Chroniques rebelles
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Samedi 10 avril 2021
Théâtre de l’Odéon occupé. Entretiens au foyer, agora et prises de parole. Librairie et éditions Libertalia à Montreuil
Article mis en ligne le 17 avril 2021
dernière modification le 9 avril 2021

par CP

Depuis deux semaines, Nestor Potkine (de la nouvelle émission les Muses s’amusent sur Radio Libertaire) me relançait pour l’accompagner au théâtre de l’Odéon occupé, il y a aujourd’hui plus d’un mois… Quand même, soulignait-il, « nous sommes masqué.es, mais pas bailloné.es ! »

Samedi 3 avril, le préfet de police interdisait l’accès du public à l’Agora qui se tient tous les jours à 14h, sur la place, devant le théâtre, car une manifestation des Gilets jaunes avait l’intention d’exprimer leur soutien aux occupantes et occupants de l’Odéon…

Dans la foulée, il était interdit de jouer de la musique au prétexte que les événements culturels étaient supprimés en cette période de crise sanitaire (!) les concerts, spontanés ou non, n’étant pas considérés comme une revendication ! Sans commentaire ! Bref, cela revenait à l’obligation d’occuper dans le silence… Pas question de déranger ! Et la culture ça dérange.

C’est sans doute ces interdictions et l’occupation de la place par les « agents de l’ordre », s’ajoutant ainsi à nombre d’injonctions ubuesques, qui m’ont poussée à aller tendre le micro de Radio Libertaire en compagnie de Nestor Potkine.

Dimanche 4 avril. Pas facile d’entrer dans le théâtre. Après des discussions avec les vigiles veillant à ce qu’un nombre restreint de personnes aient accès à l’intérieur, et grâce à l’intervention de Denis Gravoul, responsable CGT-Spectacle, j’ai pu poser quelques questions à l’arrache dans le foyer du théâtre.

On s’affaire avec concentration dans le foyer… chacune et chacun travaillent des textes, des propositions, ou préparent des déclarations publiques et, bien sûr, l’agora qui démarre à 14h… À l’une des fenêtres, un matériel sono et une radio : Convergences… Tout est organisé et l’ambiance est studieuse… Ici beaucoup de métiers sont représentés : Intermittentes et intermittents du spectacle, comédien.nes, musicien.nes, danseurs et danseuses, des travailleuses et travailleurs dans le domaine de la culture, de l’événementiel, de la restauration et de l’hôtellerie… Tout un monde dans un lieu évidemment hautement symbolique si l’on pense à l’occupation de 1968 et celle de 2016 pendant le mouvement contre la loi travail.

Finalement, la continuité est logique car les revendications contre la précarité, qui s’accroît dans des proportions inquiétantes, est en partie une conséquence de la casse du Code du travail. Un recours à la précarité qui s’avère évidemment être une arme efficace pour le patronat et les gouvernements successifs.

Par cette action, les occupantes et les occupants interpellent le gouvernement, qui jusqu’ici botte en touche, ils et elles exigent l’annulation de l’assurance-chômage et la mise en place de nouveaux droits. C’est en effet plus de 1 700 000 personnes au chômage qui risquent de perdre leurs droits : les jeunes, les femmes, généralement les plus précaires, comme les CDD à temps partiel, CDD, intérimaires, pigistes, employé.es saisonniers, intermitent.es, etc.…

La crise sanitaire a pour résultat la hausse du chômage, la précarité accrue et la pauvreté, même si quelques mesures sont prises pour détourner l’attention de l’énorme crise sociale annoncée, et anticiper — on peut l’imaginer — les gesticulations électorales, la course au pouvoir et les slogans creux et grandiloquents, dans le style de, vous savez, le « quoiqu’il en coûte ». Force est de constater que les mesures favorisent plus souvent le patronat, qui lui, s’en sort plutôt bien en lieu d’une population à bout dont les préoccupations sont encore ignorées.

Dans ce contexte, l’occupation affiche ses demandes au fronton du théâtre dont : Annulation définitive de toutes les mesures négatives concernant l’assurance chômage.

En réponse au mépris, au navigué à vue et à l’incompétence du pouvoir, des banderoles, des symboles de la Commune de Paris de 1871 couvrent l’édifice. Les portraits d’Eugène Varlin et d’Eugène Pottier ornent la porte d’entrée principale et les cris de Vive la Commune se répondent en écho dedans et dehors… C’est la Canaille quoi !

