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Samedi 24 avril 2021
Convergence des luttes. Donner la parole aux voix si peu médiatisées. « Moi, auxiliaire de vie » d’Isabelle Vignaud-Manciet. Une guerre mondiale contre les femmes Des chasses aux sorcières au féminicide de Silvia Federici
Article mis en ligne le 24 avril 2021

par CP

Convergence des luttes
Donner la parole aux voix si peu médiatisées

Enseignant.es, comédien.nes, guides, etc.
En compagnie de Silvine, Nicole, Nestor …

« Moi, auxiliaire de vie »
d’Isabelle Vignaud-Manciet lu par Sandrine Charlemagne

Un livre de Silvia Federici (paru à la fabrique)
Une guerre mondiale contre les femmes
Des chasses aux sorcières au féminicide

Rassemblement aujourd’hui à 15 heures place de la Concorde, près de l’ambassade états-unienne
Le Collectif français, Libérons Mumia, animé notamment par Claude Guillaumaud-Pujol, venue à plusieurs reprises dans les chroniques pour nous informer des conditions inhumaines d’incarcération de Mumia Abu Jamal, participe à cette journée internationale de mobilisation qui a lieu également aux Etats-Unis — Philadelphie, New York, San Francisco...—, à Paris, Londres, Mexico, etc.... À cette occasion une requête sera présentée pour la libération de Mumia afin qu’il puisse bénéficier des soins que, ni la prison, ni l’hôpital sous tutelle de l’administration pénitentiaire ne peut lui garantir.
Mumia est gravement malade et ses conditions d’emprisonnement mettent sa vie en danger, d’où l’importance de la mobilisation internationale pour faire pression sur les autorités états-uniennes.
Lui écrire en prison est un geste important et c’est aussi une protection :
Smart Communications PADOC
Mumia Abu-Jamal AM-8335‎
SCI Mahanoy ‎
‎PO Box 33028‎
‎St Petersburg, FL 33733 (USA)

N’oublions pas en cette journée pour les prisonniers politiques : Leonard Peltier incarcéré aux Etats-Unis et Georges Ibrahim Abdallah emprisonné en France, alors que ce dernier est libérable depuis 1999.

Convergences des luttes
En compagnie de Silvine, Nicole, Nestor Potkine

« Moi, auxiliaire de vie »
d’Isabelle Vignaud-Manciet lu par Sandrine Charlemagne

