Chroniques rebelles
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Samedi 4 juillet 2020
Hirak en Algérie. L’invention d’un soulèvement. Sous la direction d’Omar Benderra, François Gèze, Rafik Lebdjaoui et Salima Mellah.
Article mis en ligne le 7 juillet 2020
dernière modification le 27 juin 2020

par CP

Hirak en Algérie
L’invention d’un soulèvement
Sous la direction d’Omar Benderra, François Gèze, Rafik Lebdjaoui et Salima Mellah (la fabrique)

Nous avons choisi de rediffuser cet entretien avec José Garçon, réalisé avant le confinement, car si les manifestations du Hirak en Algérie ont été stoppées par la crise sanitaire, la situation sociale et politique n’a guère évoluée, sinon en pire, dans le sens du changement revendiqué par la population algérienne.
Les textes publiés dans Hirak en Algérie. L’invention d’un soulèvement sont essentiels pour comprendre un mouvement qui, nous l’espérons, n’est pas terminé après la prise conscience générale, et particulièrement impressionnante chez les jeunes…

Depuis un an, la population algérienne manifeste en masse chaque vendredi et dans tout le pays pour réclamer un changement profond du système politique et le départ d’un régime en place depuis l’indépendance. Les slogans scandés, les chants, les banderoles sont on ne peut plus explicites : « Le peuple veut l’indépendance ! » « Qu’ils dégagent tous ! », « Les généraux à la poubelle ! » et témoignent d’une prise de conscience générale, toutes générations confondues. La population n’est plus dupe, la désinformation d’État, érigée « en arme de combat, particulièrement pendant la sale guerre des années 1990 » ne fonctionne plus, ni la répression ni la peur n’entravent le mouvement, le hirak, et son ampleur.

L’ouvrage, Hirak en Algérie. L’invention d’un soulèvement, met en lumière les raisons de l’émergence du hirak en revenant sur l’histoire algérienne, depuis son indépendance, en 1962, et la confiscation de celle-ci au profit d’un pouvoir militaire, qui se dissimule derrière les apparences d’un gouvernement civil. L’apport des textes présentés dans ce livre, leur complémentarité, génèrent une réflexion profonde sur l’histoire officielle algérienne, sa réécriture et la propagande d’un pouvoir militaire, qui ne dit pas son nom.

Les manifestations pacifiques et spectaculaires du vendredi, et du mardi pour les étudiant.es, défient non seulement un pouvoir déliquescent, mais reviennent aussi sur une histoire escamotée, celle des luttes pour l’indépendance, et le récit officiel, complexe et flou, sur les « années de sang ». De la même manière, le hirak, remet en mémoire l’imposture de la « réconciliation nationale », présentée depuis 1999 comme l’œuvre de Bouteflika, qui s’avère être une « vaste opération d’amnistie et la tentative d’imposer l’amnésie à l’ensemble de la population. » Ce qui n’a d’ailleurs pas empêché la permanence d’un « terrorisme résiduel », histoire de consolider le pouvoir militaire et d’entonner l’antienne de l’« ultime rempart contre l’intégrisme islamiste ».

Un régime opaque et corrompu, habité d’un profond mépris du peuple, comme le qualifie José Garçon dans le titre de sa contribution. Opaque certes, et paranoïaque : « la nécessité impérieuse du secret, forgée pendant la guerre clandestine contre l’occupant français, était devenue l’essence même de l’exercice du pouvoir. Comme si gérer un pays était équivalent à mener une guerre. Sauf qu’à la place du colon français et de son armée, il n’y a qu’une masse : le peuple algérien. » Il s’agissait donc d’entretenir le mythe d’une société aux apparences « démocratiques » afin de détruire toutes les tentatives d’organisation indépendante, politiques, syndicales ou culturelles. D’où l’importance pour le régime de « mêler le vrai et le faux pour rendre crédible l’incroyable et mettre en avant des motivations nobles pour masquer des buts souvent inavouables. »

