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Samedi 11 septembre 2021
Révolutionnaire & dandy. Vigo dit Almereyda d’Anne Steiner. Intégrale des films de Jean Vigo en copie restaurée (Malavida). L’État du Texas contre Mélissa de Sabrina Van Tassel. La Nuit des rois de Philippe Lacôte.
Article mis en ligne le 12 septembre 2021

par CP

Révolutionnaire & dandy. Vigo dit Almereyda
de Anne Steiner (L’Échappée)

Intégrale des films de Jean Vigo en copie restaurée au cinéma

L’État du Texas contre Mélissa de Sabrina Van Tassel (15 septembre 2021)

La Nuit des rois de Philippe Lacôte (15 septembre 2021)

La Vie de Chateau (8 septembre 2021)

Révolutionnaire & dandy. Vigo dit Almereyda
de Anne Steiner (L’Échappée)

Plonger à la fois dans l’histoire révolutionnaire, celle d’une presse subversive et celle d’un homme pour le moins dénigré dans la période troublée du début du XXe siècle et de la Première Guerre mondiale. Il y a dans ce livre d’Anne Steiner la forme choisie du récit, qui évidemment entraîne à ne pas lâcher le bouquin, dont la progression narrative a presque un aspect de thriller.

Suivre le parcours de Miguel Almereyda depuis son adolescence, sa prise de conscience, les rencontres fortuites et parfois étonnantes, ses amitiés, sans omettre d’analyser ses contradictions, conduit à s’interroger sur l’évolution de certaines et certains, à avoir une vision critique sur l’engagement en général et les certitudes.

Il faut y ajouter une partie "cinématographique" puisque l’auteure revient sur la vie et la création de son fils, Jean Vigo, dont l’intégrale de ses films sera sur les écrans en copies restaurées le 29 septembre

L’État du Texas contre Mélissa de Sabrina Van Tassel (15 septembre 2021)

«  Si Melissa avait eu un procès équitable, elle ne serait pas dans le couloir de la mort. » Cette phrase résume toute la tragédie de Melissa Lucio, première femme hispano-étatsunienne condamnée à mort au Texas. Il faut ajouter que Melissa est le type même de la victime toute désignée à une justice où tout est joué d’avance : elle est pauvre, toute jeune elle a été violée par le compagnon de sa mère, a été forcée au silence, se marie très vite et a de nombreux enfants…

Abandonnée ensuite, les compagnons de rencontre ne sont pas non plus les bonnes personnes, elle se drogue, vit des aides alimentaires, se retrouve à la rue avec ses gosses et finalement : le drame. Sa dernière fille de deux ans tombe de l’escalier de la maison où elle vient d’emménager et meurt des suites de la chute. Mais elle est finalement accusée d’être responsable de la mort de la petite pour mauvais traitements sur le constat par le médecin légiste de marques sur le corps de l’enfant. La mère pauvre et droguée coche toutes les cases de la coupable idéale et c’est une aubaine pour le candidat au poste de District Attorney, qui voit dans cette affaire l’opportunité de jouer le candidat aux mains propres pour gagner une part de l’électorat.

L’interrogatoire filmé montre une femme complètement soumise et à bout, elle vient de perdre sa petite fille, est gardée des heures sans nourriture, sans sommeil, face à des hommes qui se relaient pour lui faire avouer son « crime ». Pour l’avocat, c’est la même chose, il ne fait pas son travail de défenseur et d’emblée conseille à sa « cliente » d’avouer sa culpabilité pour échapper à la mort. Il n’y a pas d’enquête, on ne tient pas compte des déclarations des enfants ni des témoins de la défense que l’avocat estime inutiles. C’est un procès bâclé où les acteurs de la justice se congratulent au verdict des jurés : la mort ! Devant une Melissa Lucio mutique et qui ne réalise pas ce qui lui arrive.