MOI AUXILIAIRE DE VIE

Je suis l’intruse qui arrive chez vous.
Celle qui entre dans votre intimité, celle que vous ne connaissez pas, celle qui doit se faire accepter.
Vous êtes en colère, les intervenants changent sans cesse, vous devez répéter toujours la même chose, la place des affaires, les habitudes que vous avez.
Et moi je suis là, je vous écoute, j’écoute vos angoisses, vos appréhensions, vos craintes et je comprends mais ne dis mot. Je vous laisse décharger votre colère car je sais qu’elle n’est pas contre moi.
Puis je prends la parole, je vous dis, je vous comprends, cela ne doit pas être facile pour vous, j’essaie de vous rassurer, mais je sais que ce ne sont que des paroles pour vous et que seuls mes gestes, ma façon d’être avec vous, mon attention pourra vous convaincre. Il faut du temps, pour s’adapter, se déshabiller devant une inconnue, se faire toucher, se faire aider, accepter de ne plus être capable de faire les gestes habituels seuls, accepter de diminuer, accepter de vieillir tout simplement.
Vous me regardez et me dites comme je suis grande et élégante, une belle femme et là je comprends que je suis l’image que vous regrettez, vous qui avez perdu quelques centimètres, qui avez des rides, des cheveux blancs, qui vous déplacez difficilement.
Un peu contrainte, vous me dites de rentrer, vos déplacements sont lents, je vous sens un peu énervée angoissée.
Vous me dites que vous vous débrouillez seule pour votre toilette, je sais que ce n’est pas vrai, mais je ne peux pas vous forcer. Je continue à discuter avec vous, j’essaie de vous mettre en confiance.
Vous me parlez de vos enfants et petits enfants.
Et Votre visage se radoucit, je vous souris, je vous demande ce que vous faisiez et me répondez professeur de français. La conversation s’installe tranquillement, vous me demandez si j’ai des enfants, vous commencez à vous intéresser à moi et cela me plait.
Mais vous ne comprenez toujours pas pourquoi je suis là et me répétez encore et encore que vous n’avez rien demandé. Je me tais à nouveau et vous écoute attentivement.
Petit à petit, vous exprimez votre angoisse quant à vos pertes de mémoires, vos difficultés dans vos déplacements et votre solitude.
Je vous explique alors, que je suis là pour vous aider à ne plus vous sentir seule.
L’heure passe, angoissante pour vous dans les premières minutes puis petit à petit plus apaisante.
Je vous dis que je dois partir, je dois aller chez une autre personne, mais si vous le désirez je reviens demain.
Vous acceptez.
Vous m’accompagner jusqu’à la porte, Nous nous disons au revoir, je vous tends la main, vous me tendez la votre, je vous souris, vous me souriez. Et je vous laisse, là, dans cet appartement, seule face à vous même, en espérant que votre journée ne sera pas trop pénible, tout en sachant qu’indubitablement, elle le sera, de solitude.
Et pourtant, vous habitez Paris, dans un immeuble rempli de locataires qui oublient qu’au 6ème étage, au dessus d’eux, en dessous, une femme vit esseulée, sans plus d’amitié, puisque tous morts, dont la famille est éloignée. Pas un ne s’intéresse à cette femme, trop vieille pour eux, trop ridée, trop courbée.
De son appartement, elle entend le bruit des pas au dessus, les cris, les rires des enfants, mais c’est comme dans un rêve, elle ne voit jamais personne, personne ne sonne à sa porte, lui demande si tout va bien, parler un peu avec elle, lui demander si elle a besoin de quelque chose.
Elle fait partie d’une vie sans y être complètement, telle un fantôme, une ombre, dans cet immeuble parisien de la rive gauche. Pourtant elle en a aidé des personnes. Pourtant sa vie est passionnante et personne ne lui rend ce qu’elle a pu donner.
Pourtant elle est pleine d’humour et attachante, pourtant, pourtant, elle est une femme avant d’être vieille, elle a connu avant nous les joies, un homme l’a aimé, touché, caressé, elle a eu des enfants,
ceux là un jour ont quitté le nid familial, elle a continué à partager sa vie avec son époux, son amour qui un jour s’en est allé et c’est alors que tout s’est arrêté. Cette femme c’est vous, c’est moi, c’est nous, cette femme qui maintenant a un certain âge mais qui n’en reste pas moins une femme.
Et demain, je retournerais voir cette femme, je recommencerais à lui expliquer pourquoi je suis là, sans cesse je serais obligée de répéter. J’essaierai de lui apporter un peu de réconfort et petit à petit mon visage lui dira quelque chose.
Elle se dira en me voyant qu’elle connait cette jeune femme, elle
se sentira rassurée, enfin je l’espère.. Cette femme se sera peut-être moi dans quelques années et j’aimerais que quelqu’un fasse attention à moi, au lieu de me fuir.
Cette femme a envie encore de rire, de pleurer, de penser, de parler et non de radoter de solitude.
Cette femme a encore envie d’exister.

Isabelle Vignaud-Manciet
Auxiliaire de vie (d’Envie) chez ALENVI
Membre du Collectif National et régional IDF de la force invisible des aides à domicile

Une guerre mondiale contre les femmes
Des chasses aux sorcières au féminicide

De Silvia Federici (La fabrique)

Il y a deux ans, nous avons rencontré Silvia Federici pour son livre, Le Capitalisme patriarcal, dans lequel elle analysait, au prisme du féminisme, les dérives liées à l’exploitation capitaliste du travail, qu’il s’agisse des rapports sociaux de domination, de l’invention de la ménagère, du travail sexuel, de la tentative de subordination du mouvement féministe à la « gauche », enfin la volonté d’exclure les femmes du processus révolutionnaire. S’ajoutant à cela le mythe du « progrès » supposé menant à l’émancipation générale de toutes et tous. D’où son constat : « Après deux siècles d’industrialisation, on peut voir que, si la fin du capitalisme n’est toujours pas à l’horizon, partout où l’égalité sur le lieu de travail a été réalisée ou améliorée, c’est le résultat de la lutte des femmes et non un cadeau de la machine. »

