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Samedi 13 juin 2020
K. comme Kolonie. Kafka et la décolonisation de l’imaginaire de Marie José Mondzain (La fabrique)
Article mis en ligne le 14 juin 2020

par CP

K. comme Kolonie
Kafka et la décolonisation de l’imaginaire

Marie José Mondzain (La fabrique)

En compagnie de Marie José Mondzain

« Sensible depuis toujours à la question coloniale, j’ai longtemps porté toute mon attention à l’histoire des images et au destin du regard jusqu’au moment où la question coloniale est devenue le prolongement logique et inévitable de ma réflexion sur les images. Si les opérations imageantes peuvent être douées d’une énergie constituante, alors il faut bien reconnaître à la fiction sa puissance politique et sa vitalité utopique. La montée croissante du racisme, de toutes les formes de l’exclusion, la violence de l’inhospitalité contre tout étranger ou toute étrangeté sont autant de comportements et de mesures qui ne peuvent que susciter non seulement le dégoût mais la colère et le désir d’en finir avec des haines séculaires et leur renouveau pervers.

Toutefois ce paysage politique déborde désormais largement les affects d’une xénophobie circonstancielle due à l’émigration économique et climatique de ceux qui, la plupart du temps, viennent des territoires ayant été colonisés. C’est la société occidentale dans sa totalité qui s’est imprégnée elle-même des poisons qu’elle a longuement répandus dans les territoires confisqués et exploités. Au souci de la pureté des races se joint chaque jour davantage celui de la pureté des mœurs. Le raciste est xénophobe et puritain. Les politiques de la haine s’acoquinent avec l’accroissement quotidien des gestes de censure et construisent des murs réels autant que symboliques. Les fantasmes de pureté alimentent une moralisation aussi grotesque qu’accablante du regard porté sur les œuvres et sur la pensée. L’imaginaire collectif est imprégné des dogmes et des modèles qui ont depuis des siècles construit la suprématie impérialiste des conquérants. La décolonisation de l’imaginaire concerne non seulement les populations qui furent colonisées, mais de façon plus impérative encore les peuples colonisateurs. Dans cette perspective, comment donner un sens actif au terme « décolonisation » si ce n’est en le proposant comme un horizon tout en cherchant ses conditions de possibilité ?

À présent, depuis ces terres dont on continue de se disputer les ressources, arrivent, exsangues, des milliers d’hommes et de femmes sur lesquels on ose exercer sur terre et sur mer un droit de vie et de mort. Le colonialisme est devenu la figure mondialement imposée, sous la forme insidieuse d’une pseudo-culture de l’universalité où les indus- tries de la communication combinent habilement terreurs et jouissances. Dans les flux continus de la consommation et du déchet, c’est le colonialisme qui est recyclable et recyclé.

On entend beaucoup parler de post-colonialisme, comme si le colonialisme se rapportait à une époque antérieure et même révolue après la chute des empires coloniaux. Le modèle colonial n’a pourtant rien perdu de sa puissance, ne serait-ce que parce qu’il est inhérent à l’impérialisme capitaliste. Comme le remarque Souleymane Bachir Diagne, le préfixe « post » ne saurait avoir un sens chronologique, mais même à ce titre il reste toujours à en préciser l’usage afin de ne pas substantialiser le fait colonial. Il n’y a pas de post-colonialisme, sauf à reconnaître que c’est le terme qui désigne la généralisation planétaire de ce qui a été pratiqué depuis des siècles sur des territoires plus ou moins lointains. Le colonialisme est désormais à penser au présent avec l’aide de celles et de ceux qui furent historiquement colonisés. La décolonisation déborde le cadre des anciens empires pour devenir le problème mondial des atteintes portées à la dignité et à la liberté de tous les sujets sans exception. »

Il Medico della mutua - Luigi Zampa (1968)
(Sortie DVD du film le 16 juin. Film inédit en France)

Un jeune diplômé en médecine cherche à ouvrir un cabinet médical à Rome dans un quartier populaire. Mais pas de clientèle. Il découvre alors qu’en étant conventionné, avec les soins gratuits, il peut en gagner de l’argent.