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Samedi 14 mars 2020
CINÉLATINO 2020. Un fils de Mehdi Barsaoui. Les Visages de la victoire de Lyèce Boukhitine.
Article mis en ligne le 16 mars 2020

par CP

CINÉ LATINO
Puisque les 32èmes Rencontres de Toulouse : le CINÉLATINO
qui devait avoir lieu du 20 au 29 mars est annulé,
nous parlerons en compagnie d’Isabelle Buron de la production du cinéma d’auteur.e en provenance des pays d’Amérique latine
qui fait montre d’une embellie remarquable…

Un Fils
Film de Mehdi M. Barsaoui (11 mars 2020)

Entretien avec Mehdi Barsaoui et Sami Bouajila

(45mn)

Des mouvements sociaux sont en pleine effervescence dans les pays d’Amérique latine depuis plus d’un an, il faut citer les manifestations de masse au Chili, en Argentine, les bouleversements politiques, les dérives populistes et autoritaires au Brésil, en Bolivie, les violences au Mexique, les destructions environnementales qui touchent des populations souvent discriminées, la menace que représente l’emprise des évangélistes sur les institutions du continent, les conditions de vie de plus en plus difficiles, enfin la corruption… Dans ce contexte, le cinéma d’auteur.es fait preuve d’une prise conscience et d’une démarche de résistance notable et courageuse.

Les œuvres cinématographiques en provenance de ces pays sont en effet impressionnantes et les Rencontres de Toulouse, le Cinélatino en a toujours fait la démonstration par la diversité et la force des films rassemblés pour être présentés au public. Les 32èmes Rencontres du 20 au 29 mars ayant été annulées pour cause de précaution sanitaire, il n’en demeure pas moins que les films, les animations, les débats, les rencontres qui avaient été prévues sont l’illustration de questions qui se posent sur les « conséquences de tous ces mouvements sociopolitiques de fond sur la production, la diffusion et le contenu des œuvres cinématographiques ».

C’est pourquoi l’annulation des 32èmes Rencontres ne doit pas nous empêcher de parler de la programmation du Ciné Latino en compagnie d’Isabelle Buron, une programmation qui, c’est souhaitable, sera reportée à une date ultérieure. Il est en effet important d’évoquer le cinéma d’auteur.es et le cinéma de résistance, « face à la concurrence des plateformes aux puissants moyens, telles que Netflix, Fox rachetée par Disney, Apple et Warner et d’autres à venir, les aides publiques telles qu’elles existent en France, quelles que soient leurs formes, sont décisives pour défendre le cinéma d’auteur et la diffusion de ces œuvres en salle. Ces quinze dernières années, de nombreux pays latino-américains se sont dotés de lois d’aide au cinéma, à sa production et sa diffusion, qui ont permis l’émergence d’œuvres d’une nouvelle génération de cinéastes formés dans des écoles elles aussi nouvelles dans les pays du sud du continent. »
La programmation des 32èmes Rencontres de Toulouse s’en faisait l’écho, et s’en fera l’écho si, comme nous le souhaitons, elles sont reportées.

La Llorona de Jayro Bustamante (22 janvier 2019)
Cette chanson, La Llorona, c’est un rappel du film de Jayro Bustamante, récemment sorti sur les écrans, c’est également pour souligner le lien avec un autre film, Nuestras Madres de Cesar Diaz (8 avril 2020) ayant pour fond la même période historique et le rappel des massacres perpétrés par la dictature militaire du début des années 1980 au Guatemala. Cette chanson, à l’origine mexicaine, est chantée partout en Amérique latine. Elle est un mythe, dont les paroles ont été complètement modifiées dans l’interprétation de Gaby Moreno pour le film de Bustamante.

Monos
Film de Alejandro Landes (4 mars 2020)

Dans un camp isolé au sommet des montagnes colombiennes, un groupe de huit adolescent.es armé.es gardent une otage états-unienne. Le messager leur apporte les ordres du commandement, les entraîne et leur confie une vache prêtée par les paysans du coin. Ils jouent, se mesurent entre eux, s’aiment… Mais lors d’une fête arrosée, l’un des garçons tue accidentellement la vache et le responsable du groupe se suicide. C’est alors que l’armée régulière se rapproche et le groupe doit fuir dans la jungle...