Dans son nouveau livre (dont elle parlait déjà lors de notre entretien), Une guerre mondiale contre les femmes. Des chasses aux sorcières au féminicide, paru récemment à la fabrique, Silvia Federici revient sur le thème de
« Mondialisation, accumulation du capital et violence contre les femmes », car,
« à l’origine de ces nouvelles persécutions, on retrouve nombre d’éléments qui ont suscité les chasses aux sorcières des XVIe et XVIIe siècles, la religion et la régurgitation des préjugés les plus misogynes servant de prétexte idéologique. »
Ces nouvelles chasses aux sorcières prennent de l’ampleur en Afrique, par exemple en Tanzanie, où plus de 5000 femmes sont assassinées chaque année en tant que sorcières. De même, dans d’autres pays africains, des femmes sont emprisonnées pour sorcellerie, exécutées et même brûlées. Ce déferlement, cette généralisation des violences contre les femmes ne sont pas des accidents de l’histoire. Le phénomène est endémique en Inde, en particulier dans les « terres tribales » où, comme par hasard, des processus de privatisation sont en cours. Le phénomène prend également de l’ampleur en Amérique latine sous la férule des évangélistes qui peu à peu, s’emparent des institutions sociales de certains pays. Par exemple l’éducation, la santé, les médias, etc., et bien sûr la religion. Pour Silvia Federici, les meurtres, tortures et viols de femmes font partie d’un dispositif de répression mis en place par les États, les puissances économiques et la religion…

Sans l’étude du capitalisme, que Federici développe dans ses ouvrages au prisme du féminisme, il est difficile de comprendre les racines, les prémisses et l’évolution de la chasse aux sorcières au cours des siècles précédents et sa résurgence contemporaine : le féminicide. Dans l’entretien qu’elle nous avait accordé à propos du Capitalisme patriarcal, elle abordait déjà les problématiques de ce nouvel essai en soulignant les dangers de cette nouvelle religion essaimant un peu partout dans le monde, notamment en Afrique et en Amérique latine, celle des évangélistes. Pour cette raison, il apparaît important de reprendre des extraits de notre échange, puisque toute rencontre est actuellement impossible, mais également pour insister sur la cohérence des études de Silvia Federici depuis son livre, Caliban et la sorcière.

Le Capitalisme patriarcal — son précédent essai —, illustrant en quelque sorte un jalon essentiel du dispositif de contrôle et de répression, favorisé par les États, les puissances économiques et les religions. Violences accrues à l’encontre des femmes et globalisation du capital vont de pair avec l’idée de mettre au pas la moitié de l’humanité, et on connaît l’antienne — « diviser pour régner » —, récurrente et efficace dans un moment où les inégalités sont de plus en plus flagrantes et que la course au profit est primordiale… enfin pour une minorité. « La chasse aux sorcières sous toutes ses formes est un puissant moyen de destruction des moyens collectifs, en instillant le soupçon que derrière la voisine, l’amie, l’amante se cache une autre personne, assoiffée de pouvoir, de sexe, de richesses, ou simplement malfaisante. Comme par le passé [remarque Federici], cette manipulation est essentielle en un temps où le dégoût du capitalisme et la résistance à son exploitation grandissent partout dans le monde. Il est fondamental que nous nous craignions mutuellement, que nous doutions toujours des intentions des autres et que nous abordions nos semblables en ne pensant qu’à ce que nous pourrions tirer d’elles et eux et au tort qu’elles et ils pourraient nous causer. »

Dans la seconde partie d’Une guerre mondiale contre les femmes, l’autrice s’attache à l’analyse des « nouvelles formes d’accumulation du capital et les chasses aux sorcières de notre temps » pour voir dans la violence contre les femmes « une perspective internationale et historique ».
Une guerre mondiale contre les femmes.
Des chasses aux sorcières au féminicide
de Silvia Federici (La fabrique).


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