L’ouvrage, Hirak en Algérie. L’invention d’un soulèvement, en réunissant les contributions d’Algériens et d’Algériennes, vivant le hirak sur place, et celles de spécialistes, en Algérie et en France, qui observent l’actualité du pays depuis des décennies, Hirak en Algérie témoigne de l’extraordinaire soulèvement pacifique d’une population et de sa détermination, ainsi que de sa lucidité sur la nature d’un régime militaire corrompu. Pour comprendre les origines profondes du soulèvement, les auteur.es rendent compte de ses multiples facettes, de l’inventivité et de l’humour des manifestant.es. La place des femmes est essentielle, comme celle des jeunes, qui revendiquent une indépendance dont ils et elles ont été exclu.es depuis 1962. Les textes remontent l’histoire, les différentes étapes de soixante ans de « démocrature », analysent les récentes évolutions d’un régime pour sauver ses privilèges, les tentatives de diviser le mouvement, la répression exercée par les forces de sécurité, le rôle de la presse et des réseaux sociaux. Enfin le livre s’intéresse aux effets du hirak au sein même du pouvoir — avec les règlements de comptes à la tête de l’armée et de la police politique, une opération mains propres quelque peu tardive —, ainsi que sur les réactions au niveau international vis-à-vis du mouvement contestataire. De nombreuses questions sont restées sans réponse, évacuées, et ce livre tente également d’y répondre.

Cette large réflexion sur le hirak fait penser à Franz Fanon, qui expulsé d’Algérie durant la guerre d’indépendance, dénonce les conséquences de la colonisation dans une lettre ouverte au gouverneur général : « l’inégalité, le meurtre multi-quotidien de [l’être humain] étaient érigés en principes législatifs […]. Les événements d’Algérie sont la conséquence logique d’une tentative avortée de décérébraliser un peuple ». Aujourd’hui, les manifestant.es du hirak disent : « Vous n’êtes pas le premier colonisateur, vous partirez comme eux ». En 1962, au moment de l’indépendance, la moitié de la population algérienne est démunie, écrit Elaine Mokhtefi dans son livre, Alger, capitale de la révolution, « Le sous-développement résultait d’un colonialisme fondé, comme ailleurs, sur le racisme et l’inégalité, dont les objectifs étaient la mainmise sur les ressources du pays et la destruction de sa culture ». Elaine a participé aux premières années de l’Algérie indépendante en tant que journaliste et interprète alors qu’Alger devient le « carrefour pour tous les mouvements de libération et antifascistes des années soixante. »
Depuis le 22 février 2019, il y a un an, les Algériennes et les Algériens manifestent leur rejet d’un système inique et corrompu, et revendiquent une réappropriation de leur histoire, le hirak est certainement un soulèvement exemplaire qui remet en question le roman national en clamant : « le Peuple veut l’indépendance ! »

Comme le souligne Omar Benderra dans son article à propos du hirak sur la scène internationale « Le hirak a replacé l’Algérie sous le feu des projecteurs médiatiques. La place et le rôle du pays sur l’échiquier politico-diplomatique sont cependant assez peu évoqués, l’intérêt de la presse internationale se concentrant surtout sur le caractère massif et pacifique d’une mobilisation populaire aux formes inédites. Ce mouvement, par son originalité et son ampleur, contredit directement un certain nombre de représentations et d’idées reçues sur la société algérienne, perçue communément comme une société repliée sur ses conservatismes. »
Le devenir du mouvement ? Hirak en Algérie publié à la fabrique donne, grâce à la diversité des analyses proposées, des clés de compréhension de la situation.
À suivre…

Park de Sofia Exarchou (8 juillet)
avec Dimitris Kitsos, Dimitra Vlagopoulou, Thomas Bo Larsen

Rassemblés dans les ruines du village olympique d’Athènes, des adolescents occupent leurs journées avec des jeux tapageurs, dans un chahut permanent. Parmi eux, Anna et Dimitri qui vont bientôt former un couple. Ils explorent les attractions d’une station balnéaire avec une excitation juvénile et une joyeuse curiosité. Mais le temps passe, et le bonheur estival fait bientôt place à l’angoisse de l’automne…

Un premier film coup de poing d’une jeune réalisatrice grecque, Sofia Exarchou. Park est une plongée dans le quotidien de jeunes adolescents livrés à eux-mêmes dans les ruines de l’ancien site olympique athénien, métaphore d’une Europe en crise qui n’a plus rien à offrir à sa jeunesse. Au milieu de la bande, on suit plus particulièrement Anna et Dimitri, elle ancienne athlète éloignée de la compétition par une blessure et lui en quête d’un référent masculin.

Il y a d’abord ce lieu époustouflant, le village olympique d’Athènes, ses stades à l’abandon, ses piscines vides, ses vestiaires désertés. Les JO étaient porteurs de beaucoup d’espoirs pour le pays, ils marqueront le début de son effondrement. De quoi faire méditer les organisateurs des prochains JO parisiens…
Il y a ensuite l’énergie désespérée de cette jeunesse que Sofia Exarchou filme caméra à l’épaule. Les acteurs sont tous non professionnels et ont été sélectionnés à l’issue d’un long travail de casting. Des gueules, des corps qui s’affrontent, se défient, se frôlent. Le film a très peu de dialogues et laisse toute sa place à la chorégraphie, la violence des corps. Les scènes de groupes sont ponctuées de passages beaucoup plus intimistes recentrés sur un ou deux personnages.