Monos est certainement l’un des films les plus puissants sur la situation de guérilla. Il donne au début l’impression d’un documentaire, tant la réalité est montrée dans ses moindres détails, les jeux d’adolescent.es qui s’ennuient, l’immaturité, l’allégeance aux ordres, le sentiment de pouvoir donné par les armes, le rapport à l’otage… Monos d’Alejandro Landes est une fable sur la nature de la violence, sur son émergence, sa banalité… Une réflexion profonde et un film absolument magnifique et puissant.

La danse du serpent
Film de Sofia Quiros Ubeda (4 mars 2020)

Selva a 13 ans et vit au bord de la mer, dans les Caraïbes, près de son grand-père qui désire mourir. « C’est quoi la mort pour toi ? lui demande-t-elle.
— C’est dormir pour toujours. »
Une vieille amie de celui-ci, Elena, représente une figure maternelle complice pour l’adolescente, qui enterre avec une forme de rite les serpents morts. Et à chaque ensevelissement apparaît une femme — un esprit de la forêt ou la représentation de sa mère ? —, qui semble un passage initiatique, un pas vers l’âge adulte. La mort est-elle d’ailleurs un passage ? Après la disparition soudaine d’Elena, Selva reste seule à prendre soin de son grand-père, qui cesse de manger.

La Danse du serpent — suite du court métrage, Selva ---- permet à la réalisatrice « d’approfondir le personnage principal » et son univers propre onirique, entre réalisme et magie, ombres animales mystérieuses, apparitions et jeux étranges. Selva accompagne son grand-père pour son ultime voyage un décor à la fois luxuriant et sombre. Le titre du film a d’abord été Cendre noire, de la couleur de la terre. La caractéristique du film est certainement l’imagination dans le récit riche en ellipses et en symboles de Selva.

Trois étés
Film de Sandra Kogut (11 Mars 2020)

Chaque année, Mada organise une grande fête de Noël pour ses patrons dans leur luxueuse résidence de Rio. Mada est la gouvernante, et la responsable des autres employé.es de la maison. En 2015, l’enquête de justice contre la corruption se poursuit et ses employeurs, pris dans la tourmente, disparaissent soudainement laissant Mada gérer la villa, le grand-père, ancien professeur, et les questions de la brigade financière. Trois étés durant lesquels tout va basculer.

La richesse de ses patrons est réduite à néant par des scandales financiers, mais Mada ne désespère pas de tirer profit du lieu en organisant un vide-grenier, en le louant à des touristes, ou encore pour un tournage de film publicitaire auquel elle participe. Trois étés est en fait le portrait sans concession d’un monde ultra libéral en déliquescence ou la corruption est la règle du jeu. Un portrait grinçant de la société brésilienne.

Femmes d’Argentine (Que sea ley)
Film documentaire de Juan Solanas (11 mars 2020)

En Argentine, où l’interruption volontaire de grossesse est interdite, une femme meurt chaque semaine des suites d’un avortement clandestin. Ce drame touche en majorité des femmes pauvres et jeunes. Le 14 juin 2018, sous la pression des grandes manifestations de femmes dans la rue, les députés argentins disent « oui » à la légalisation de l’IVG.
Mais le 9 août, par 38 voix contre 31, le Sénat rejette le projet de loi. Pendant huit semaines, le projet est âprement discuté, au Sénat et notamment dans la rue, où se rassemblent des milliers de militants prochoice pour défendre ce qu’ils appellent un droit fondamental, le droit du fœtus.

Femmes d’Argentine (Que Sea Ley) de Juan Solanas filme au cœur de la lutte, des femmes qui témoignent de l’horreur de l’avortement clandestin, du traitement de celles-ci dans les hôpitaux par le personnel soignant, de l’abandon de certaines se vidant de leur sang sur des brancards… Femmes d’Argentine (Que Sea Ley) donne la parole aux femmes et aux hommes arborant le foulard vert de la Campagne pour l’avortement libre. Il dresse un portrait des féministes argentines et montre l’espoir que leur extraordinaire mobilisation a fait naître dans ce pays comme dans le monde.