Prise de parole d’une enseignante :
J’aimerais simplement apporter un témoignage sur la situation dans les collèges, les établissements scolaires. Je travaille dans l’éducation auprès de la jeunesse adolescente, dans un collège à Villiers le Bel, à côté de Sarcelles dans le Val d’Oise.

La situation dans les établissements scolaire est délétère. On fait notre travail contre vents et marées dans des conditions de plus en plus précaires.

On se prend depuis plusieurs années, des réformes dans la tête qui dégradent nos métiers et l’apprentissage des enfants. Ces réformes qui transforment l’école en un lieu de tri social de plus en plus violent pour les élèves.

À titre d’exemple, la réforme du bac il y a deux ans, qui va de pair avec Parcoursup, a tué le bac national. C’est devenu du pur contrôle continu. En fait, les élèves passent le bac tous les jours dans leur établissement, localement. La conséquence, elle est simple : un bac obtenu à Sarcelles n’a plus la même valeur qu’un bac obtenu à Neuilly.

Ces réformes ont été imposées avec violence et mépris. Notre métier est méprisé et malmené, il a changé : il est de plus en plus difficile de mener les apprentissages dans la classe avec sérénité.

Au collège, on enseigne dans des classes surchargées, les effectifs en septembre ont encore été augmenté, on arrive à 30 élèves par classe sans aucun égard par rapport à la situation sanitaire. On entasse les enfants, les jeunes dans les salles, on supprime les demi-groupes. C’est difficile de s’occuper de chacun d’eux et d’elles. C’est comme à l’hôpital, on supprime des lits, on demande au personnel de s’occuper de plus en plus d’élèves.

Le service public est malmené, maltraité et en fin de compte (et c’est bien de comptes dont il s’agit), c’est le public, c’est nous qu’on maltraite et qu’on malmène.

Des choix politiques sont faits et ils ont choisi la bourse et leurs profits, pas la vie des gens.
D’ailleurs, le contexte sanitaire a révélé le fait que l’école était pour le gouvernement, une garderie. On ne s’est soucié de les maintenir ouvertes que pour permettre aux parents de travailler, de faire fonctionner la pompe à fric. C’est une grande imposture, une immense supercherie. On nous a dit que l’école n’était pas un lieu de contamination, on a dû se battre pour avoir du savon dans les toilettes, on nous a fourni des masques toxiques, il y a eu pendant des mois une omerta hyper violente sur les chiffres de malades dans les classes. Au mépris de la santé des personnels, des élèves, de leurs familles, de la population.

La garderie, elle est organisée pour les parents d’élèves, les élèves on n’en parle pas, on se moque de ce qui se passe dans la classe, mais c’est de la maltraitance ! Ils-elles sont perdus-es ; quand on parle avec eux, ils nous disent : « Moi, j’vous avoue, madame, j’suis perdu… ». Ils voient bien, ils ne sont pas dupes, les jeunes. La jeunesse est déboussolée.

À la rentrée de septembre, aucun bilan, aucune leçon n’a été tirée du grand déchirement qu’a constitué le vrai confinement. Pendant ce temps, en septembre, à côté du collège où je travaille, la ville de Villiers le Bel faisait des travaux d’aménagement pour agrandir le cimetière.

Nous, dans les classes, on tentait de tenir debout, exposées au Covid, mais heureux de se retrouver en vrai, d’échanger, de tisser des liens. De construire l’avenir comme on pouvait.
Et aujourd’hui, on ferme. On a laissé circuler le virus pendant des mois. Mais aujourd’hui, on ferme, enfin. Une décision est prise verticalement, dans la précipitation, alors que les collègues tiraient le signal d’alarme, demandaient des demi-groupes, une organisation tenable de l’école pour protéger les enfants et le personnel. On veut des vrais protocoles qui protègent les gens et pas le capital. Des vrais protocoles et des recrutements pour rouvrir dans des conditions qui nous protègent, tous les lieux de vie : les écoles, les cirques, les universités, les théâtres.

Pour changer le mépris de camp, car dans leur monde du fric et de flics, il n’y a plus d’humains, il n’y a plus de liens, que des écrans, des ombres et des courbes.

Merci à l’Odéon occupé pour ces prises de parole qui nous relient en vrai, ensemble,
Solidarité !

Libertalia, librairie et éditions à Montreuil


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