Sabrina Van Tassel fait le travail extraordinaire d’une véritable enquête, elle reprend tous les éléments du dossier, en fait elle accomplit sérieusement le travail qu’auraient dû faire les enquêteurs et démonte tout le processus d’une justice de classe. Il est certain que si Melissa avait été riche, elle ne se serait jamais retrouvée dans le couloir de la mort. Le titre du film est tout à fait parlant pour cette affaire exemplaire : L’État du Texas contre Melissa. Le témoignage de Melissa, de ses proches et des enfants donne la dimension inacceptable d’un verdict expédié et sans fondements réels, renforcé d’ailleurs par les commentaires de l’avocate qui a repris le dossier et par les déclarations du médecin, qui explique les marques apparaissant sur le corps de l’enfant après sa mort, comme étant les conséquences de la chute.

La justice ne retient pas le premier appel. Pourquoi reconnaître les manquements de l’enquête et de l’avocat lorsqu’il s’agit de la vie d’une femme pauvre et de surcroît hispano-étatsunienne ? Alors oui : « Si Melissa avait eu un procès équitable, elle ne serait pas dans le couloir de la mort. » On ne peut que penser au cas de Mumia Abu Jamal, qui est sorti du couloir de la mort après une mobilisation internationale, mais est toujours en taule, comme d’ailleurs Leonard Pelletier.
L’État du Texas contre Melissa de Sabrina Van Tassel est un film remarquable pour ce qu’il révèle du système judiciaire de classe états-unien et pour la rigueur avec laquelle Van Tassel a mené les entretiens et son enquête.

La Nuit des rois de Philippe Lacôte (15 septembre 2021)

Survol d’une forêt équatoriale où se trouve l’une des prisons africaines les plus peuplées : la MACA. C’est tout un monde, qui a ses propres règles, ses codes — sous surveillance hypothétique —, son chef et ses luttes pour le pouvoir. Un monde géré par des matons et des matonnes, dont l’une n’hésite pas à dire lorsque la tension monte : « S’ils veulent se tuer entre eux, ça nous arrange. »

Le combat pour le pouvoir arrive à une sorte de climax avec la contestation du caïd Barbe noire qui, malgré la maladie qui le ronge, s’y accroche à son statut. Pour faire diversion à la remise en cause de sa domination et profitant de la lune rousse, il désigne une jeune prisonnier, fraichement arrivé et ne connaissant rien aux règles carcérales : « c’est lui notre roman ! » Renouant ainsi avec le rituel du "Roman", qui consiste à obliger un prisonnier à raconter des histoires durant toute une nuit sous peine de sévices et même de mort.
Et voici le jeune prisonnier nanti d’une tâche dont il ignore tout, mais qui pressent la menace latente qu’elle sous-entend :
« — Allez raconte une histoire. Tu ne sais pas… Tu vas comprendre ton malheur.
— Mais c’est quoi cette histoire de “roman” et pourquoi ça tombe sur moi ?
— Roman, c’est un roi sans royaume. Si la lune est rouge, il faudra que tu racontes des histoires, comme un griot, c’est la loi de la MACA, le Dangoro, le maître de la prison
. »

Deux clans s’affrontent et attendent que Barbe noire passe la main. Au milieu, un homme blanc (interprété par un Denis Lavant étonnant) observe et dit au jeune homme : « Si tu veux avoir une chance de survivre, ne finis pas ton histoire avant le lever du jour. La nuit du roman, il faut faire couler le sang ». Le chef des gardien.nes commente : « la MACA est la seule prison au monde dirigée par les détenus. »

La nuit du roman ou les mille et une nuits, version taulards, se peuple alors d’histoires violentes, de tueurs, de crochet de boucher, de bâtons se transformant en serpents… Une histoire sans fin dans laquelle le jeune conteur improvisé mêle réalité, légendes, magie et rebondissements pour que dure le feuilleton jusqu’au petit matin.

La Nuit des rois est un film étourdissant par sa construction filmique, son rythme mouvementé — alternance de la caméra à l’épaule et des plans panoramiques pour les flashbacks —, par les images sombres et denses à l’intérieur de la prison, éblouissantes dehors. C’est une fresque sur les conditions carcérales, les codes intérieurs, les prisonniers LGBT, le capitalisme sauce carcérale, une fresque multiple animée par un ballet de corps qui s’affrontent, s’entrelacent pour narrer l’histoire, la société africaine à travers la détention.
La Nuit des rois de Philippe Lacôte est sur les écrans le 15 septembre.


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