Femmes d’Argentine (Que sea ley) de Juan Solanas est un film engagé, qui montre la détermination des jeunes féministes à continuer la mobilisation et la lutte malgré le carcan du patriarcat et de la religion. Un film à ne pas manquer.

Cancion sin nombre
Film de Melina Leon (18 mars 2020)

Pérou 1988. La crise économique et les attentats du Sentier Lumineux ravagent le pays. Georgina, amérindienne de 20 ans, entend à la radio une pub sur la maternité San Benito. Enceinte de Leo, elle y accouche. Son bébé lui est enlevé pendant qu’elle se repose. Les institutions refusent de prendre sa plainte d’autant qu’elle est indienne. Et d’ailleurs la maternité disparaît. La jeune femme veut récupérer son enfant et, dans son combat, elle est aidé par un journaliste, Pedro, qui décide d’enquêter sur la radio qui a émis la publicité. Il remonte la piste peu à peu la piste d’un trafic d’enfants. Le réseau est démantelé.
Cancion sin nombre est un drame politique et social bouleversant qui s’inspire de la guerre civile opposant le gouvernement, les communistes du Sentier Lumineux et le Mouvement Révolutionnaire Tupac Amaru durant les années 1980.

Comme l’écrit Gilles Tourman « Il est vrai que la réalisatrice sait de quoi elle parle, son père ayant été un des journalistes qui contribua à lancer le journal progressiste La Republica (1981), spécialisé dans la dénonciation des diverses dérives. Son empathie pour les Amérindiens, pris en étau entre les forces en présence, victimes du racisme ethnique, de la dépravation du pouvoir et, ici, des trafics d’enfants, n’est pas sans rappeler le combat du réalisateur guatémaltèque Jayro Bustamante. S’y ajoute une volonté de présenter de façon quasi documentaire la culture des autochtones à travers ses fêtes et ses croyances. D’un message grave sans être larmoyant, ne sombrant jamais dans le pathos, son évident manque de moyens en fait la richesse, et la beauté des images en noir et blanc 4 :3 est parfois sidérante. Les séquences dans la montagne atteignent même un onirisme voisinant le sublime La nuit du chasseur de Charles Laughton (1955). Enfin, les cadrages opposant les lignes verticales, horizontales et circulaires de la ville à celles obliques ou disloquées du reste du pays sont magnifiques d’intelligence visuelle. »

Au Cœur du monde
Film de Gabriel Martins et Maurilio Martins (18 décembre 2019)

Entre Rio et Brasilia, Contagem, qui jouxte Belo Horizonte, est une ville importante qui regroupe en grande partie une population pauvre et noire. « Belo Horizonte, c’est le Texas », dit une des chansons du film. En pleine fête d’anniversaire, un jeune homme est abattu. Une vengeance ? On ne sait pas, mais le meurtre aura des conséquences sur les vies de Selma, Ana, Marcos, Beto et Miro, qui veulent partir de la ville pour certains et certaines, améliorer leurs conditions de vie dans ce quartier « au cœur du monde », enfin gagner leur indépendance. Et parfois, cela passe par braquer de riches demeures hautement sécurisées. Parce qu’à Contagem comme dans toutes ces villes, il y a les très pauvres, les pauvres et les très riches qui s’entourent de vigiles et de murs.

Sur fond de musiques, les visages défilent, aucun exotisme là, juste le constat d’une population laissée pour compte. Les deux réalisateurs viennent de cet endroit et filment avec réalisme et empathie ce qu’ils connaissent, ce qu’ils vivent, ils montrent ainsi une réalité de l’intérieur. Gabriel et Maurilio Martins font un cinéma périphérique, un cinéma qu’on a pas l’habitude de voir, sans artifices ni exotisme.

Luciérnagas
Film de Bani Khoshnoudi (22 janvier 2019)

Ramin, jeune homme gay persécuté en Iran, embarque clandestinement sur un cargo quittant la Turquie, en espérant rejoindre l’Europe, mais le hasard fait qu’il se retrouve à Veracruz, au Mexique. Là, pour survivre, il fait des petits boulots, saisonnier agricole, journalier dans le bâtiment, comme tous les migrants de passage, en errance dans une ville aux bâtiments abandonnés. Sans parler la langue, Ramin se sent déraciné et cherche à retourner en Turquie. Son ami lui manque, mais en même temps la découverte d’une autre société et l’anonymat le fascinent. C’est au cours de l’un de ces emplois précaires qu’il rencontre Guillermo, un ancien membre de gang au Salvador, ayant fui son pays pour échapper au passé, et rêvant de partir au Nord. Tous deux se lient d’amitié, mais Ramin n’avoue pas son attirance pour les hommes.

