à réussir, se conformer à ce qu’on attend d’elle, son désir étouffé d’indépendance, sa curiosité en même temps que sa méfiance craintive. Peu à peu cependant, elle gagne en autonomie et parle de ses doutes, au cadreur par exemple : va-t-elle continuer ce métier ou bien choisir une autre direction ? Chanter faisant partie de son rêve. L’Hymne à l’amour interprété par Atzuko Maeda, qui incarne Yoko, est sublime en japonais. Le voyage de Yoko est aussi une aventure intérieure et une façon de sortir des habitudes pour adopter une autre perspective. Une évolution qui s’accomplit au bout du monde…
Au bout du monde de Kiyoshi Kurosawa est sur les écrans le 23 octobre.

Le 41ème Festival international du cinéma méditerranéen vient de commencer à Montpellier… Il offre à travers de nombreux films, longs et courts métrages, documentaires, rétrospectives, rencontres et débats, le portrait d’un monde méditerranéen en pleine transformation. La fête du cinéma bat son plein, tournée vers la découverte, le dialogue et l’engagement pour une perspective ouverte et critique.

Le 41ème CINEMED, Festival international du cinéma méditerranéen, c’est jusqu’au 26 octobre à Montpellier.

Adults in the Room de Costa-Gavras (sortie 6 novembre)