Alors que les adultes sont aux abonnés absents, les adolescents vivent avec les chiens, en l’occurrence un pitbull étalon qu’ils accouplent avec d’autres chiens contre rémunération.
C’est l’été, Anna et Dimitri s’échappent du stade pour rejoindre une station balnéaire qui fait la joie des européens venus en vacances. Les plages athéniennes sont loin des images de carte postale, mais semblent leur offrir un peu de répit et de légèreté.
Sofia Exarchou offre un film acide et cru qui fait réfléchir sur l’Europe et ce que le continent offre à sa jeunesse, thème d’une urgence toujours plus actuelle.
Park de Sofia Exarchou au cinéma le 8 juillet.

La Forêt de mon père
Film de Vero Cratzborn (8 juillet 2020)

Gina, 15 ans, grandit dans une famille aimante en lisière de forêt. Elle admire son père Jimmy, imprévisible et fantasque, dont elle est prête à pardonner tous les excès. Jusqu’au jour où la situation devient intenable : Jimmy bascule et le fragile équilibre familial est rompu. Dans l’incompréhension et la révolte, Gina s’allie avec un adolescent de son quartier pour sauver son père.

Les Meilleures intentions
Film de Ana Garcia Blaya (15 juillet 2020)

Début des années 1990. Amanda, l’ainée de 10 ans, son frère et sa sœur vivent alternativement sous le toit de leurs parents séparés à Buenos Aires.
 Le statu quo est bouleversé lorsque leur mère annonce vouloir déménager avec son compagnon au Paraguay en amenant les enfants avec elle. Amanda se sent plus proche de son père « bohème », sa mère étant plus stricte mais plus responsable. Elle devra se battre pour faire entendre sa voix.

Il est à remarquer que dans ces deux films — Les Meilleures intentions et La Forêt de mon père — réalisés par des réalisatrices, et du point de vue d’adolescentes, que les pères tiennent un rôle fantasque, aimant et au niveau des enfants. En revanche, les adolescentes, dans les deux films, ont plus de maturité que les pères qui, pour l’un, n’est jamais sorti de sa propre adolescence, et pour l’autre, demeure dans un monde fantasmagorique. Les deux font la cuisine et s’amusent avec leurs trois enfants respectifs. Et ce sont finalement les adolescentes qui doivent assurer, ont en charge les limites à ne pas dépasser et remplacent l’autorité maternelle.

Alors évidemment, l’on peut se poser la question sur l’émergence d’un machisme en perte de vitesse ?
En écho donc, Les Meilleures intentions d’Ana Garcia Blaya (15 juillet 2020) et La Forêt de mon père Vero Cratzborn (8 juillet 2020).

Un Fils
Film de Mehdi M. Barsaoui (reprise 1er juillet 2020)

Meriem, Fares et Aziz, leur fils de 9 ans, forment un couple modèle dans cette année 2011, qui est une année charnière pour la Tunisie, tant au plan politique que social. Meriem est une jeune femme ayant sans doute fait ses études en France où elle rencontré son compagnon. Tous deux ont choisi de travailler en Tunisie et font partie de la classe urbaine et privilégiée.

Alors qu’ils font un voyage dans le sud tunisien, leur voiture est prise dans une embuscade et leur fils est grièvement blessé par le tir de terroristes. « Ce qui m’intéressait [explique Mehdi Barsaoui], c’étaient les répercussions que la vie politique pouvait avoir sur une famille d’allure classique. Et c’est la raison pour laquelle cette histoire se déroule quelques mois après la chute de Ben Ali, et quelques semaines avant celle de Khadafi, exécuté en octobre. De grands changements ont eu lieu dans cette partie du monde et je voulais que mes personnages évoluent à cette période précise. »

Cependant, le contexte politique « ne prend jamais le pas sur la sphère personnelle et intime du film. » En effet, le couple, privé des filtres protecteurs habituels, se trouve alors brusquement confronté à des réalités qui vont bouleverser des principes prétendument inamovibles et les bases mêmes des relations familiales. Aziz est entre la vie et la mort et sa survie dépend d’un don d’organe, qui soit compatible avec l’organisme de l’enfant. Or, les analyses révèlent l’impossibilité de ce don par les parents, mais également que Fares n’est pas le père géniteur de l’enfant. Le film pose alors la question sur les fondements de la paternité, et de la maternité aussi d’ailleurs, autrement dit sur «  qu’est-ce que la famille » ?