De l’histoire personnelle de Ramin, la réalisatrice donne à voir ce qu’est l’immigration aujourd’hui. Les migrations n’ont jamais cessé depuis toujours, elles évoquent le déracinement, la nostalgie, l’exil, mais aussi le vertige de la découverte et parfois la perte de soi-même ou un nouveau départ…

Perro Bomba
Film de Juan Caceres (25 mars 2020)

Jeune immigré haïtien vivant à Santiago du Chili, Steevens mène une existence plutôt tranquille, mais sans perspectives d’avenir, entre son travail dans une briqueterie, quelques sorties et la danse. L’arrivée d’un ami d’enfance, qui ne parle pas la langue, le détourne de ses habitudes. Il lui trouve un travail en le recommandant à son patron, mais la suite se gâte, car après une altercation avec son patron, Steevens perd son boulot. L’affaire est amplifiée, il est rejeté par sa communauté le tenant pour responsable de la discrimination, et même accusé d’avoir commis des violences. C’est pour Steevens le début d’une série d’événements marqués par la haine et la xénophobie de la société chilienne.

L’idée du film est de toucher, d’amuser et de bousculer, c’est-à-dire « présenter un discours périphérique qui puisse apporter une nouvelle perspective autour du sujet des migrants et de leur place sur la scène géopolitique. » Autrement dit, il faut éviter d’utiliser les codes conventionnels de la fiction qui isolent les réalisateur.es de la réalité. « Nous avons surtout été motivés [explique Juan Caceres] par la possibilité de travailler de manière horizontale et participative. Le sujet de la migration massive que nous abordons tout au long du film est un thème de grande importance qui concerne toutes les sociétés contemporaines. »
Ambitieux dans sa démarche démonstrative, Perro Bomba pose une question ouverte : « Que va-t-on faire de Steevens, ce jeune migrant haïtien qui arrive dans ce pays avec des rêves plein la tête mais qui, en raison de sa naïveté et du racisme ambiant, finira cerné de désillusions et obligé de se réfugier dans la marginalité ? De manière plus générale, c’est une interrogation que l’on adresse au monde en général. Que faire de cette vaste population qui se déplace de pays en pays, dans l’espoir d’échapper à la pauvreté et à la violence, mais qui doit affronter le rejet d’une grande majorité des sociétés occidentales ? » Pour ce qui est du débat, le film atteint son objectif et la fin ouverte souligne encore l’urgence d’une réponse solidaire aux vagues migratoires.

En attendant le carnaval
Film documentaire de Marcelo Gomes 1er avril 2020)

Situé dans la région du Nord Este du Brésil, le petit village de Toritama est connu pour être la capitale de la confection des jeans. Véritable microcosme du capitalisme, il se vend là, chaque année, plus de 20 millions de paires de jeans produites dans des hangars improvisés en ateliers de fortune, dans la rue, partout. Les hommes et les femmes travaillent sans arrêt, revendiquant le fait d’être maîtres de leur temps… En apparence bien sûr vu la cadence du boulot.
Mais lorsqu’arrive le temps du Carnaval, seul loisir de l’année, la logique de l’accumulation des biens s’enraye, tout le monde vend ses affaires, même son outil de travail — les machines à coudre — et se rue vers les plages…
Une semaine d’illusion de bonheur avant de retourner à un travail aliénant, confectionner des jeans, classiques, délavés, déchirés selon la mode et les commandes… Jusqu’au prochain carnaval.

Maternal
Film de Maura Delpero (1er avril 2020)

Luciana et Fatima sont deux jeunes mères de 17 ans vivant dans un foyer religieux de Buenos Aires. Luciana est fantasque, une rebelle sans cause, immature et imprévue, tandis que Fatima, enceinte d’un second bébé, suit les règles du foyer. Fatima a vécu un viol au sein de sa famille, son secret est lourd et elle refuse d’en parler. Arrivant d’Italie, Paola est une nouvelle sœur en attente de prononcer ses vœux perpétuels. Au contact des jeunes femmes mineures du foyer et de leurs enfants, elle ressent un trouble qu’elle ignorait jusqu’à présent, notamment celui de l’attachement envers la fille de Luciana, Nina.

Lorsque Luciana fugue du foyer, la petite Nina se tourne vers Paola pour trouver l’affection qui lui manque. Fatima accouche d’une petite fille. Luciana revient au foyer, tabassée par son petit ami, mais les sœurs n’acceptent plus ses fugues et lui cherchent un nouveau foyer ; elles la menacent de parler de son cas au juge pour enfants. Maternal met en scène trois femmes, dont deux sont mères depuis leur petite adolescence, trois rapports à la maternité, trois choix qui impliquent la séparation.

Nuestras Madres
Film de César Diaz (8 avril 2020)

Guatemala, 2018. Le pays vit au rythme du procès des militaires à l’origine de la guerre civile et responsables de crimes contre l’humanité. Les témoignages des victimes s’enchaînent alors qu’Ernesto, jeune anthropologue à la Fondation médico-légale, travaille à l’identification des disparus. Un jour, à travers le récit d’une vieille femme, il croit déceler une piste qui lui permette de retrouver la trace de son père, guérillero disparu pendant la guerre. Contre l’avis de sa mère, il se plonge à corps perdu dans le dossier, à la recherche de la vérité.
Le film a obtenu la caméra d’or à Cannes.
Prélude au générique : reconstitution d’un squelette. Au fur et à mesure que les os des doigts sont mis en place, l’impression est forte de pénétrer l’intimité d’un être humain. Le crâne porte la trace d’une balle traversant la tête de part en part qui laisse imaginer le mode d’exécution sommaire.

Ernesto rentre chez lui et suit le procès des génocidaires. Le procès parle de guerre contre la population civile vue comme des ennemis par les militaires , donc à abattre. Le jeune homme rapporte à un collègue les propos d’une femme que les militaires avait obligé à danser sur un charnier où étaient enterrées les victimes de tout un village. La litanie des viols systématiques des femmes par les militaires, les tortures, les assassinats de femmes, hommes, enfants, de bébés…

C’est alors qu’Ernesto recueille le témoignage d’une femme violée par trois militaires, dont le mari a été tué et jeté dans un charnier. Elle désire récupérer le corps pour l’ensevelir. Sur une photo qu’elle lui présente, il croit reconnaître son père dans l’un des guérilleros qui entourent le paysan. Or, pour exhumer les corps d’une fosse commune sur un terrain privé, la procédure d’autorisation de recherche est compliqué. Déterminé à connaître la vérité, Ernesto questionne sa mère qui lui répond : « Tu me demandes des choses que je ne dirais même pas sous la torture ».

Au village, les femmes veulent témoigner, gros plan silencieux sur chacune d’elles. Ernesto a cette réflexion « ce pays de merde me pèse ! » De retour chez lui, une amie de sa mère, qui a décidé d témoigner des sévices qu’elle a subi, lui confie, « je vais mourir de peur d’être à nouveau face à eux. » Il fouille le passé et sa mère refuse d’en parler.
Le récit de la recherche de la vérité sur les massacres de la dictature par la nouvelle génération est basé sur un scénario simple : « Le défi était de ne pas esthétiser les morts, ni le sujet [souligne César Diaz], mais de faire un film proche du réel, proche des couleurs qu’on voyait, proche du document historique ».

Ema
Film de Pablo Larrain (15 avril 2020)

Ema, jeune danseuse mariée à un chorégraphe de renom, est hantée par les conséquences douloureuses d’une « adoption ratée », qui signifie abandonner l’enfant, lui rendre son statut d’orphelin du point de vue bureaucratique. Si l’idée d’adopter est généreuse, il semble qu’elle soit souvent idéalisée, déjà du fait de l’ignorance des traumatismes subis par l’enfant.

Ema décide alors de transformer sa vie, de quitter son compagnon sans pouvoir toutefois effacer cet épisode de sa vie, de danser autre chose, de ne plus être dirigée. Les autres membres du groupe veulent aussi s’émanciper et disent Gaston, interprété par Gaël Garcia Bernal : « Ton plateau ne peut pas représenter notre état d’esprit. Nous le ferons dans la rue, pas sur ta scène, car c’est là que les choses se passent, et tu sais quoi ? On va aussi brûler cette putain de rue, parce qu’on veut laisser une trace. C’est ce que nous sommes. Nous laissons des traces, c’est notre héritage, c’est notre témoignage. » C’est éphémère, un happening nouvelle version, créer pour disparaître.

Le film repose pour beaucoup sur l’interprétation déroutante des comédien.nes, notamment sur le jeu de Ema/Mariana Di Girolamo et les situations imprévisibles, mais c’est également une réflexion sur l’idée de famille, une remise en question des codes familiaux dans une société en éclatement.

Mano de obra (Main d’œuvre)
Film de David Zonana (15 avril 2020)

Un groupe d’ouvriers travaillent à la construction d’une villa luxueuse à Mexico, l’un d’eux tombe de la terrasse et décède. Son frère Francisco, ouvrier sur le même chantier, est effondré d’autant que sa belle-sœur est enceinte. En place des indemnités accordées en cas d’accident du travail, sont transmis à la jeune femme les résultats d’une soit disant « enquête » tendant à prouver que son compagnon était ivre au moment de l’accident et que, du coup, cela exonérait la responsabilité de son employeur et annulait toute compensation due à sa veuve. Francisco demande des explications au contremaître, arguant que son frère ne buvait pas, mais se heurte au mutisme de celui-ci qui se borne à répéter la version officielle. Francisco s’adresse alors au propriétaire lors de l’une des visites du chantier, ce dernier se retranchant derrière « ses employés » et son ignorance des faits. Il lui assure toutefois d’intervenir et de faire pression pour régler le problème. Entre temps, la jeune femme meurt.

Après ce second drame, ulcéré par le cynisme de l’employeur, Francisco décide de prendre les choses en mains et le suit pour connaître ses habitudes. Ellipse, mais on peut imaginer la suite, car peu de temps après, le chantier en cours est stoppé suite au « suicide » du propriétaire. Francisco s’installe dans la villa en construction, vend une partie des meubles livrés, et propose aux autres ouvriers de s’y installer avec leurs familles. On ne pourrait rêver de meilleure réappropriation pour régler les inégalités sociales, d’autant qu’un avocat explique qu’il est possible d’acquérir la villa, aucun héritier ne revendiquant la propriété, et que la loi les protège de l’expulsion. C’est la possibilité pour le groupe d’accéder au rêve, vu les conditions dans lesquelles ils et elles vivent, un bidonville plus ou moins insalubre.

Le film de David Zonana fait le constat d’une injustice sociale flagrante et de rapports sociaux complètement biaisés. Francisco comprend très vite que la seule façon d’obtenir justice est d’agir hors la loi. Par ailleurs s’ajoute une question fondamentale : « comment résister au système sans tomber dans ses pires travers » ? L’analyse d’un microcosme de société est passionnante. En effet, les exploité.es ne reproduisent-ils/elles pas les travers des nantis dans le contexte de changement d’environnement et de classe ?

Un Fils
Film de Mehdi M. Barsaoui (11 mars 2020)

Meriem, Fares et Aziz, leur fils de 9 ans, forment un couple modèle dans cette année 2011, qui est une année charnière pour la Tunisie, tant au plan politique que social. Meriem est une jeune femme ayant sans doute fait ses études en France où elle rencontré son compagnon. Tous deux ont choisi de travailler en Tunisie et font partie de la classe urbaine et privilégiée.

Alors qu’ils font un voyage dans le sud tunisien, leur voiture est prise dans une embuscade et leur fils est grièvement blessé par le tir de terroristes. « Ce qui m’intéressait [explique Mehdi Barsaoui], c’étaient les répercussions que la vie politique pouvait avoir sur une famille d’allure classique. Et c’est la raison pour laquelle cette histoire se déroule quelques mois après la chute de Ben Ali, et quelques semaines avant celle de Khadafi, exécuté en octobre. De grands changements ont eu lieu dans cette partie du monde et je voulais que mes personnages évoluent à cette période précise. »

Cependant, le contexte politique « ne prend jamais le pas sur la sphère personnelle et intime du film. » En effet, le couple, privé des filtres protecteurs habituels, se trouve alors brusquement confronté à des réalités qui vont bouleverser des principes prétendument inamovibles et les bases mêmes des relations familiales. Aziz est entre la vie et la mort et sa survie dépend d’un don d’organe, qui soit compatible avec l’organisme de l’enfant. Or, les analyses révèlent l’impossibilité de ce don par les parents, mais également que Fares n’est pas le père géniteur de l’enfant. Le film pose alors la question sur les fondements de la paternité, et de la maternité aussi d’ailleurs, autrement dit sur «  qu’est-ce que la famille » ?

Un Fils a été présenté au festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier en octobre dernier. L’entretien avec Mehdi Barsaoui et Sami Bouajila, qui incarne Fares, s’est déroulé à cette occasion, Un entretien choral avec notamment Annie Gava, journaliste au magazine Zibeline.

Les Visages de la victoire
Film documentaire et très personnel de Lyèce Boukhitine (11 mars 2020)

Ce sont des portraits de femmes immigrées arrivées en France dans les années 1950-1960, Chérifa, Aziza, Jimiaa et Mimouna témoignent, toutes, des difficultés qu’elles ont éprouver pour s’adapter à une vie imposée. Adolescentes issues du Maghreb, elles n’avaient alors d’autres choix que de vivre dans la dépendance d’un époux et avoir beaucoup d’enfants.

« J’ai rencontré et suivi ces femmes dans leur quotidien, et fait de la question de leur mariage mon fil conducteur [explique le réalisateur]. Ce qui me paraît tout aussi important que de transmettre la parole de ces femmes fortes et courageuses, est de montrer l’universalité de la ténacité féminine et maternelle. Cette force, elles ont su la transmettre aux générations de femmes actuelles. J’admire ces femmes, et pas seulement les épouses des immigrés maghrébins, bien sûr. Ces femmes qui ont su, à force de courage et d’amour, changer le monde à leur niveau, en rendant quelques-uns de leurs fils conscients de l’injustice faite aux femmes. »

Ces femmes se sont malgré tout construites dans un environnement étranger et parfois hostile, et elles ont tenu le coup… Le film est une ode à l’émancipation.

Trois chefs-d’œuvre et copies restaurées à voir ou à revoir :
Le Jardin des Finzi-Contini de Vittorio de De Sica (1970)

À Ferrare, dans le grand jardin de la riche famille juive des Finzi-Contini, Micol et son frère Alberto vivent quelque peu reclus et invitent leurs amis juifs à venir jouer au tennis. Nous sommes en 1938 et le régime de Mussolini instaure les premières lois raciales qui provoquent, pour certains, la crainte du modèle nazi, et, pour les autres, le déni d’une ségrégation par l’État fasciste.
Le Jardin des Finzi-Contini est certainement l’un des plus grands films italiens, avec le Conformiste de Bernardo Bertolucci, sur la période fasciste et ses pratiques.

Blue Velvet de David Lynch (1987)

D’étranges événements semblent troubler la ville de Lumberton, en Caroline du Nord malgré le vernis de conformisme qui la caractérise. Derrière les rideaux des maisons, malgré les pelouses impeccables et le passage d’un camion de pompiers souriants rappelant le mythe de la petite maison dans la prairie, le mystère rôde après la découverte dans un champ d’une oreille humaine coupée.
Jeffrey Beaumont décide d’enquêter sur cette découverte pour le moins morbide et se trouve mêlé aux histoires sombres et glauques d’une chanteuse de boîte de nuit, elle-même liée à un gangster sadique incarné par un Dennis Hopper stupéfiant… Et cette copie restaurée offre 50 minutes de scènes coupées et inédites en HD.

Les Lèvres rouges
Film de Harry Kümel

Un jeune couple séjourne dans un hôtel de luxe et désert d’Ostende alors que des crimes de jeunes femmes vidées de leur sang semblent l’œuvre d’un tueur venu d’un autre âge. Les Lèvres rouges ou quand le mythe de la Comtesse sanglante est incarné par une Delphine Seyrig fascinante et troublante.